1973/01/01

1973








CAHIER 1973

 

 

 

Lundi 8.1.73

 

Chaque élément de la vie étant profondément lié aux autres, nous sommes toujours plus ou moins lié au milieu de cercles vicieux, de réactions en chaine.

L'art de la vie consiste à les comprendre et à savoir en sortir lorsqu'ils sont négatifs.

 

16.1.73

 

J'ai un devoir de français sur un texte de Simone de Beauvoir. Les idées montent. Mon esprit s'enflamme et brusquement tout se rattache. Toutes les idées qui montent se refondent en une seule, immense, absolue. Brusquement, ce texte particulier découvrent ses racines dans l'immense mécanisme du monde. Il y a quelque chose de dur qui me serre le cœur, quelque chose de merveilleux, de si merveilleux que j'ai envie de pleurer. Alors, j'ai envie de prendre cette feuille et d'écrire, d'écrire des enfants qui pleurent, écrire l'impossibilité de communiquer mais de dire l'amour immense qui nait au fond de mon cœur pour ce monde, pour cette foule qui brutalement déforme l'image de tous les dieux, cette foule pleine de gentillesse au fond mais qui se précipite bêtement vers Dieu.

 

20.I.73

 

La rencontre avec les deux jumeaux Laurent et Pierre Guespins fut assez inattendue. J'essaie d'écrire mais les mots m'échappent. Il semble qu'il me soit plus facile d'écrire des abstractions que des faits réels. J’ai toujours tendance à tomber dans un lyrisme ridicule, J'ai du mal à voir des souvenirs si complexes se réduire à quelques mots.

Plus j'analyse cette amitié, plus j'en vois le caractère unique, miraculeux.

C'est bizarre, au fond tout commença par une bagarre, une bagarre au sujet d’un jeu de boules. Je voulais jouer aux boules et les monopolisaient toutes. C’était au début de l’année. Nous nous battîmes. Je ne sais plus très bien avec lequel me suis battu, l'autre était derrière et tenait toutes les boules entre ses mains, tout en essayant plus ou moins de défendre son frère. Une immense haine comme on en a à cet âge nous opposait. Elle m'apparait maintenant comme une première union. Cela ressemble un peu à cette envie qu'a le peintre quand il se libère totalement, de prendre la peinture et de l'arracher, de la déchirer, et avec son poing de la percer, lui reprochant sa passivité, et qu'elle ne se déchire pas et qu'elle ne le perce pas, le faisant éclater en mille éclats lumineux. Là, dans mon souvenir, l'image que je n'ai jamais pu tellement totalement dessiner, se lève et je sens ses poings qui me déchirent, je sens ma haine monter, et mes poings qui se lèvent et frappent.

Il y a un miracle comme si l'art devenait vivant, comme si brusquement le dessin devenait musique, danse, poème. C'est ma manière à moi de faire l'amour.

Plus tard, nous nous retrouvâmes au réfectoire car je voulais m'introduire dans le groupe des petits amis de François, et les Guespins partageaient une très grande admiration pour François. Je me rappelle peu de choses de ces repas, sinon que c’était de véritables orgies par la manière dont nous mangions. Le plat arrivait à peine sur la table, que nos six mains se tendaient vers le plat. Nous en arrivions à prendre les mets à pleine mains. Heureusement nous étions assez loin de la table du chef de maison. Je discutais assez souvent avec François, le soir, éclairés par le soleil qui se couchait, ou la lune suivant la saison. Ce fut sans doute à ce moment-là que mon influence sur lui devint prépondérante. Il lisait beaucoup Bosco et ses livres étaient devenus la Bible du groupe qu'il formait avec les Guespins.

Nous étions liés par cet amour de la vie-livre, et par l'amour de ces êtres dans ces livres et qui nous poussaient bien plus vrai que tout le monde gris du collège. A cause de mon inaptitude à vivre sans raisons, j'étais déjà descendu, à cet âge relativement loin à l'intérieur de moi-même, dans l'espérance de trouver enfin ma raison de vivre. J'avais démonté dans cette recherche de la vérité quelques-uns des premiers mécanises de mon être. Et sans m'en apercevoir, j'avais beaucoup appris. Je compris mieux François, la raison de ses actions et son masque.

 

24.1.73

 

Reçu un livre de Patrick Fellus. "Le joumal" de Jean René Huguenin.

Quelques passages :

« il s'agit donc de tuer tout ce qui m'encombre, de me refuser toute complaisance, toute concession, tout confort inutile, et de m'imposer enfin de vivre sans répit.

Il faut tout se permettre mais ne rien se laisser passer. »

 

5.2.73

 

Il m'apparait que l'évènement des Guespins Laurent et Pierre n'est pas séparable du reste de ma vie. Il m'apparait donc que n'est valable que l'histoire de ma vie jusqu’ici.

Comme pour tout passage de l'être à la matière, j'utiliserai un matériau quelconque pour me projeter, en l'occurrence, ici, mon stylo et de l’encre.


Lorsque j'étais enfant, je m’attachais beaucoup à maman. Longtemps, l'heure du coucher m’apparut comme quelque chose d'affreux car il me fallait la quitter.

Je lui faisais donc raconter histoires sur histoires, et retardait cette heure fatidique. On me dit plus tard que j'avais parlé très tard, mais la gouvernante à cette époque avait été surprise par mon autorité, et la manière dont, avec des gestes, je lui montrais comment je voulais être habillé. Je n'ai peut -être qu’un seul souvenir de cette période, préscolaire. C'est cette pensée qui m'était venue, devant mes grands frères, que une fois qu'on était à l'école, on devait regretter ces heureux temps où l'on pouvait rester à jouer toute la journée à la maison. Et aussi que je n'étais vraiment pas si malheureux et qu'il fallait que j'en profite.

Bien que les semaines parurent des années et les années des siècles, il me fallut aller à l'école. Il apparut bientôt que j’étais très réfractaire à ce genre d'institutions. Je me mis à refuser obstinément d'y aller. Il fallait me trainer dans la voiture. Là, je tentais d'étrangler maman, qui conduisait. Il fallait que la bonne nous accompagne pour que maman puisse conduire. Arrivé à l'école, j'étais pris d'une immense envie de dormir Mais lorsque assis à mon pupitre, je croisais les bras, et posais ma tête dessus, cette envie pour une grande part disparaissait. Alors je restais dans la même position et faisais semblant de dormir. J'entendais la classe qui se déroulait au loin. Ce n'était plus que les voix de l'un de mes rêves. Je sentais le regard de la Maîtresse se poser sur moi, hésiter, puis dire à mon voisin de ne pas me réveiller. J'étais sans doute fatigué, et j'étais encore si petit. Mes camarades riaient et puis la classe reprenait. Je leur avais échappé, et la tête enfouie dans mes bras, il semblait que j'étais brusquement redevenu libre. Parfois, enfant prodigue, je me redressais et ma tête émergeait de la vaste étendue liquide dans laquelle je l'avais plongée. La maitresse s'exclamait, les autres enfants se retournaient. J'aurais tiré du plaisir à cette sorte de naissance, où je devenais le centre de la classe, si à l'exclamation de la maitresse n'était pas lié le regard moqueur des autres et leurs rires. Ces autres enfants me paraissaient incompréhensibles, comment pouvaient-ils accepter de se laisser enfermer dans une pièce toute la journée. Comment pouvaient-ils s'intéresser à toutes ces lettres, à ce tableau noir, à toutes ces choses noires ? Ou plutôt, je ne réfléchissais pas si loin ; je n'avais simplement pas d’ami. Mais se développait à l'intérieur de moi un sentiment d'infériorité par rapport à leur monde. Alors il fallait que je me sente supérieur.

Les deux réagissant les uns sur l'autre, n’écartaient encore d'eux.

Je ressentais tout cela très confusément. Je ne savais qu'une chose, c'est que l'école ne correspondait à aucune de mes aspirations. La cloche finissait par sonner, et je courrais vers la maison. Je pouvais enfin revoir ma mère, que j'avais étranglé le matin même, pour ne pas la quitter.

On s'aperçu bientôt que si j'avais eu du mal à parler, j’en avais encore plus à apprendre à lire. Dans la petite école de province où j'étais, on voulait me faire redoubler, et redoubler encore. Ma mère s'y opposa. Je fus pris en main par des psychologues. Je considérais ces petits caractères qui s'alignaient dans les livres avec tout à la fois une certaine curiosité, et un certain dédain.

Je me demandais quel effet cela faisait de savoir lire. De sentir se transformer en paroles tous ces petits signes, noirs. D’un autre côté, cela paraissait tellement difficiles. Comment se rappeler tous ces signes divers ? Il me semblait que le jeu n'en valait pas la chandelle. Et je continuai mes plongées sous-marines en classe.

J'étais vraiment un trop mauvais élève. La position de maman devenait de plus en plus compliquée. On ne voulait vraiment plus me faire passer dans la classe supérieure à cause de mon orthographe.

 

7.2.73.

 

Brulé, brûlé jusqu'au bout. Il n'y a plus d'échappatoire. Reculer, serait accepter la plus vulgaire médiocrité. Avancer, déchirer. Aller encore plus près du soleil jusqu'à la mort. Seul cela peut compter maintenant. J'ai essayé d'arrêter ma folie. Devenir superficiel. Et ce soir, j'étais enserré au milieu du vulgaire étau de la réalité. Je la retrouvais partout, je la sentais partout. J’avais oublié le chemin du soleil, je n'étais plus capable de rien. La folie a tellement grandi en moi, qu'elle seule peut me donner ma raison d'existence. Elle seule donne un sens à ma vie. J'ai voulu oublier mes visions, l'immense vision du monde dans ses souffrances, dans son but, dans son passé, dans son futur. J'ai voulu oublier ces visions pour être apte à leur réalité, et aussitôt me posant sur le pont, j’ai perdu ma liberté, mon envol, ma force. Je suis devenu un misérable oiseau ayant le mal de mer. Mais repartons, là n'est pas mon destin, et cette fois-ci, je n'atterrirai plus jamais.

 

A la place d'un devoir de Français :

Je vais traiter une idée qui n'est pas dans le texte. D'ailleurs, est-ce une idée ? Je sais seulement qu'un devoir de Français ne m'a jamais fait chier, mais cette fois arrivé où je suis, je n'ai vraiment pas envie de vous dire ce que je pense.

Où d'essayer d'aligner des mots sincères. Car ces mots ils seront sincères ou ils ne seront pas.

Être sincère, c'est donner son sang. A part que c'est le sang de l'âme, et c'est vachement plus important. Or je ne donne pas mon sang pour faire du boudin.

Il est bien trop précieux pour cela. Or vous en faites du boudin, calibré, manufacturé, tant de globules rouges par litre et tant de blanches. Évidemment, il n'est pas très bon pour ce genre de chose. Je vous le dis, il n'est pas fait pour cela. Et comme je suis très vexé que vous preniez mon sang pour du sang à boudin, je m'excuse profondément de ne vous donner ce soir qu'une merde sanglante. Je suis sur ainsi que vous n'en ferrez pas du boudin.

 

16.2.73.

 

La mort. La mort, c'est un dernier orgasme, le plus grand, le plus beau, et tous ces gens : qui meurent, sans y faire attention, sans même sa s'en rendre compte, qui meurent bêtement avec des gens ennuyeux autour d'eux, et ils n'ont rien à dire, alors ils parlent comme ils ont parlé toute leur vie, du temps, des affaires, de l'argent. Pourtant quelle importance ? Quelle importance, ils s'en aperçoivent maintenant. Ils ont peut-être un instant de regret, tout le monde se sent un peu gêné, alors on se tait. Ils regardent tous le mourant comme des chiens battus, et bavent et pleurent. Demain, ils prendront le métro sans lui, et lui, là, dans son lit, il est terrifié, Que va-t-il se passer ? Il sent le vide immense qui monte, il a peur, tous ses petits alignements de certitude, toutes ses habitudes s'écroulent. Alors il refuse, pleure, crie, se débat, et devant un tel refus de vivre, la mort l'abat. Il ferme les yeux sans avoir vécu, il éjacule sans avoir joui.

Une dernière petite éjaculation d'impuissant qui n'a même pas su faire jouir la vie. Un dernier râle et il n'a même pas compris qu'il faisait l'amour avec Dieu.

Il n'a pas osé. C'est si sale le sexe. Et les autres sont gênés devant le visage vide oui, il est mort, c'est absurde, c'est impossible. Alors, il continu à faire semblant comme toujours. Les habits de mort le fardent pour qu'il paraisse vivant.

Ils le vénèrent, mais oui, ils iront jusqu'à la dernière connerie pour qu'il paraisse vivant. Ils le vénèrent, mais oui; ils iront jusqu'à la dernière connerie, il devient le bien par excellence, une marionnette fardée qui a perdue toute existence en soi.

Eux sont encore sales, même s'ils essaient de ne pas connaitre la jouissance, de penser comme les gens bien-pensants, et de paraitre calmes, mesurés, avec un grain de jovialité, à l'image du sourire artificiel du mort.

 

2.3.73.

 

Noté cette phrase de Jean René Huguenin : « Cette idée banale, ressassée, inépuisable il y a tant de choses à faire à chaque instant, tant de risques à courir, de bonheur à connaitre, et nous restons là, à tourner en rond conne des ours, derrière des barreaux invisibles de notre sécheresse. »

D'autres phrases : "en fin de compte, il est plus beau de supporter ses passions que d'essayer de les rejeter."

 

J'étais rouge- une boule de sang rouge

Entrechoqué dans les cailloux

Le sel de la mer sur la grève

Piqua les multiples cellules de mon songe

 

Les graviers pénétraient dans la plaie

S'incrustaient comme des vers noirs

Mangeaient ma bouche

Et sa main doucement caressait ma nuque.

 

Ses yeux bruns m'adoraient

Se plongeaient dans les miens

Je sentis sa bouche au bord de mes lèvres

Je courais dans la rue noire

Les maisons sur le bord de l'eau

Filent, il me semble qu'une lumière

Nait parmi elles

Senti dans l'air

C'est un feu brillant

Au milieu de la pièce

Allongé sur deux sièges, il y a

Le corps nu d'une jeune fille très pure

Je la reconnais car elle vis en moi

Son visage est indécis et flou

Son corps prend plus de netteté

Vers son centre

Dans la touffe brune

Qui pousse au bas de son ventre.

 

7.3.73.

 

Il est bizarre de voir que le romancier, devant l'impossibilités de dire sa propre histoire, sans sentir l'imperfection totale de ses outils, en arrive à devoir inventer des sortes d'éponges, qu'il imprègne de son âme ; ses personnages.

 

Des souvenirs d’enfance :

J'étais arrivé tant bien que mal à la 10°.Je savais à peu près lire.

Devant les difficultés de ma mère avec mon école, elle décida de me mettre au collège dans une école libre. Je devais être interne et nous habitions à près de 300 kms de la région parisienne où se trouvait ce collège. Je ne pourrai guère voir maman plus d'une fois tous les quinze jours.

Je ne me rappelle pas des préparatifs de départ, mais je garde un souvenir très net de notre séparation.

C'était un jour de septembre et il faisait très beau. Les graviers crissèrent sous les roues de la voiture lorsque nous virâmes pour rentrer dans le porche.

Il y avait une maison avec un grand escalier et devant par terre des graviers blancs et plein de fleurs dans les plates-bandes. J’avais la main sur la portière, j'étais saisi par une impression bizarre, agréable. Brusquement la vie prend une nouvelle dimension parce qu'on se sent obligé de réinventer.

Mais un immense vide s'ouvrait au fond de ma poitrine quand je pensais que maman allait partir. Je rassemblais tout mon courage et ouvrait la portière en essayant d'être joyeux. Papa et maman sortaient de la voiture aussi, alors nous nous avançâmes parmi les graviers ; je regardais les fleurs et le beau temps. Il y eut toutes les présentations, les mains des gens qui s'occupaient de l'école, se posaient sur mes épaules et disaient « alors tu seras bien sage ». Je me mis tout de suite à détester certaine des personnes. Elles n'avaient rien de commun avec moi, avec la vie. Je préférais les fleurs. Nous allâmes aussi voir la directrice et maman discuta avec elle. Elle me plut. Il me sembla qu'elle aurait sans doute beaucoup aimé les histoires que je me racontais quand j'étais tout seul, et cela me plut.

Je sentais que maman souffrait aussi de cette séparation. Et la pensée qu'il y aurait toujours quelqu’un que j'aimerai dans l'école et que c'était la directrice, me redonna un peu de courage pour ne pas faire trop triste mine à maman.

Toutes ces discussions avec les gens de l'école me faisaient gagner un peu de temps avec maman. Je me demandais s’il n'y avait pas un moyen de retarder encore la départ il me semblait inconcevable que maman parte. Nous étions juste venus faire un petit voyage. Nous repartirions tout à l'heure, tous les deux ensembles. Tout alors redevenait comme avant. L'affreuse sensation d'être séparé du Michel qui marchait dans la cour disparaissait. Et brusquement je ne faisais plus attention aux graviers, ni aux fleurs. Il ne restait plus que cette belle journée de septembre, une journée de vacances dans un endroit tout neuf. Mais irrémédiablement, je reprenais conscience de ma situation et tout devenait alors de nouveau irréel. Ce fut la dernière poignée de mains, les dernières recommandations. Mes parents revenaient vers la voiture. Je les suivis. Nous arrivâmes à la voiture, je ne savais pas trop quoi faire. Je voulais les embrasser, mais ils étaient trop hauts pour moi. J'oubliais la valise, il fallait la sortir du coffre. Il me restait encore quelques instants. Papa la sortit. Ne manquait-il rien ? Papa m'embrassa. Maman aussi.

Je pris ma petite valise et agitais le bras derrière la vitre. Et puis je me retournais et parti dans le gravier blanc vers la maison au grand escalier.

La voiture démarrait. Revenir, courir vers la voiture. Brusquement, je pense au savon que nous avons mis au dernier moment dans la boite à gants, et que j'ai oublié.

Je me retourne, court vers la voiture, le savon, le savon. Et je regarde la voiture, maman me voilà revenu. Mais je ne veux pas qu'ils pensent que je l'ai fait exprès, d’oublier le savon. Alors je prends ce merveilleux savon qui n'a donné un instant de vie en plus. Embrasse une dernière fois maman. Et d'un pas ferme, je vais jusqu'à ma valise sans me retourner. Derrière moi, j'entends les graviers qui crissent sous le perron et la voiture qui part. Je contourne la maison au grand escalier et rentre dans son ombre.

Un vide immense se fait en moi. Je vois quelqu’un qui marche dans l’ombre d’une maison. En face de moi, à l'autre aile de la maison, en angle droit avec elle, il y a le refectoire et toute sorte d'enfants qui s'agitent.

Je contourne la maison au grand escalier et rentre dans son ombre. J’ai froid.

Il me semble que je suis absent à l'individu qui marche, derrière cette grande maison. Je n'arrive pas à me convaincre que c'est moi. Je ne suis plus qu'un immense vide, un immense désespoir fait de vide. J'ai envie de me résorber, de me dissoudre.

Je suis seul. Je marche vers le réfectoire où plus terrible encore que la solitude, des enfants s'agitent.

Ce soir-là, je pleurais longuement dans mon lit. Et petit à petit, je pris gout à la solitude.

Je marche tout seul dans le parc, je me drape dans ma solitude. Je rêve, je suis seul, désormais toute ma vie, privée de son centre sera une longue méditation. J'ai 9 ans, j'essaye de survivre à mes malheurs.

Les feuilles mortes s'envolent autour de moi. Je pense à Dieu.

Il doit exister sinon je suis perdu. Je fais une prière. Pourquoi le vouvoyer ? Qui est plus proche de moi sinon lui ?

Hier la maitresse a demandé qui avait vu Dieu. Et j'ai levé la main ;

Je ne l’avais bien sûr pas vu en chair et en os, c'était ridicule de poser une question comme cela. Mais je l'avais vu autant qu'on peut le voir. Je lui ai parlé, je lui ai demandé de me sauver, de ne pas me laisser dans l'ombre. Et je lui ai demandé si je pouvais le tutoyer, parce que tout le monde le vouvoyait, mais que je trouvais ça idiot puisqu'il était mon meilleur copain. Et puis je me suis dit alors que c'était ridicule de poser cette question, que Dieu n'en avait rien à faire, que c'était une question purement humaine, et que lui, il devait bien s'en foutre. Alors à partir de ce moment-là, je l'ai toujours tutoyé.

C'est devenu ma prise. Je m'y suis agrippé pour me mettre au travail. Il fallait que Maman soit contente de moi. Alors, j’ai travaillé, travaillé. Mais à part le calcul, tout me dégoutait. J’avais des maux de tête qui duraient des journées entières.

Et parfois j'étais si fatigué, que j’allais à l'infirmerie, mais on me renvoyait parce que je n'avais rien. Alors je me mettais dans des colères folles, et j'écrivais à maman des lettres désespérées.

 

Nous mangeons tous ensemble. Ici, il n'y a personne qui m'aime vraiment, que des gens affreux qui disent : "qui aime bien, châtie bien". Cette phrase provoque en moi un invincible dégout.

Je regarde le grand buffet de bois. Je suis au milieu de tous les autres enfants. Là-bas, à la grande table, il y a la dame qui nous surveille. J'imagine que je me lève, que je monte sur le grand buffet, et que je me mets à parler. Je me demande ce qui se passerait, la directrice se lèverait et me punirais sans doute, et tout le monde serait très étonné. Mais je ne peux pas, c'est trop impossible. Pourtant, pourtant...

 

La vague et la grève.

5ème cahier- 2ème cahier de l'année I973. (Avril, Mai, Juin, Juillet, Août et sur un autre cahier spécial "Angleterre", et septembre.)

 

6.4.73.

 

Une lettre à mon père :

"Papa, tu me mets dans une position difficile, mais j'aime le combat et celui-là nous permet de mettre les choses au point.

Depuis longtemps je cherche mon chemin, Je doute, je me remets en question, je débroussaille, arrache pour découvrir et laisser pousser le vrai Michel. Longtemps, aucune de mes formes ne m'a paru devoir certainement appartenir au Michel de demain.

Dans cette période qui caractérise l'enfance, vous m'avez aidé, protégé, vous avez tenté de me donner des ébauches de direction afin que je ne sois pas perdu.

Je vous en suis reconnaissant et c'était votre devoir.

Aujourd'hui les éléments du puzzle se sont rassemblés.

L'ébauche de mon devenir est apparue.

Je me mets maintenant à grands pas en marche vers lui. (La vie est très courte pour celui qui veut se réaliser totalement).

Vous dire cette direction ? D'abord, comme toutes les choses dynamiques et vivantes, elle est très difficilement résumable. D'autre part, vous avez vécu d'une certaine manière, je m’apprête à vivre d'une toute autre manière et vous seriez incapables de comprendre de nombreux points.

De toute façon, mes actes en seront le témoignage le plus vivant.

Cette direction, je l'assume seul, et je suis seul apte à en décider.

Elle devient le sens de ma vie, et je donne ma vie pour elle.

Vous pouvez encore m'aider matériellement et humainement à me réaliser dans cet axe.

Inversement, matériellement et humainement, vous pouvez tenter de m'en empêcher.

 

Dans le premier cas, il y aura échange, je suis prêt à vous parler de mon chemin, à vous communiquer ma jeunesse, je suis prêt à accepter votre aide et vos conseils. Dans le deuxième cas, puisque vous me refusez, je ne resterai pas votre débiteur. A chacun de compter ses pertes.

 

Je ne prendrais pas le train samedi, bien que cela soit facile, mais ce serait un acte insensé, et j'ai des choses sensées à faire à Paris."

 

Article du MONDE du 22 Mars.

 

"Des centaines d'établissements sont fermés ou paralysée par la grève.

L'agitation gagnent les centres les plus reculés. Des élèves tentent par des

"contre cours", d'imaginer de nouvelles formes d'éducation et d'auto-éducation."

 

Je participe à ce soulèvement, à ce ras-le-bol à St Martin.

J'écris alors dans l'action deux ou trois textes que je n'ai pas ici, mais qui sont dans une caisse à Montbard.

 

Autrefois le long de la grève

Lorsque sur le sable près de la mer

J'ai vu ces larmes couler de tes yeux.

Parce que nous nous quittions ?

Et moi, je ne savais que faire

Je te trouvais belle

Tes mains me brûlaient quand elles me touchaient

Moi je ne pouvais pas te toucher 

Il me semblait que chacun de mes gestes serait vain

Chacune de ces larmes 

emportait un barrage de mon cœur 

il s'ouvrait, se découvrait 

sans se préserver un peu 

sans garder une petite partie libre.

Il avait envie que tu le pétrisse

il aimait ta main

jusqu'à en oublier le sable dessous

Le sable où peut-être un jour 

tu la laisseras tomber 

seul, dénudé

Il roule dans la sable 

et les milliers de grains l

lui rentrent dans la tête

Dans la chair à vif 

il saigne

et le sable colle d'autant plus 

pénétrant tout, étouffant tout

 

Toi, tu t'éloigne vers la grève en riant 

de tes pleurs de l’amour, de la vie.

Mais le cœur que le sable 

pénètre et brûle à chaque palpation 

reste là-bas

tandis que tout doucement 

comme une grande effluve de désespoir l

a mer monte

pour tout engloutir.

 

23.4.73

 

Aujourd'hui, je fais ma profession de foi. Je m'engage totalement en Dieu.

Toutes mes actions seront tournées vers lui. Je refuse l'argent, la certitude, le moindre petit confort, matériel ou moral, comme argument pour ne pas agir.

Je m'engage à trouver dans chaque chose, chaque être, chaque instant, le divin.

 

La physionomie de l'âme change plus vite que celle du visage. Et c'est elle la plus importante. Multiple.

Il y a un de mes visages qui attire les femmes comme des mouches. Leurs regards se fixent alors au bout de mes lèvres. Mes doigts semblent remplir leur corps d'encens. Et tout cela brûle comme dans un rêve.

Et puis il y a les réveils douloureux avec un visage qui les fait fuir.

Il semble que chacun de mes mots les écorche et que mes doigts soient boueux.

Je souffre.

 

Sentir la vie, ne tenir qu'à un fil.

Vivre à chaque instant que le monde fragile de nos rêves risque de s'effondrer.

Et pourtant, continuer, libres, ébahis de notre propre équilibre divin, une secousse folle.

En dessinant de vastes ellipses dans le vide.

Sentir les murs s'effondrer sur nous. Les regards terribles des êtres que l’on réveille de leur mort et qui ne comprennent pas, et qui avec un sourire crispé vous chassent.

Avoir les yeux bleus de l'innocence, et voir à chaque instant les autres cracher dessus.

Sentir la douleur affreuse de l'absurde qui sourd, et des mains qui ne se détachent de ce corps qui a voulu s'envoler, que pour le précipiter dans la fosse de l'enfer.

 

4.5.73

 

Recommencé à écrire, recommencé à construire. J'ai été emporté par le temps de la vie emporté par la vague en jouant avec la mer. Il faut vite revenir sue le rivage sinon je serai perdu au milieu des flots. J'aurais perdu mon jeu.

Ce contraste entre la grève et l'eau. Et la mer qui vous emporte un instant, et le sable sur lequel on revient et où elle a laissé une empreinte douce et humide. Il me faut les deux, la grève et la vague, la mer et la terre.

Et puis cet éternel soleil couchant qui remplit tout mon paysage.

Ce soleil couchant au teint d'apocalypse qui donne à chacun de mes gestes une teinte de dernier jour.

Voilà, des vagues dans lesquelles j'ai parfois envie terriblement de me perdre. Une grève où je marche perdu, dans les derniers rayons de soleil de mes rêves, de mes actes, de ma vie.

Avec quelques difficultés à me remettre à l'eau quelquefois.

 

C'est terrible comme les mots s'égrènent mal, comme ils s'entrechoquent, comme ils s'alignent mal.

 

5.5.73

 

Écrit une dizaine de pages sur ma séparation avec Claire, et la découverte d'Agnès.

 

9.5.73

 

Je viens juste de finir le "Rouge et le Noir". Je suis vivement ému.

 

10.5.73

 

Quelques réflexions sur l'amour, sur le lien de l'amour et ensuite, sur Agnès et notre séparation.

 

15.5.73

 

La compagnie lorsque tu as à donner, mais surtout la solitude lorsque tu n'as rien. Tout ce que tu prendras, t'encombrera lorsque tu voudras voir en face le vide.

Dans une grande ville grise, où les enfants pleurent.

Un petit garçon marche les poings serrés. Son regard bleu

Son regard bleu se griffe sur les murs.

Il court parmi les avenues noires.

Les gens aux yeux vagues se retournent.

Puis s'empresse de ramener leurs yeux sur le macadam de la rue.

Il remonte l'immense reflux, des voyageurs du train aller-retour.

On le pousse, le condamne, 

Il n'offre que son regard fragile.

Ses yeux brûlés de soleil,

Qu'il veut durcir pour ne jamais oublier,

Sa première naissance

Son premier non au dragon "tu dois"

Son premier oui à l'enfance, à la vie, à l'amour...

 

16.5.73

 

Toutes les routes sont barrées des puissances et des grandeurs : je ne rivaliserais jamais. Alors, « le roseau pensant » redresse la tête et chante le chant de la mort et de la liberté. Son ultime vocation est ailleurs, en d'autres espaces, dont il porte en lui la révélation et le miracle. 

Dieu au-delà de dieu (p.77)

Jean Sullivan 

 

20.5.73

 

L'homme est une graine. Lorsque la graine s'est effacée, a disparu, alors la tige sortant de terre, se développe. Une fleur grandit, puis d'autres, plus nombreuses, plus belles.

L'arbrisseau devient arbre, et la graine a vécu quelques jours, l’arbre vivra des centaines d’années.

Mais peu nombreuses sont les graines qui donnent des arbres, certaines tombent sur le chemin, d’autres dans les mauvaises herbes, d’autres, faute de soleil ne peuvent grandir.

Ainsi, peu nombreux sont les hommes qui dépassent le stade de graine ?

Effarés par tous les dangers qui les entourent, incapables d'imaginer une autre vie que celle de graine, paralysée par l'idée de devoir disparaitre un jour.

Ils ne découvrent même pas la fleur fantastique qu'ils portent en eux.

Ou plutôt, ils la repousse de toute leur raison, car elle ne se développera qu'au prix de leur vie à eux. Et ils y tiennent tellement à leur petite vie obscure, souterraine, morne de graine. Alors, incapable de vivre, terrorisée par la mort, ils s'étiolent, deviennent coriaces pourris.

Qui cherche à se sauver se perd.

Pourtant quelle importance à la graine s'il n'y a pas de fleur ?

La graine n'est rien, elle ne devient que par la fleur.

 

HUMEURS

 

L 'art est une éthique avant d'être une esthétique.

L'abstraction comme la liberté se gagne par une longue ascèse.

L'amour de l'art sera l'évangile de demain.

La nature du créateur ne peut être définie. Dans la mesure même 

où elle est indéfinissable elle est principe de vie, d'évolution et inexpugnable.

L'art est une certaine nature de regard sur le monde

Que l'œuvre transmet à celui qui regarde.

Il n'est à son expression que lorsqu'il est incomparable.

Tout ce qui parait exclu...n'est que ce qui est inclus, 

les ténèbres sont à l'extérieur, à l'intérieur la source de lumière.

Dès l'apparition au jour d'une idée incarnée 

commence l'oxydation.

L'art est un effort de cerner l'authentique...

Seule m'intéresse la substance spirituelle de l'homme, 

sa connaissance et son maintien.

Il ne s'agit pas tant de poursuivre un humanisme 

que de vivre un humanisme.

Il ne s'agit pas de penser à la peinture, mais de vivre 

dans la peinture.

A l'encontre de ce qui peut apparaitre, c'est la quête 

et la réflexion qui m'ont soutenu. Cette quête je la poursuis.

Le livre de bord, c'est à la maison qu'il s'est écrit.

 

Roger CHASTEL 

 

Ainsi, notre petite vie de quelques dizaines d'années n'est rien.

Elle n’est rien de plus que celle des bêtes qui nous entourent.

A moins que nous découvrions la fleur qui habite en nous, que nous la laissions grandir au fond de nous. Alors la fleur peut s'épanouir, au-dessus de la terre, perdue dans les airs. Et la graine disparait totalement.

Ainsi un mendiant, un Romanichels, un pauvre mec illuminé, que les gens de son temps ont trouvé tellement chiant qu’ils l’ont tué de la manière la plus ridicule, sur une croix comme un corbeau cloué sur une porte.

Laisse après s'être donné à la fleur, une petite tige encore frêle bien sûr, mais qui commençant à vivre par elle-même va se développer.

Toutes les graines de ses amis se désolent, il n'y a plus d'espoir

Elles s'agitent, futiles, transportent le reste de la graine, le vénère.

Et puis brusquement là-haut, tout là-haut, un crépitement se fait entendre,

C'est un grand jaillissement de couleurs et de joie. Un bourgeon vient d'éclater.

Toutes les petites graines n'en croient pas leurs yeux.

Elles découvrent le ciel, la vie, la couleur, les mille teintes de l'amour.

Jésus graine est mort ?        

Jésus fleur commence.

 

L'arbre se développera, les fleurs se multiplieront, pour devenir le phénomène le plus fantastique de toute l'humanité. Ce fut quelque chose de vraiment extraordinaire, elles s'y mirent toutes. Brusquement, ceux qui l'avaient suivi longtemps, mais qui le renièrent à l'instant de sa mort, comprirent que la vie n'était pas dans la tête. La fleur grandit en eux. Ils sentaient une vie immense venir à eux, et leur petite vie de graine disparaitre. La joie éclata, autour d'eux, les bourgeons naissaient, les graines éclosaient.

Les aveugles se mirent à voir, les paralytiques se mirent à marcher.

Ainsi, la plante s'est développée grandit, pris de la force.

 

Mais la plante en vieillissant, donne des fleurs de moins en moins belles, qui donne de moins en moins envie aux graines d'éclore. Car ainsi est fait le chemin, que les plus bonnes choses deviennent les plus mauvaises.

La plante qui donne de mauvaises fleurs doit être coupée même s'il fut un temps où elle en donna de belles. Même si son tronc très ancien est très dur à couper. 

Car alors d'autres plantes pourront naitre. Et qu'importe que ce soient des coquelicots ou des violettes, pourvu que ce soient des fleurs. Et qu'à nouveau les graines aient envie de s'oublier pour fleurir.

 

« Ce que nous pensons compte moins que ce que nous savons ; ce que nous savons compte moins que ce que nous aimons ; ce que nous aimons compte encore moins que ce qui est. Et dans cette mesure même, nous sommes beaucoup moins que ce que nous sommes. »

ED.Laing

 

« Quand le Grand TAO est abandonné, apparaissent la bonté et la justice.

Quand la sagesse et le savoir se manifestent, apparaissent de grands hypocrites.

Quand les rapports familiaux cessent d'être harmonieux, apparaissent des enfants soumis et des parents dévoués.

Quand La nation est plongée dans la confusion et le désordre, apparaissent les vrais patriotes. »

Le livre du « TAO to King »

 

"Lorsque vous deux vous ne ferez qu'un, lorsque du monde intérieur vous ferez le monde extérieur, et du monde extérieur le monde intérieur, 

lorsque vous cesserez de distinguer la haut et le bas; 

lorsque vous fondrez en un seul être le masculin et le féminin, en sorte que le masculin ne soit plus masculin et que le féminin ne soit plus féminin, lorsque vous mettrez les yeux à la place d'un œil, une main à la place d'une main, un pied à la place d'un pied, et une image à la place d'une image, alors vous rentrerez au Royaume".

Évangile (apocryphe selon Thomas)

 

Mon corps maintenant doit jouer au soleil, 

se baigner dans la mer 

se battre dans la neige 

Comprendre la terre, l'eau 

le feuillage, l’arbre 

Et plus tard, le chouka, le hibou 

le renard, le loup.

Et pour toi, courbe des corps 

la chaleur des peaux 

qui s'épousent, tremblent, blanches 

au fin fond d'une impossibilité terrible.

Pour éclater et se retrouver déçu 

sur l'ancien rivage.

Et puis viendra la dernière chute 

dans autre chose qui sera sans fond et éternel

Ce rien-absolu.

Il doit bien y avoir quelque part 

un endroit, solitaire.

Faire éclater ma vie loin des hommes.

 

4.6.73

 

Jésus, Bouddha, n'ont pas écrit ; chacun de leurs gestes, chacune de leurs actions s'est faite musique, poème, verbe. Cette musique, ce poème, ces mots n'ont pas vieillis parce qu'ils étaient spontanés. Leur explosion reste perpétuelle parce qu'ils sont nourris de la vie, de l'amour, du don.

 

Écrire, lire, aller au cinéma, c'est encore prendre du temps sur la vie. Et la vie elle seule compte.

Encore faut-il qu'elle soit moins factice que le cinéma.

Au point que l'on finit par se poser la question.

 

Quand la vie est en déroute, quand l'amour tiédit, quand s'infléchit l’inspiration interviennent toujours en art comme en morale et en religion, des codifications. Ce sont des boucliers contre la mort, des barrages qu'on tente d'imposer à la dérive.

Mais le temps finit par arriver, où ce qui fut utile pour retenir, risque de masquer d'étouffer les germes de vie nouvelle.

 

13.6.73

 

Petit à petit, arriver à une totale maitrise de tous mes gestes, démonter tous les cercles vicieux, comprendre, apprendre à relever les yeux, à voir la route se dresser devant moi. Trouver les mots justes, les actions justes.

Parfois il suffit de presque rien pour passer une barrière, quelque chose qui arrête la libération de deux êtres dans leur marche l'un vers l'autre, et vers eux-mêmes.

Depuis des années, je cherche ces petits riens pour transformer ma relation avec François, en quelque chose de constructif.

Hier, comme ça, j’ai dit à François : « tu es un chouette camarade ». Et à cet instant, ces mots avaient pris toute leur valeur. Ils étaient vrais. Et depuis tous les mots, les manière de François avec moi, se sont transformées En fait rien n'est plus vrai que l'histoire de la belle et la bête...

 

Je reprends l'effeuillage d'une branche de souvenir que j'ai laissé à la fin de "Arcosse" (1er

cahier de l'année I973.)

 

Je retiens surtout de ces années, une expérience de la solitude, de la rêverie.

Je suis à côté des autres, je les laisse s'agiter, je reste à côté

Leur présence me gêne plutôt et je suis heureux lorsque je me retrouve seul.

Je suis en classe, je regarde, j'écris soigneusement.

J'ai envie d'aller aux toilettes. la dictée finie, je demande la permission, je sors. Je me retrouve seul, libre dans la cour qui brusquement me parait vide, et immense sans tous les autres. Je marche vers les toilettes, je marche dans les graviers, regarde le mur de la classe s'enfoncer dans la terre, l'ombre de la marche, tout me semble soudain intéressant.

Je rentre, fait pipi tranquillement, seul. Et puis, je me lave soigneusement les mains. Tout recommence, le retour au soleil, l'herbe étendue libre, les graviers qui crissent sous mes pas. Je rentre dans le bâtiment, le couloir, avec tous les manteaux qui annoncent déjà les autres, et puis j'ouvre la porte, le bourdonnement de la classe m'envahit, je me replonge dans le monde des autres.

Mes jours, mes semaines sont faites de petits instants comme celui-là.

C'est par eux que je remonte à la surface et aspire à pleins poumons une bouffée d'air avant de reprendre ma place dans mon petit rôle d'élève.

J'ai neuf ans.

 

J'aime voir ton corps se cambrer

Ton corps se tend, 

moi j'ai les mains sur tes hanches

Tes seins sont deux plateaux 

où je dépose mes baisers.

Et toi tu tends la fleur éclatée

De ton pubis.

Je souris, tu ris.

Et me mettant à genoux

Je bois le nectar 

de la fleur noire 

que tu me tends.

 

14.6.73

 

L'école, il me semble que je me développe envers et contre elle.

J'y apprends de moins en moins de choses qui me rapprochent du chemin.

La route mène ailleurs, mais il y a l'école, avec son énorme carcan qui me pèse dessus et m'anéantit.

Mon imagination devient alors le seul instrument de spéculation et de découverte.

Si je baisse la tête et me mets sous son joug, je perds l'idée de grandeur et de bonheur, mais je gagne la sécurité et le plaisir.

Mais je sais aussi que j'ai trop avancé sur l'autre voie pour ne pas être banal en m'aliénant. En refusant de baisser la tête, je serai exceptionnel ou je mourrai. Je pense qu'il vaut mieux choisir la deuxième solution...

 

Je suis de plus en plus sûr qu'une trop grande culture livresque finit par étouffer la sensibilité d'analyse de l'instant vécu au présent.

 

Ainsi la majorité des gens vivants à notre époque sont sensée être maitres de la culture et donc, capable de préparer le devenir de l'Homme.

Mais ils sont en fait esclave de cette culture, et vivants à côté du présent, les gens conduisent comme des aveugles une voiture dont la vitesse ne cesse de croître.

 

18.6.73

 

L'étude du XVIII siècle me montre combien l'important n'est pas de dire quelque chose de fondamentalement nouveau, (car tout a été écrit), mais de sortit des mots maintenant creux, avec lesquels ont été dites, dans le passé, des choses qui deviennent présentement essentielles.

Ainsi, la pensée humaine à travers les siècles, ressemble à la vague : toujours entrain de combler le creux qu'elle a formé devant elle.

Un jour peut-être, elle se brisera sur une grève sans être arrivé à l'Unité. Elle s'effacera petit à petit, comme la vague d'une onde, et il ne restera plus que l'immensité plate de la mer.

 

Je me souviens d'avoir rêvé

Que l'on vivait

Autour

D'un grand pommier d'amour

Par de doux jours pareils aux nuits sans lune 

Et l'on passait le temps à caresser des chats

Tandis que des filles brunes

Cueillaient les pommes une à une

Pour les donner aux chats.

APOLLINAIRE.

 

3.7.73

( A Montbard ,seul )

 

Mélange Salon :

- Crème de marron

- Cigares

- Crème de cassis à l'eau

- Cognac

 

On picore un peu de chaque selon l'instant.

Il est très important que chacun des constituants soit de très bonne qualité.

 

Il me semble qu'il y a longtemps que je n'ai pas écrit sur ton dos, cher cahier.

Pourtant, il semble que ce long temps n’excède pas dix jours

Il m'est arrivé depuis plein de choses : refusé en terminal à St Martin ;

Patrick Fellus et Patrick Marant; Denis Lo Jacomo

 

Mais laissons les petits faits réels, qu'importe, ils existent déjà par eux-mêmes.

Rien ne sert de les répéter, seul importe ce qui n'a pas été fait, ce qui existe derrière dans l'ombre des êtres croisés.

Aux croisés des chemins

Derrière le cœur, à l'accroche cœur.

 

 

 

J'aime Patrick.

Il faut que je retrouve les mots. Les mots m'échappent. J’ai du mal à de nouveau me remettre à écrire avec en même temps une très grande envie.

J'aimerais te raconter mon bonheur, les faits qui s'enchainent, le monde qui devient une œuvre d'art.

Le hasard a disparu. Je suis maitre du destin, l'avenir semble apparaitre derrière-à travers le reste de brume de ma vieillesse.

C'est pour que l'âme rajeunisse que le corps vieillit.

 

4.7.73

 

Je t'aime comme le cheval qui pleure

L'eau douce enfance de ton cœur

Enfonce ta main dans le sable

Je suis plus au fond

J'ai envie

Ne joue pas

Il est très tard pour jouer

Enfonce ton corps dans le mien

Que le soleil meurt

Je suis eau

Un fleuve vient de se jeter dans mon cœur

C'est ton amour

Le soleil a disparu

Et je souris dans la nuit.

 

Toute union, avant que chacun des partenaires ne se soient acceptés et assumés porte en elle sa fin.

En effet, l'amour puissant qui caractérise le début d'une union, implique une intériorisation profonde de son partenaire.

Cette intériorisation provoque des transformations dans la personnalité.

Et ces transformations, étant l'empreinte de la personnalité de l'autre, ce dernier verra son partenaire prendre petit à petit ses traits, et il lui deviendra de plus en plus haïssable à mesure qu'il se reconnaitra en lui.

Sans compter tous les effets néfastes des intériorisations de l'autre.

Ainsi, le temps, au lieu de consolider l'union, la rendra plus difficile.

Je pense que c'est l'une des causes des échecs conjugaux.

 

 

7.7.73

 

Je viens d'arriver à Carnac, dans la maison. Hier, j'ai vu Patrick et j’ai diner avec lui. Vu "Love". Soirée extra.

Pris le train à I0h 40.

Je suis heureux.

Dans le train pour Paris, revu totalement le scénario du film que je voudrais faire.

Titre : Arcos

Thème : Les trois formes de l'amour fondamental :

l'amitié 'amour, la mort.

l'amitié et l'amour avec un garçon 

l'amour, avec une femme

la mort, l'orgasme absolu, l'amour avec l'humanité 

 

Et trois heures après, sans que je ne lui ait rien dit de mes pensées durant, Patrick m'emmène voir "Music Lover".

 

Suite de l’effeuillage des souvenirs de l’enfance :

Ce n'est que la dernière année que je découvris autre plaisir. Dans la maison "de Grand", à laquelle j'appartenais, la monitrice organisait des veillées tous les vendredis soir.

Les veillées se terminaient par des histoires à épisodes qu'elle nous racontait. Ma tête était pleine de pareils histoires que je me racontais dans ma solitude. Un jour je lui en fis part. Et je me mis à les raconter tous les vendredis. Je pris en quelque sorte sa place.

Brusquement 'extérieur, je devins le centre du groupe. On m'appelait "grand-mère" ou "mémère". Cela même qui m'écartait du groupe m'y ramenait.

Je fus brusquement très entouré. Et découvrais une autre forme de solitude.

J'avais 11 ans.

Ces histoires ayant pris de la valeur à mes yeux, par l'intérêt qu'y apportaient les autres, je me mis à les raconter à tout bout de champ. A mon petit frère, ou à toute grande personne qui acceptait de m’écouter. Certaines gardent encore le souvenir de ce petit garçon qui les prenait presque d'une manière autoritaire à part, pour leur raconter des histoires.

J'écrivais des histoires, mais il y en avait une surtout que je développais indéfiniment. C’était l'histoire de deux jeunes garçons, l'un riche, l'autre pauvre, qui devenaient amis. Le pauvre était orphelin, et bientôt, il habita chez le riche ? Mais les parents de ce dernier moururent. Et ils se retrouvèrent tous les deux seuls. Alors, ils vendaient la ferme et le bétail, gardant leurs animaux préférés et partaient dans un charriot à l'aventure. Et leurs périples à travers la France donnaient lieu à de multiples épisodes. Une des variantes consistait à les faire traverser l'océan, et à partir à la recherche de l'Amérique.

Comme on le voit, le jeu était infini.

J'inventais pour me raconter des histoires, le soir, de multiples épisodes. Et je me racontais même plusieurs fois pas épisodes les plus rocambolesques, et j’y ajoutais de temps à autres un perfectionnement.

Leur succès venait sans doute du fait qu’ils avaient été polis, nuit après nuit.

 

27.7.73

 

La vie fuit tout doucement, le pays que je traverse je ne le connais pas.

Ce n'est plus le rythme de ces week-ends et de ces rentrées à St Martin, qui me maintenaient en constante souffrance et me faisaient écrire.

Maintenant, le temps glisse. Parfois j'ai l'impression depuis quelque temps, d’avoir perdu le fil. Peut-être est-ce parce que j'ai un pays à traverser ; après, les fruits apparaitront.

Et puis toujours cette difficulté à considérer comme sérieux ce que les autres appellent choses sérieuses.

Parfois, je me sens heureux, peut être le suis-je de plus en plus parce que de moins en moins sensible à ce qui m'entoure.

Il me faut gravir tous les chemins détournés, porter les peines, et mon orgueil, et mes défauts idiots.

Allez, allez, je n'ai rien à dire, tout à apprendre.

J'ai fait le vide entre la vie, tu es chez toi, en moi, 

ouvre moi, écartèle moi.

Va la vie, enlève ton masque.

Si tu es un bandit, tues moi.

Si tu es une fille de joie, je veux être le phallus dont tu mourras.

 

9.3.73 nouvelle:

 

MURT.

 

Il y a très longtemps, dans un espace à quatre dimensions comme le nôtre, existaient des êtres d'une forme humanoïde, les Hémods. Ils vivaient dans une immense salle sans issue, dont les murs étaient peints de couleur sable de mer, de nuages, de ciel,...

En un mot, couleur de terre infinie.

Parmi les gens qui y avaient, il y avait deux sortes:

Ceux qui ne s'étaient jamais cognés aux murs 

ceux qui s'y étaient cognés.

 

Les premiers vivaient tranquillement, croyant leur domaine infini, et développant de grandes théories sur le fait qu'ils étaient le centre de ce domaine.

Ils s'agitaient, faisaient de grands discours sur la vie de la mer qui était peinte sur des murs, sur le bien et le mal, et sur le latin...

 

Les seconds, leur rencontre avec le mur ayant eu différents effets, certains qui, pleins d'illusions étaient entrés dans le mur en courant, étaient morts sur le coup. Les autres, le plus souvent, le rencontrait en marchant, et en se cognant, devenaient fous. Enfin, quelques-uns trébuchaient juste contre le mur, parce qu'ils jouaient à colin-maillard, (ou pour toute autre raison) ...Mais la plupart, se redressaient, et passaient leur chemin comme si de rien n'était.

 

Bien, laissons-là ces descriptions générales et donc inexactes.

 

Un jour, un enfant hémod marchait en se racontant une histoire :

il portait un bâton pour faire le tour du monde, et arrivait dans une île où il rencontrait une jeune fille merveilleuse. Elle lui apprenait comment transmettre par le regard les sentiments les plus complexes. Alors, libéré de la prison des mots, perdus dans les yeux l'un de l'autre, elle lui racontait la vague qui éclate sur la grève, et lui, la même chose, ou bien son amitié folle, et puis son désespoir d'hier, son bonheur d'aujourd'hui, enfin, 

lui, lui,

Elle, elle, 

L’amour

L’amour

La mort 

 

Fatigué de marcher, il s'appuya, rêveur, sur le paysage. Et le paysage, l'horizon, le vide tint. C'était l'un des murs de la salle.

Il sentit que sa position était bizarre, ouvrit de grands yeux, et découvrit avec ébahissement qu'il était adossé à un mur. Il le palpa, le gratta, le cogna…

Un espoir insensé naissait dans son cœur, la jeune fille merveilleuse était derrière ce mur. Alors, il se jeta contre lui, et essaya de le déchirer.

Mais le mur resta impassible, et les mains en sang, il se mit à pleurer.

La nuit tombait, il fallait rentrer, sinon, on le punirait. Il toucha une dernière fois le mur-horizon, et lui tourna le dos.

Il marchait dans l'herbe mouillée, les yeux perdus dans les dernières lueurs du soleil. L'atmosphère se rafraichissait.

Petit à petit, les implications de sa découverte lui apparurent et s'ordonnèrent. La paix de la nuit le pénétra, il comprit l'inutilité de sa colère.

Amoureux de la terre, il s'allongea, et enfouit sa tête dans l'herbe mouillée.

Au fond maintenant, tout était possible. Il s'endormit en pensant à la jeune fille, derrière le mur. Il l'avait baptisé Claire.

Le soleil se levait. Il avait marché toute la nuit durant. Et maintenant, il se trouvait devant la porte de papa-maman hémod. Ils avaient du être très inquiets. Il hésite à entrer, mais que craignait-il maintenant ? Une seule chose comptait, c’était de dire, de crier qu’il y avait des murs et qu'il fallait les détruire, et que le bonheur était derrière.

Alors, il entra dans la maison ; l’entrée était vide, il appela. Il entendit la voix de sa mère qui l'appelait. C'était plutôt une question, comme si elle doutait qu'il fut revenu. Il monta vite l'escalier. Sa mère descendait à sa rencontre, le visage illuminé de joie. Alors avant qu'elle ait pu ouvrir la bouche, il lui cria :

"Maman, Maman, j'ai découvert quelque chose de fantastique, nous vivons entre quatre murs, le ciel, les étoiles ne sont que des illusions et derrière il y a des choses bien plus merveilleuses."

Sa mère le regardait, sans faire attention : "Mais que t'est-il arrivé ?... Je te pardonne, mais va vite à l'école, sinon, je vais me fâcher tout à fait.», dit-elle avec un grand sourire.

"- Mais Maman, il faut détruire les murs, tu te rends compte, nous sommes comme des aveugles, des..."

"- Allez, allez, pars vite à l'école, je ne veux pas entendre tes histoires." 

 

Il partit à l'école, pensant qu'il monterait sur l'estrade, au milieu de la cour ; et qu’il leur dirait a tous, et au professeur aussi, qu'ils se trompaient, qu'ils parlaient pour ne rien dire, car ce dont ils parlaient, la mer, le soleil, tout n'était qu'une image peinte sur un mur, et que l'important, c'était de détruire les murs, pour découvrir enfin le Vrai Monde.

 

Quand il revint de l'école, il n'avait toujours rien fait. Il avait compris assis au milieu de ses camarades, qu'on lui rirait au nez, que les autres ne comprendraient pas, et qu'il serait juste mis à la porte pour cette remarque intempestive.

Et ce soir-là, il pleura dans son lit.

 

Tout le monde lui refusait son secret, et pourtant, au fond de lui, se développait sa réflexion, la certitude grandissait en lui que le plus important était derrière ce mur.

 

Un jour dans un devoir de Français, il écrivit :

- Chacun de nous refuse la réalité, lorsque nous trébuchons dessus, nous nous éloignons vite. Elle est trop fantastique. Si nous en prenions conscience, nous serions devant l'impossibilité de faire comme les autres, de vivre tranquillement, d'aller à l'école, à l'usine ou au bureau. Alors devant de telles conséquences, on se crève les yeux, on oubli.

Et l'immense besoin de vivre qui reste au fond de nous, nous ne sommes plus capables que de le projeter que dans un fantastique de Prisunic, grossier et vulgaire.

Il y a aussi le cas extrême des gens dits" sérieux", qui par d'affreux catharsis, oublient même jusqu'à ce besoin de Vie.

En vérité, nous vivons au milieu de murs peints au début des âges.

Ils nous environnent de toute part. La réalité est derrière.

Il faut que dans une grande fête, ils soient détruits.

Et pourtant, au contraire, à chaque instant, nous brisons le miroir qui reflète notre situation ambiguë.

 

Le professeur dans son appréciation, écrivit : « Vous perdez le bon sens, pour vous lancer dans des spéculations confuses sur un thème qui échappe rapidement à votre lecteur. »

Après le cours, il alla voir le professeur, et lui dit : "Cette spéculation confuse, comme vous dites, c'est là toute ma vie. Et ces mots écrits sur le papier, sont de la même matière que le sang que j'ai laissé sur le mur, il y a trois jours."

"- Mais, mon petit monsieur, vous n'êtes pas là pour faire de la philosophie. Vous êtes là pour acquérir les instruments de la logique, de réflexion d'expression, qui vous serviront plus tard, et qui vous manquent beaucoup..." 

Le professeur vit avec désappointement son élève lui tourner le dos.

 

Ce dernier sentait confusément qu'un être qui a passé plus de vingt ans de sa vie à faire semblant, de taper sur un clou, a de grandes chances de ne plus pouvoir jamais taper sur un vrai clou. Et que l’exemple typique de la victime était le même. Et puis d'ailleurs, il n'avait pas eu besoin d'un instrument pour découvrir le mur, il l'avait découvert un jour d’école buissonnière, en rêvant. Seule la destruction du mur comptait, et il suffisait que chacun soit un peu moins hypocrite et ait le courage de vivre. Chacun prendrait alors une pioche, - qui ne sait pas se servir d'une pioche ? -, et l'on serait prêts à la découverte du monde nouveau.

 

A partir de ce jour-là, les devoirs de Français, qu'il aimait tellement auparavant, lui donnèrent la nausée. Les méandres boueux des cours lui devinrent insupportables.

 

Il commença à lire ce qui pouvait se rapporter de près ou de loin, au mur.

Il découvrit que des centaines d'Hémods avaient découverts l'existence des murs.

Mais la plupart étaient morts, et ne semblaient guère croire en plus de succès que lui. Il se découvrit une immense affection pour tous ces êtres qui s'étaient battu comme lui pour la destruction du mur, chacun à leur époque.

Et chacun de leurs mots dont il connaissait maintenant si bien le sens, faisaient vibrer son cœur. Il n'y avait pas de doute, il fallait détruire le mur à tout prix. Il voyait le professeur s'agiter sur l'estrade.

S’il y avait quelque chose d'infernal et de véritablement maudit dans ce temps, c'était de s'attarder artistiquement sur les formes, au lieu d'être comme des supplicies que l'on brûle et qui font des signes sur le bûcher.

 

Maintenant, il a quitté l'école.

Il est devant le mur

Brûlés les livres du mensonge

Laisse éclater son grand rire libre

Et est parti à la recherche d’une issue.

 

Le temps passera, il me laissera au moins quelques instants pour leur dire en deux lignes ou en des milliers qui tu es.

Va pieuvre sans tête, va la vie, entre, je veux être ton amant ;

bien tard, je le veux; tu seras mon esclave.

Alors, mes mains te pétriront, et tu seras la figure de mon destin au monde.

Entre la Vie.

Je ne suis qu'un enfant, mais je te veux avec mon sexe, mon esprit, mon corps...

Et un jour, mes mains te pétriront, tu seras une glaise molle, et avec ton corps immonde, je dessinerais l'image de Dieu.

Et dans des milliers d'années, répercutée sur les murs des êtres, 

tu réapparaitras. Alors, nous nous reconnaitrons.

Et la vie sera un immense bonheur, une fête sans fin.

Cela je le veux. Je l’aurai ou je mourrai.

Et c'est dans l'ordre, car vivre dans une autre maison que la Vie, c'est être mort.

Et la vie vint, mais il avait ouvert une porte si étroite, et c'est ainsi qu'il mourut.

Oh, mes amis, tirons, ouvrons grand le portail, bien qu'il soit lourd, pour qu'enfin, la Vie puisse entrer.

 

« Accepter vous comme des êtres sexuels et physiques, et percevez les autres dans le même esprit, n’ayez pas peur de votre sexualité. Ne craignez pas les mots soi-disant obscènes. Ce ne sont que votre peur inutile qui les rends mauvais et vous coupe physiquement de ceux-là qui vous sont proches et chers.

Quand les hommes et les femmes sont séparés physiquement de ceux là, ils deviennent dangereux, agressifs et cruels.

Il faut surmonter la peur du sexe. Il faut restaurer la vague naturelle du mouvement de la vie. Si vous ne remettez pas un peu de chaleur dans cette vie, je prévois un désastre sauvage pour un prochain avenir. »

D.H. Lawrence

 

 

29.7.73

 

Départ pour l’Angleterre 

 

 

 

 

CAHIER 1973 août II bis 

(Correspond au voyage en Angleterre) 

 

6.8.73

 

J'ai laissé mon ancien cahier en France, je pensais ne pas écrire pendant mon séjour en Angleterre. Mais depuis ce matin, je ne pense qu'à me retrouver tranquille devant une feuille de papier blanc, suivie de nombreuses autres.

Il me semblait, alors que je n'avais pas écrit depuis quinze jours, être comme un bateau à la dérive.

 

Je suis sûr que je ne serai totalement capable de passer à un stade plus haut tant que je ne serai pas totalement épanoui en homme de chair.

Au fond, des dizaines d'occasion de vivre, quelque chose, de combien ai-je su profiter ?

D’une ou deux, et encore, ce sont celles qui me paraissaient les moins fantastiques, les plus banales ; celles qui correspondaient le plus à quelque chose que j'avais déjà vécu.

Pour les autres, je me trouvais brusquement les bras coupés, bégayant, tout mon être refusait la vie, se donnait de bonnes raisons, et s'emberlificotait dans des pensées inutiles.

Oh oui, pour les petites choses, ça va très bien. Oui ,dans les petites vagues, je me roule, je mets la tête sous l'eau et je suis très fier de moi.

Mais lorsqu’une grosse vague arrive, avec de l'écume plein la tête, de tout mon cœur, je l'admire, rêve d'y plonger, je sais qu'elle vient pour moi, vers moi...

Je sais que personne d'autre ne la prendra, si je ne la prends pas. Et elle roulera alors sans utilité sur le sable.

Je recule, recule, bégaye, essaye de plonger, recule encore, lui fait des discours,....

Et sur le sable, humide, je la vois éclater, toute seule. Et je lui reproche mes mots inutiles. Et le calme silence de la mer me répond qu'il n'y avait rien à dire. Alors une immense angoisse nait au fond de moi. Les sanglots montent dans ma gorge. J'ai l'impression que je ne naitrai jamais à la vie.

 

Désespérément, je me mets à chercher le reste de la vague. Peut-être arriverai-je à la reconstruire ? Et absurde, je prends l'écume fuyante à pleines mains.

 

Et c'est encore une autre manière de ne pas voir la nouvelle vague qui vient à moi.

Il y a de multiples manières de rater une vague.

Comme de se jeter trop tôt à la mer...

 

 

 

7.8.73

 

Brusquement, je m'aperçois de l'importance de mes amis en France.

Ils sont une eau connue où je navigue à pleine vitesse tranquillement.

Hors de ce monde, que je me suis construit, je suis un peu comme un monstre.

 

Les garçons de mon âge me repoussent. Et une fois cette répulsion dépassée ,ils m'ennuient. Le pire, c'est que je me force à essayer de m'inclure parmi eux, en me disant que c'est moi qui suis anormal. Mais alors mes gestes sont vraiment faux. Et c'est pire qu'avant, parce que cette fois, je me sens vraiment méprisable.

 

Lorsque je reste moi-même, alors que je ne m'y attends pas, je m'aperçois qu'on m'aime bien. Mais je reste toujours celui avec lequel on ne peut pas discuter, normalement, celui qui introduit un malaise.

 

Peut-être qu'en feignant leur vulgarité, elle devient brusquement évidente, parce qu'elle se détache sur le fond qui émane de mon être.

 

Ce qui me console, c'est que je ne suis pas tout seul.

Je reconnais de plus en plus rapidement ces autres, ces êtres avec lesquels je n'ai pas besoin de jouer ; et qui tout de suite s'éloigneraient de moi, si je ressemblais un peu à tous les autres.

Tout de suite, une sorte de communication s'effectue, et parfois, elle est déjà si forte avant que les mots soient échangés, qu'au lieu de devenir un moteur d'union, les mots deviennent un mur ??

 

Le mieux est de s'approcher sous un masque et de le retirer brusquement.

Alors l'autre est surpris, ne comprends pas, vous pouvez remettre votre masque et lui parler de la pluie et du beau temps.

Ou alors, il dit : "je ne pensais pas que tu étais comme cela". Et une communication s'établit tout de suite, avant que la charge affective ne soit trop forte, et l'empêche.

 

Le paradoxe est la seule proposition qui porte en elle sa propre contradiction, et n'est pas partial.

 

 

 

 

Cahier 1973

 

15.9.73

 

Je suis depuis mercredi à Montbard. Je m'installe.

Au début, c'était difficile, et puis, j'ai fait petit à petit un peu mienne ma chambre. Il a fallu trois jours d'installation et de rangement.

Je crois qu'il y a une profonde exaltation ce soir au fond de moi.

Tout est bien rangé autour de moi. La chambre est prête pour l'hiver, pour le découragement et la découverte, le plaisir et le malheur.

Dans six jours, c'est le grand départ.

Cette fois, je l'ai choisi, j'ai choisi la pente de mon destin, j’ai choisi d'écouter à chaque instant une force profonde, Dieu.

Mais j'ai choisi aussi l'accélération exponentielle de mon être dans la vie.

C'est à dire la multiplication infinie des dangers, des possibilités, des gouffres…

 

Ce que je sais, c'est que devenant une unité de plus en plus profonde, j'aurais pour chaque combat un potentiel de forces suffisantes pour vaincre et l'erreur ne pourra venir que de ma faute.

 

Au fond mon seul travail sera de détruire de moins en moins Dieu. De le trouver, de le laisser faire. Alors tout ira bien.

Si à un instant, je recule, d'un pas sur cette route, alors l'individu Michel Saloff perd tout intérêt pour moi. Il s'abolit dans sa divinité.

Et dès cet instant sa mort m'est plus indifférente que celle d'une mouche.

 

"il vaut mieux rêver sa vie que la vivre, encore que la vivre, c'est encore la rêver."

( Proust ).

 

J'ai fini de préparer à l'oubli mon cahier fait en Angleterre.

 

Maintenait, mes souvenirs se déposent au fond de mon esprit conne des cendres qui se seraient envolées, un instant emporté par le vent tourbillonnant.

Et l'opacité crée par leur vol, disparaissant, un grand vide se fait autour de moi.

 

Mes pensées n'ont pas encore repris leur profond cours du temps où je suis sur la grève.

Je sors de l'eau et pour l'instant, je sens surtout l'absence de l'eau.

Pourtant déjà, lire Proust m'a donné une grande joie. Il y a près de trois mois que je n'ai pas ouvert de livre pour une longue lecture.

Cette après-midi, je me suis plongé avec douceur dans cette synthèse d'être qu'est un livre.

Léonard de Vinci disait que le plus beau visage est celui qui reflète le mieux l'âme qui l'habite.

Même les êtres les plus laids deviennent beaux dans les livres, car alors qu'ils sont en réalité une expression, ils deviennent alors au second degré la matière d'une expression.

 

Le vide a fait la maison morte

Le crissement de l'aubépine

Enfonce ses lèvres dans mes yeux

Et le vent réagit doucement

En frissonnant dans le couchant

 

J'ai tué la mouche 

et écrasé la crotte

Dans la rue déserte

Avec mes pieds et mes mains

Hier encore...

 

Je suis dans un drôle d'état en ce moment, je n'arrive pas à aligner trois mots. C'est comme si tout mon être se vidait de son passé ; je suis seul à Montbard dans une immense maison vide.

Il y a quelques jours, tout ce passé était terriblement présent, comme obsédant, et voilà que c'est le contraire maintenant.

 

J'ai l'impression d'avoir envie de rien. Tout me semble indifférent et je dois me forcer à écrire.

Le temps s'écoule, j'ai du mal à fixer mon esprit sur une pensée profonde.

Cela vient sans doute de ce vide qui m'entoure.

Je dénote une sorte d'agressivité retournée contre moi même.

J'attends et je ne sais pas quoi.

Je me demande si je suis vraiment conscient ou si je rêve ; oui, c'est un peu comme dans un rêve, on se sent inquiet, avec un certain malaise sans savoir pourquoi.

 

Plus rien ne venant me toucher, tout étant immobile autour de moi, je dois flotter avec l'attention détachée.

 

Encore un autre paysage intérieur

 

"Better one living word than a hundred dead" (W.G. Benham. )

Je pense qu'écrire, lire, peindre, tout cela me prendra de moins en moins d'importance dans ma vie, tandis qu’elle deviendra par elle-même peinture, mots, musique.

 

Lettre au Père Caffin :

 

A Montbard, le 23 septembre 73,

 

Ne prends pas garde à ce que tu mangeras demain, et à l'endroit où tu habiteras, et si ce sera bon ou mauvais.

 

Regarde les oiseaux du ciel, Dieu leur a donné nourriture et asile...

Il le donnera d'autant plus à toi qui es son fils.

 

Je me rappelle d'une utopie que j'avais senti crier au fond de moi, à peu près vers le début du troisième trimestre.

J'étais alors venu vous voir, et il semblait que ce n'était pas moi qui parlais, et je ne savais plus très bien si c'était parce que la source était trop profonde, ou trop superficielle, comme celle d'un rôle de théâtre.

Sans doute étais-je réduis à jouer l'être le plus profond de moi-même ;

Ma silhouette n'avait pas encore la force de le porter ; de l'être...

Vous l'aviez senti; une vie trop intense pour une silhouette trop fragile.

J'étais plus venu pour me convaincre que pour vous convaincre.

Vous m'aviez prescrit de m'apaiser, de laisser reposer une si lourde décision :

"quitter l'école". Je passais d'un excès dans l’autre.

 

Et puis tout cela s'est construit tout seul, tranquillement, doucement : cristallisé.

Et c'est le mot, car petit à petit, les évènements et les êtres qui m'entouraient semblaient de moins en moins pouvoir se modeler, mais au contraire, ils semblaient se modeler autour du cristal.

 

La nourriture est venue à l’instant où il le fallait, et la moisson aussi.

La nourriture d’évènements…

La maison de calme...

 

Je suis heureux, très heureux, car en ce Noël 73, Dieu est vraiment né pour moi en ce monde. Et depuis, le monde est devenu un feu d’artifice ; il apparait grandi et me montre le chemin.

Je suis confus, il est trop bon ; je n'ai plus qu'à la laisser grandir le plus possible en moi.

Je m'y évertue, de toute ma conscience et de mon intelligence.

 

Je dis Dieu pour vous, car Dieu n'est pas mort pour vous.

Mais pour les êtres qui m'entourent, Dieu est mort.

Il les habite bien sûr, mais sous d'autres noms.

Aujourd'hui, j'apprends les différents noms de Dieu, pour pouvoir parler à chacun dans son propre langage. Car de quoi peut-on parler, sinon de Dieu ?

 

Chez certains, sachez-le, on a tué les mots. Il ne reste plus que le langage par excellence, celui des gestes, du corps, des actions, qui reste vivant.

Ce langage là est le plus dur à acquérir.

C'est celui du Christ.

C'est celui du don total, et de la possession totale.

C'est aussi celui de la naïveté totale et de l'artifice total.

etc...

Ce langage, je l'apprends tout doucement, très peu de gens le connaissent, à part ceux-là même qui ne connaissent que celui-là, mais par là même, qui s'en servent pour dire des choses bien peu intéressantes.

Je l'apprends auprès d'eux, faute de mieux, peut-être par amour du paradoxe, et aussi parce que certains l'ont poussé assez loin pour être à un niveau fascinant.

Et puis surtout parce que les êtres humains ne sont pas aussi schématiques que dans une lettre.

 

Je crois que chaque être, même le plus petit, a infiniment à nous apporter. Il suffit de l'accepter, de ne pas l'idéaliser, de lui montrer qu'on l'aime pour ce qu'il est.

 

Et déjà, on lui a donné infiniment...

 

26.9.73

 

Les êtres qui habitent cette terre sont autant de mondes riches et différents. Pourtant la plupart sont colonisés et détruits, cela en proportion de leur différence à la norme socio-culturelle.

 

La pire des destructions ne s'effectue pas dans les pays colonisés, car là, elle est visible, mais dans tous les pays dits civilisés, à l'intérieur de chacun de nous.

 

La colonisation et la destruction qui y correspondent n'a été possible que par notre propre autodestruction préalable.

 

Notre civilisation ne construit plus rien que d'éphémère, mais elle détruit tous les jours l'humanité.

Pour que la bête vive en nous, l'homme doit mourir.

 

Aujourd'hui, le monde est dépeuplé.

Chaque naissance est suivie d'une destruction de l'être.

 

Bien avant que nos images soient détruites par une bombe atomique, l'homme en nous sera mort.

 

Seuls les êtres qui se détachent de la dégénérescence de la civilisation occidentale pourront survivre ; et peut être aider cette grande malade dans sa mort, pour qu'elle ne fasse pas un malheur.

 

29.9.73

 

Cette nuit, j'ai fait de multiples rêves.

 

Je m'étais couché hier dans un drôle d'état. Sans doute l'état qui précède les crises de folie des fous…

Couché dans mon lit, je sentais tous mes membres tordus, posés anarchiquement sur le lit.

Comme un être distordu.

 

Quand je me laissais aller, je voyais une main hideuse qui grattait inlassablement la terre ; elle s'élançait dans l'air méchant comme pour attraper quelque chose et retombait sur la terre, où ses ongles noirâtres faisaient de longs sillons. Je m'abolissais devant cette main, je ne voyais plus que cette main, et en même temps la peur qu'elle créait...

 

A la fin, je me suis endormi, et j'ai fait différents rêves :

 

- Je rêvais que j'étais à St Martin.

Nous jouions aux boules. Et brusquement, on commençait à recevoir des boules qui venaient d'un autre endroit de l'école. Alors, le Père D'Aboville qui jouait avec nous, dit que puisse que c'était comme ça, il suffisait de faire la même chose. Nous nous mettions à lancer des boules.

Mais les autres étaient vraiment très forts. Leurs boules décrivaient dans le ciel d'immenses trajectoires et arrivaient sur nous avec une force terrifiante.

 

Puis brusquement ce n'était plus des boules, mais des BOMBES.

Elles tombaient doucement par milliers. Des milliers et des milliers et des milliers de bombes...

Mais arrivant sur terre, au lieu d'exploser, elles se posaient.

On sentait qu'elles étaient prêtes à éclater à tout moment, et lorsqu’on passait près d'elles, montées sur pivot, elles se tournaient vers celui qui approchait.

 

Nous essayons de nous sauver, terrifiés car nous allions tous mourir, mais on ne pouvait pas courir, de peur d'en renverser une qui alors exploserait. Puis, je vis Muriel qui essayait totalement maitresse d'elle-même, avec quelque chose d'extraordinaire et d'affreux dans les yeux, d'empêcher un garçon maigre, au regard fou, et au visage égoïste de courir.

 

Le Père D'Aboville rassembla les êtres terrorisés et on se mit à prier. Ce fut extraordinaire ; tout le monde se jetait à genoux, et se mettait à prier ; comme fasciné, hypnotisé...

Nous étions au premier rang, Muriel et moi, nos regards se croisèrent, comme deux appels de tout l’être.

 

- J'ai rêvé aussi aux Guépins.

Ce sont des rêves toujours merveilleux, et cauchemardesques à la fois.

 

Il semblait que nous étions dans une ville toute délabrée.

Chacun avait l'aire débauché.

Il y avait plein de maisons grandes et sales, pleines de lumière et de rideaux, imbriquées les unes dans les autres;

Je les retrouvais souvent dans ces fouillis de meubles et de tentures. Il y avait beaucoup de gens, ils finissaient par ne plus devenir qu'un vaste décor. Il semblait qu'il n'y avait plus aucune barrière entre nous.

Nous résumions chacun dans notre corps. Nos corps résumaient toute notre âme.

 

Je regarde Laurent nos mains se joignent. Elles deviennent la rencontre de deux envies. Et cela devient une musique merveilleuse tandis que l'orchestre sourd et que nos corps montent tout doucement au fond, pour éclater, et définir enfin la note essentielle.

 

31.9.73

Après un week-end à Paris, je me retrouve seul à nouveau dans la maison de

Montbard. Je me demande ce qui arriverait si mes cahiers disparaissaient.

Ils sont pour moi ma dérive, ce sont eux qui me permettent de distinguer la grande direction de ma vie. Ils sont la graine de la plante que je me prépare à faire pousser.

Ils sont la vie éternelle. Mon éternel crachat à la face du monde. Mon éternel baiser au monde.

 

La vie passe, mes idées s'éparpillent.

Le peu que j'ai vécu me montre simplement que j'ai encore terriblement à vivre, qu'il faut le vivre rapidement à fond.

 

Ma vie est celle d'un surfman. Je ne tiens que tant que je suis sur la vague. Si je roule sous la vague, je meurs en me fracassant le front sur le fond, où vivent tous les autres, en travaillant laborieusement contre le courant. Je sais qu'à ma première erreur, ils se jetteront sur moi.

 

La seule preuve du monde que j'affirme, c'est moi même.

Ils l'admettront et l'admireront tant que mon visage reflètera la victoire. A l'instant où je l'oublierai, ils n'auront pas pitié, car leur pitié nait de la ressemblance, elle est le fruit seul de leur imagination. Ils n'auront pas pitié de moi parce que je me serai posé comme autre.

 

Il n'y a pas de subjectivité, la subjectivité n'est qu'un nouveau regard sur la chose, qui permet de la saisir dans l’une de ses multiples existences-objective. Dans ce sens, la subjectivité est profondément créatrice, elle est création. Elle est le centre de l'homme et fait qu'il soit créateur, (révélateur).

 

Car l'animal lui n'est pas subjectif. Il ne voit l'objet qu'à-travers- un seul niveau, il ne connait qu'une fraction infini-minimale du monde.

 

Alors que l'homme, grâce à sa subjectivité, s'il la développe, peut connaitre totalement le monde.

 

Dans mes cahiers précédents, je basais tout sur la contradiction : monde intérieur de l'homme - monde extérieur.

Je ne la renie pas vraiment car elle reste un moyen de comprendre un niveau de l'homme.

 

Les termes de "en soi" et "pour soi" sont aussi très intéressants et permettent à l'esprit de faire le premier pas vers une conception dialectique du monde.

Mais ils doivent en fin de compte être dépassés devant la vision globale.

 

1.10. 73

 

Je suis assis entre deux chaises, 

un avenir que je n'ose pas encore 

un passé qui ne demande qu'à m'engloutir.

Ma solitude tourne autour de moi. Je revois toujours les mêmes visages de moi-même.

 

On n'a souvent reproché d'être brouillon. Je m'aperçois maintenant qu'il ne me semblait ne pas l'être uniquement parce que les structures auxquelles je m'opposais étaient profondément structurées, et par là même, mon opposition se structurait presque parallèlement à ce à quoi je m'opposais.

 

Je me retrouve tout seul, plus rien ne s'oppose à moi. Je pars à la dérive. Mais dès que je commence à la sentir, comme un mal de solitude, je m'y oppose. Mais mon ennemi n'est autre que moi-même.

Il faut alors que j'analyse mes propres relations avec moi-même. Et là, je cafouille, je recommence mille fois le même raisonnement. Et je n'arrive pas du tout à structurer ma pensée.

 

Dans ma solitude, le monde extérieur n'est plus dû qu'à ma propre organisation.

Il devient ce que je veux bien qu'il soit, il devient mon reflet.

 

Le moindre objet que je regarde pour échapper à moi-même est devenu encore le reflet de moi-même.

Seule sa matérialité résiste un peu, mais c'est un concept, et les autres" ne sont plus là, qui me rappelait à chaque instant la réalité de ce concept.

 

En société nous sommes constamment en train d'essayer de détruire notre propre subjectivité, pour pouvoir trouver un "lieu commun" où pourra se développer la communication. Mais arriver au but, il n'y a plus rien à dire, à part I ‘absurde de cette situation.

 

L’objectivité est fondamentalement un « lieu commun » qu’il serait temps de laisser au concierge.

 

Le poète est celui qui quitte le « lieu commun » ; il est donc associable par définition. Il est celui qui découvre chaque chose à chaque instant différemment. De cette vision, nait son art.

Il est celui qui a plus à dire, et celui qui sait le mieux l’impossibilité de dire.

 

2. 10. 73

 

Bach est mon esthétique, Mozart mon ethnique, et Haydn ma débauche.

 

Ce matin, je n'ai pas pu travailler, surtout une fois fini l'essai sur Montesquieu. Je me trainais.

Je n'ai pas mangé. Après deux heures, je me suis affalé sur mon lit.

 

Tout me semblait creux et vide. Tout me répugnait. Je me suis endormi je crois.

A la fin, je me suis secoué, et suis parti à la MJC. Là, j'ai rencontré une fille. Petit à petit nous nous sommes mis à discuter.

Je suis heureux d'une nouvelle rencontre, c'est fou ce que cela peut me rendre heureux de rencontrer un être dont chaque mot résonne profondément en moi.

Je crois que je l'aime déjà un peu..., beaucoup...,à la folie...;

Ils sont comme de multiples œuvres d'art que j'aurais créé mais oublié, et que je retrouve. Des, œuvres d'art humaines... Ou plutôt, mes frères et sœurs, de toute mon âme, de tous les temps.

 

J'espère qu'elle va revenir. Mais j'ai toujours peur d'être de trop possessif, trop anxieux. C'est souvent à cause de cela que je gâche tout depuis le début.

 

Oh, va l'enfant

Porte le

De la vie

 

Oh va l'enfant

Tes yeux sont rouges

Des larmes de tes parents

 

Oh va l'enfant

Ton dos est criblé

De balles de tes enfants

 

Enfante la vie

Va qui ra-vie

Va qui te tue

Vas-y

 

Oh enfant

Crible de ton sang

La toile noire du monde

 

Dessine avec tes doigts

L'archange de ton rêve

Oh va là

 

Oh va l'enfant

Où la mort

Te prendra.

 

Dans ce/cahier projet de film " Le petit prince"

(Denis de Jacomo, Lorraine, Patrick Fellus, Patrick Marant).

 

 

Cahier 1973 3ème cahier de l’année 1973 (octobre- novembre)

 

7.10.73

 

Je crois que la division entre le monde extérieur et le monde intérieur est un bon point de départ. Point de départ seulement.

 

En effet il n'est pas sans correspondance entre la notion première qui apparait très tôt en moi, et l'autre, ce qui est autour de moi. Il est donc un axiome à priori d'une certaine valeur.

 

Il permet aussi de débloquer, avec les mêmes armes que lui, toutes les cendres qu'un dogmatisme toujours renaissant à accumulée.

 

Jeudi, j'ai eu une conscience profonde et très complète, dans la forme d'une contemplation d'un système permettant de comprendre les différents enchainements de centaines de choses qui n'étaient jusqu'alors échappées.

 

L'élément le plus intéressant de ce système et aussi le plus fou, est qu’il se permet de terminer ce qu'est physiquement la pensée, c’est à dire d'unir la pensée au monde physique.

 

Ainsi disparait non seulement intuitivement mais aussi rationnellement la différence entre le monde extérieur et cette « âme intérieure » de l’homme.

Les deux éléments ont alors simplement deux expressions différentes d'un même tout, comme la lumière n'est que de la matière ralentie.

 

Enfin, il permet aussi de voir nettement qu'il sera toujours impossible de voyager dans le temps. Mais qu'il nous est aussi à chaque instant possible de nous abolir du temps et de devenir intemporel.

Il permet donc de comprendre le Bouddhisme et toutes les autres religions.

 

Il fait comprendre quelles sont les raisons de la Mathématique, quelles en sont les limites, qu'elle est fondamentalement née d'une conscience sociale, mais que l'homme en tant qu'individu est en constant refus d'elle.

 

 

L'énorme différence entre ce système et celui que j'avais construit auparavant, est surtout:

• Dans l'étendue de son implication, critère qui ne permet le jugement de valeur : il est meilleur.

• Dans le fait aussi que l'ancien système disait que l'homme en tant que concept général, se définissait dans son évolution historique.

 

Il était un ensemble de forces contradictoires, qui tendaient à se transcender.

Cette longue translation se faisait au niveau de l'humanité, et d'une manière réduite chez l'individu.

La conscience des forces contradictoires et la manière dont petit à petit elle se transcendait, me donnait la notion d'Homme et du sens de l’humanité.

Et le monde échappait ainsi à l'absurde.

 

Cependant l'individu restait relativement absurde, car il n'avait aucune force véritable sur cette évolution de masse. Ou plutôt, il avait une force d'éléments de masse, mais dès qu'il dépassait par ses propres moyens l'évolution de masse, il pouvait devenir aussi massif que cette évolution, que s'il était en retard sur cette évolution.

 

Le sage devenait alors celui qui se rendait compte que les formes politiques, les formes de la vie, les défaillances générales, ne pouvaient pas être changées, puisqu'il était l'expression même d'un état historique, l'Homme en général.

 

Il ne lui restait qu'à se mettre à coté, et partir à la chasse subtile d'un bonheur toujours fuyant puisque absurde.

 

Dans le nouveau système, qui n'abolit pas l'ancien, mais qui est plus fondamental, comme les Maths modernes n'abolissent pas les maths traditionnelles, mais les éclairent plutôt et permettent de les comprendre d'une manière plus essentielle.

Dans le nouveau système donc, l'homme en tant qu'individu, prend conscience et son sens, car l'esprit pouvant se définir, faisant partie de la nature, peut arriver à une existence en dehors de son enveloppe matérielle, et infinie, lorsqu'il accède à sa dernière métamorphose, c’est à dire lorsqu'il tend infiniment à la non-existence.

 

Je note tout cela. Il est impossible d’exprimer le système en lui-même.

 

L'écriture, comme la musique, est un écoulement, est un fil qui se déroule; en variant à l'infini ses couleurs.

Le système qu'elle serait sensée exprimer, est un volume au nombre de dimensions infinies, et aux couleurs infinies.

Peut-être après avoir déroulé pendant cent ans du fil, en essayant de faire varier les couleurs le plus subtilement, pourrais-je donner une idée de quelques-unes des dimensions du système.

 

Mais celui qui voudrait vivre dessus, devrait imaginer toutes les autres, compléter, en fait, retrouver l'essence profonde, pour qu'il puisse de nouveau s'étendre à l'infini dans le cerveau de celui qui m'aura lu...

 

 

L’échec du doute occidental et son correspondant dans la pensée orientale 

 

Le doute méthodique nait de la conscience des « facteurs d'opinion »lié à la subjectivité (entre autres : tendances et habitudes sociales, Adaptation, Pression sociale) et la conscience qu'il existe au-dessus de la pensée déterminée, une pensée déterminante.

Cette pensée nait d'une critique des connaissances, mais aussi de l'intellect, et aboutit à la raison pure, qui se développe à côté et au-dessus de la pense déterminée grâce à la méthode. Cependant la méthode sous-entend le rejet de tout ce qui pourrait être contaminé par les pressions subjectives.

 

Cela revient à considérer comme réel et digne d’intérêt que le consensus du plus grand nombre, dans l'absolu, l'intersection qu'il y a entre tous les êtres humains.

Mais cette intersection n'est-elle pas cela même, vis à vis de quoi, l'individu humain se sentant autre, prend conscience de son moi, ce moi fondamental de l'homme : l'être.

 

La subjectivité n'est pas à rejeter au loin comme quelque chose de futile, alors que c'est l'un des caractères ontologiques de l'homme.

 

Mais la subjectivité est au contraire assumée.

Au lieu d'une cause d'erreur, elle devient le moyen de connaitre les multiples formes de l'objet, c'est à dire en fait de multiples visages de l'homme.

 

L'individu, dans sa destinés, dans le développement de sa subjectivité, prend alors tout son sens.

 

11.10.73

 

La nuit a passé

Au temps des gens sans passé

La nuit passe chavirée par la mer

La nuit passe

 

Ton rire s'est éteint

Oh, beau Pierrot

Ton rire s'est éteint, la nuit 

La nuit s'est faite dans le cœur

 

Et sombre comme la pluie

Les rêves terribles

L'heure n'a jamais existé

Au pays des sans pays.

 

Le terrible sourire du temps

Dans l'encens du haschich bleuâtre

S'en est allé à la mer

Et seul dans le flux de la nuit

Tu chavires

Sur un cri, doux, intangible.

 

J’étais-je ne sais où.

Je ne savais pas l'endroit alors

Alors j'ai écrit et mon écriture a révélé

L'image de mon paysage

 

Elle était floue

Alors j'ai dessiné

Et sous le papier griffons

Est apparu l'image de la mort

C'était au temps terrible du verseau.

 

Ensuite fort tard est apparut

Le grillon grillonant

Sonnant l'espoir 

Il barbouillait dans le vin 

Et moi mes mains tremblaient

Dessina l'image de l'araignée

Qui avait rongé mon âme.

 

Et tout se déversa

Comme un liquide bleuâtre et flasque.

 

Il restera toujours ce cahier

Pour te laisser à toi

Cher ami

Le souvenir de moi

Qui mourut si tôt

Si bêtement

Dans un lavoir

A pomme d'arrosoir

Car oui

Il fallait bien

Que mon cœur

Trop goulu, soit déçu

Je n'ai jamais survécu

Que par cette chaleur

Cette onde profonde

Nommée Amour.

 

Il fallait que l'on m'aime 

sinon je mourais 

Que l'on m'aime encore

Et que de nouveaux êtres encore m'aiment

Pour que comme le centaure

Je survive

Je suis mort

 

Je suis comme la fleur

Rien dans la nature

Tout pour la femme

Encore faut-il que la femme existe

Sinon je meurs

Aimez-moi

Caressez-moi

Que je rêve d'être beau

Jouez avec mes doigts

Car à l'instant où je deviendrai

Autre chose quelque part

Comme la vie n'existe pas

Je mourrai.

 

Car faut-il que je te le dise

Mes dessins sont bien plus beaux que ma vie

Les dessins sont mon vrai visage

Que je ne porterai jamais

 

Heureux toi qui les connu

Sans jamais m'avoir vu

Je t'aurais déçu avec mes bases maladies

Et mon visage 

Où un autre que moi-même 

A griffonné ses malheurs

 

Apprends à t'oublier, à rêver ta vie

Car si tu m'as reconnu

Tu n'es qu'un autre aspect de moi-même

Apprends à rêver ta vie.

 

Et pleure seul de choses inutiles

Tandis que d'autres te verront sourire

Ou ils pleureront

 

J'ai bu le vin de l'amertume

Ton sourire si beau

Baisait mes lèvres encore

Tu ne m'as sans doute jamais connu

J'ai dû sans doute passer mon temps à te rêver

 

Qui m'a assez aimé pour mourir pour moi ?

Qui n'ai-je pas assez aimé pour mourir pour lui ?

 

Ils me feuillètent, je les lis 

Je les aime ils m'adorent

Ils passent je reste

Et toujours leurs images me reviennent

Plus belle sans doute

A moins qu'elle ne soit le reflet de ce qu'ils sont.

 

Et sur le gravier noir de la terre

Il y avait l'enfant

Aux yeux noirs

Il se leva

 

Et doucement comme un archange

Il souleva le drap noir de la vie

Alors apparu le Dieu

 

Et tous se prosternèrent devant lui.

 

Et ils crurent que j'allais regarder la télé.

 

Les bouteilles sont vides

Il est beaucoup trop tard

Trop tard trop tard 

trop tard

 

L'enfer est né de l'enfant

Ses yeux bleus sont morts

Sous le masque d'or

 

Tremble, bitremble, tritremble

Amour

J'ai envie de percer ta coque sombre

Et sexe brulant 

Faire éclater la jungle

 

Mais je n'ai trouvé que moi

Qui sache rêver la vie

Et suis dans un dernier orgasme solitaire

De ma mort bleu profond

Enlacé avec l'image merveilleuse

 

Ariane

A quoi rêves tu, à quoi meurs tu 

De ton sexe caché, de sang écrasé

Est né mon amour

Ferme la porte, car en te voyant 

Je mourrai, car le rêve vit

Tu es morte

Je vis

Tu es morte

Et dans le rêve je suis conscient

Après avoir crié tout haut 

le cri de la joie

De mourir 

 

Après ce verre de vin

Suivra un verre d'alcool

Du Schweppes avec du gin

J'aime le gin

Et je ris

La chasse d'eau 

Coule et m’emporte

J'ai rêvé cette nuit

Mon crane affreux

J'ai rêvé mon museau de lapin

Avec un bec de croûton

Et je suis mort.

 

12.10.73. (Montbard)

 

"Chère Marie

 

Cette nuit, a été comme un immense voyage, la maison est vide, j'ai écrit des poèmes, et ce matin en les voyant, j'étais effrayé, comme devant la preuve que je n'avais pas rêvé; ou plutôt que je n'avais jamais cessé de rêver. Les images défilent dans ma tête et tous les êtres que j'ai connu me paraissent à moitié morts, comme après une affreuse guerre qui leur aurait arraché les mémoires et séparé l'esprit du corps.

 

Mon seul compagnon vivant était un livre de Goethe, - j'aime profondément Goethe -.

Mais il est mort, tu sais, je crois que tous mes amis sont morts.

 

Je pense n'avoir jamais appartenu à ce monde, et pourtant, parfois, l'affreuse putréfaction que je sens autour de moi semble me gagner. Et je sens mon corps se décomposer. C'est affreux ma bouche aimerait crier, et redonner vie autour de moi. Mais c'est comme un mauvais rêve, on veut crier, mais aucun son ne sort de la gorge.

Tout à l'heure, j'ai pensé à toi, comme ça, je n'oublie pas les êtres que j'aime. Je t'aime.

Il ne semble que nous avons quelque chose de commun qui n'a jamais su se dire.

 

J'en ai assez des choses merveilleuses qui pourraient se passer, mais qui ne se passent pas.

Parce que ... parce que ...

 

Écris-moi, j'en ai assez des bouches muettes qui aimeraient parler et qui ne parlent pas.

Et qui finissent par oublier de parler.

Écris-moi, car seuls les mots de sang me feront vivre désormais.

Écris-moi, car seuls les êtres qui auront badigeonné avec leur sang le mur gris de la vie, vivrons pour moi. Et pour eux seuls, je vivrai.

 

S'il n'y en a aucun, alors de tout mon être je veux mourir.

 

Écris-moi pour me dire que tu es de ceux la

Écris-moi pour ne dire que tu ne vis que de cela

Écris-moi, écrivons-nous, rassemblons-nous, 

et partons, car il est temps d'une nouvelle naissance.

D'un nouveau rire ?

D'une nouvelle fête.

 

Le vent a soufflé très fort

Dans mon esprit

C'est comme un ouragan de feuilles

 

Ce soir je me suis promené dans Montbard 

Et j’ai fuis les voitures dans le noir.

J'ai suivi une forme blanche, 

Qui devait être la plus belle des filles

 

J'ai préféré ne jamais voir son visage

Alors qu'au même instant

Tout mon corps s'élançait

Pour voir enfin ce visage de

L'ombre fuyante.

 

Les jours et les nuits se sont abolis, ce matin ou plutôt, je crois cet après-midi, j’ai de nouveau été pris par une crise de larmes.

C'était sur un disque de Charlie Parker, "what called on love"; et les notes me traversaient.

Dans ces moments je vois toute la pauvreté du monde, et ma propre pauvreté. La nature, une simple pomme me paraissent infiniment plus beaux. Et je remercie Dieu pour cette beauté.

Mais le gâchis qu'en fait l'homme et moi-même, me devient insupportable.

 

Mais ces larmes ne font du bien. Elles s'accompagnent d'une immense plénitude- La plénitude la prière. -

Je crois que pour la première fois je commence à comprendre le sens de ce mot : prière.

Toute ma volonté est alors tendue pour comprendre quel est le chemin que je dois suivre, pour ramener Dieu à sa place sur terre, ou plutôt, car le nom de Dieu ne veut plus rien dire, le vrai visage de l'homme, l'unité.

 

Quand je prie ainsi, je sens que la force vitale ne n'est pas donné, qu'elle est quelque chose d'immense, de beaucoup plus complet que moi, qui descend en moi et me fait vivre le monde, la vérité.

 

Tout s'organise alors, mon chemin aussi.

 

Et puis je m’arrête de pleurer, et commence à faire concessions à mes petits désirs ridicules.

 

Cette fois ci, j'ai essayé de garder en moi la force, la plénitude. Mais je semblais évoluer dans un rêve, je ressentais tous les autres d'une manière affreusement sensible.

Il me semblait sentir leurs cerveaux.

J'étais submergé par cette sensation et ne pouvais parler. Je devenais très timide. J'avais une vision très critique de chacun de mes gestes. Il ne semblait qu'ils étaient affreux, inexpressifs...

Mais aussi, un profond calme.

A part une peur immense de le perdre, de perdre cette vision.

Cette autre chose qui m'habitait me faisait vivre, voir.

 

J’espère que de plus en plus ce sera elle qui écrira sur ce cahier, qui peindra.

 

Je ne veux plus exister 

M’abolir tout à fait.

 

Moi qui voulais me tuer, je n’ai pas le droit, je lui appartiens, mon corps lui appartient; il faut au contraire que je le soigne, il faut que l'humble image que je suis sois tout à fait prêt à le recevoir.

 

Je leur ai demandé de me donner la bouche, les yeux, les mains, pour dire, pour crier, pour qu'enfin le monde vive.

J'ai confiance, quand il sera là, quand j'aurais totalement disparu, alors mon corps sera totalement signifiant.

 

Je suis calme. Il ne me reste plus qu'à l'attendre.

Surtout il faut qu'il m'empêche de l'oublier que je ne suis qu'à lui.

Je l'ai prié de tous mes pleurs.

Je le veux, je veux.

 

Je sais que si il vient, alors recommencera une nouvelle vie de l'homme, car Dieu ne recommence jamais la même chose, Dieu est métamorphose.

Je dis Dieu car il ne m'a pas dit son nom vivant, son vrai nom, son nom de sang. Ou plutôt je sais déjà qu'il n'aura jamais plus de nom.

Je sais que ce sera une immense force de vie, un immense OUI;

Il n'y aura plus de livres, plus de paroles. Mais une immense chaine se multipliera à l'infini. Une immense chaine de disciples et de maitres ; de maitres-disciples. Une immense chaine hommes envahissants l'Humanité entière par leur clarté.

L'homme a assez agi déjà pour que l'on puisse connaitre le visage de Dieu.

Le temps va bientôt arriver où l'on démontrera Dieu.

Et l'humanité tout entière, dans un seul accord, se mettra en marche vers lui.

Alors les choses iront très vite.

 

Si seulement un seul être lui donnait tout son être, toute son âme, et qu’il puisse apparaître à travers lui.

 

13.10.73

 

Quand vint le printemps, il partit dans les bois, il vit le rêve rose qui planait sur les eaux, il vit la fumée du mohican.

Alors il partit dans l'eau rase qui fuisse dans les campagnes.

 

C'était au temps des oiseaux bleus. Il ria longtemps et disparut.

 

Alors il advint que le bélier aux multiples cornes se ramena. Il était beau comme un Dieu et forniqua par trois fois avec la déesse des cieux.

Et il disparut.

 

Le soleil avait longuement baissé à l'horizon. Ses derniers rayons furent un long baiser à la terre.

 

Ivan rêvait, sur le bord du réel qui coulait vers l'Amont.

L'Amont était le Dieu du sourire.

 

Ivan souriait perdu dans ses rêves ; il pénétrait Mitchouqua, et basculait dans le vide rose tout doucement, doucement.

Tout virait lentement au bleu, comme le geste éternel de va et vient;

Le geste s'amplifiait pour devenir une immense pulsation, le monstrueux cœur du monde.

 

L'Amont sourit.

Mitouchqua frémit, tout s'envola comme dans un rêve.

 

Mitouchqua était la déesse femme.

Elle était comme une toute jeune fille et ressortait toujours vierge de ses multiples rêves.

 

Le paysage se brouilla.

Tout disparut.

 

La terre fumait, l'ombre du vent effeuillait les multiples branches du saule.

Le soleil se souleva doucement de sa couche, et vint embrasser avec sa mauvaise haleine du matin, la terre pétrifiée.

Alors les résines commencèrent leur ballet, et dans les rayons verts du matin, couvrant l'horizon de leurs multiples couches multicolores et grouillantes.

 

Dans les marais du saule, pataugeait l'homme.

L'homme était ce qu’était Ivan pour Mitouchqua.

 

L'homme pataugeait, son corps réchauffait l'onde grise et boueuse des marais.

Et le marais le gardait pour ce travail.

 

Alors apparut l'éléphant gris du soleil. Il laboura la terre de sa trompe noire.

Et l'écume de la mer se souleva et vint à sa rencontre.

Elle se souleva, vibra, frissonna et vint s'entourer autour des pattes.  

L'éléphant puissant la recueillit, puis se mettant à genoux, se coucha dans son ombre. L'écume blanche recouvrit l'éléphant gris.

 

Le soleil avait alors grandit dans le ciel.

Son regard vibra. Alors il se fit la chaleur.

 

Et sur le sable chaud, entre le sable et la mer, l'éléphant gris et l'écume jouèrent jusqu'au dernier rayon du soleil.

Mais la nuit, l'écume emporta l'éléphant dans la mer.

Et l'éléphant disparut dans les flots sombres de la mer.

Tandis que l'écume jouait avec les vagues.

 

Dans un autre temps était un prince.

 

Son corps était fait de soleil, et ses yeux de lune. Quand il secouait la tête et dansait, alors la lumière se faisait. Et cette lumière était d'or.

Quand une larme naissait au bord de ses paupières, alors la lumière était d'argent. Et le monde entier était plongé dans la lumière bleue de la lune.

 

Un jour vint le sourire bleu du page.

Ses yeux avaient réveillé l'or des yeux de Goldmund.

 

La grande salle était dure de pierre et vide.

Mais leurs sourires oublièrent tout, et la pierre fondit sous la chaleur de leurs corps.

 

Ils s'ébrouèrent dans la rivière rouge aux reflets d'or.

Ils soulevaient le liquide lourd et fuyant à pleines mains pour se le donner.

Mais il s'échappait et leurs mains nues seules se rencontraient.

 

Alors des étincelles profondes s'enfonçaient dans la chair de leurs cœurs.

Il y a une infinie beauté à crier

Car le cri crisse

Étrangle et frange les murs du possible.

 

Histoire en couleurs.

 

Il y a très longtemps, perdu hors de l'espace-temps, existait un grand nuage blanc.

Il était si grand qu'il s'était nommé l'infini.

Conne les brouillards sont faits de petites particules d'eau, il était fait lui d'une multitude d'atomes blancs.

Et chacun de ces atomes blancs était un si grand nuage blanc qu'il s’était nommé infini.

(Ce qui explique que personne n'ait jamais su lequel de ces nuages était le plus grand. Car le moindre de ces atomes le contenait totalement.)

 

Un jour ce nuage franchit le mur infini qui sépare comme l'on sait l'espace-temps d'avec ce qui ne l'est pas.

Il s'en suivit une transformation fondamentale du nuage. En effet chacune de ses particules prit une couleur différente.

 

On aurait pu penser que dès lors, le nuage ne serait plus blanc.

Mais cela n'affecta nullement sa blancheur.

En effet le nage était fait d'une infinité d'atomes. Et chacun de ces atomes était de couleur différente. L'ensemble des atomes couvrait toute la gamme des couleurs. Or comme on le sait, l'ensemble de toutes les couleurs mélangées donne le blanc.

 

Mais d'autre part, ce nuage n'était lui-même qu'un atome ; il avait donc une couleur bien particulière.

 

Et de ce jour-là, naquit une terrible contradiction, sur toute l'immensité de ce nuage.

Car lui-même et l'infinité des atomes-nuages fut tout à la fois coloré et blanc.

Il est bien évident que chacun disait être, quant à lui, resté blanc, car se croire coloré eut été se rabaisser au stade d'atome.

Mais au fond, voyant les couleurs du reste des atomes, ils ne pouvaient que généraliser à leur propre cas.

 

Mais au fond un doute restait: peut-être était-il « le »nuage blanc.

Et au fond il l'était.

Mais au fond il ne l'était pas.

D'où la fameuse question posée par un atone de couleur Eraepsekahs : "être ou ne pas être "blanc."

Mais n'allons pas trop vite, car cela se passa quelque 2 milliards d’années ; Puisque nous sommes maintenant dans l'espace-temps après la colorisation.

 

Revenons à notre nuage. Ce terrible évènement ne se fit pas sans troubles.

En effet tous obsédés qu'ils l'étaient par la couleur des autres, ils finirent par en oublier le blanc.

Et bientôt chacun eut tendance à penser résoudre son problème que le seul blanc véritable était sa couleur propre.

Mais ce jugement n'était pas valable si les autres pensaient le contraire. Ainsi, certains atomes tentèrent de dominer les autres pour essayer de leur faire admettre que leur couleur particulière était la blancheur.

Devant le peu de possibilité d'action d'un atome tout seul, ils se regroupèrent en "tons".

Et bientôt de cause en effet tout cela devint très compliqué.

 

Et c'est ainsi que chaque atome s'agitant, se déplaçant, la notion de temps et d'espace apparut.

Au fond on peut se demander si le changement de couleur est l'effet ou la cause du passage dans l'espace-temps.

Au fond on retrouvait partout sous diverses couleurs la contradiction initiale.

Et, de même que, chaque atome avait perdu la notion de blanc en se perdant dans le dédale des couleurs particulières, ils perdirent la notion de la première contradiction en se perdant dans la multitude des contradictions secondaires.

 

Et ainsi, ils furent emportés par leur histoire.

Leur agitation interne les fit bientôt changer de couleur tous les 70ans.

Et tous les 70ans, ils prirent le partie d'une couleur différente, oubliant chaque fois qu'ils en avaient défendu une autre quelques instants avant.

 

On imagine tout le ridicule de cette agitation.

 

Cependant, le nuage blanc restait, n'ayant pas de couleur hors de l'espace-temps.