1972/01/01

1972 POÈME ILES inspiré par l'Isle de Houat

Iles


Nous courions tous les deux

Dans les grandes herbes 

De cette ile sans arbres

Baignés dans la chaleur de l'été

Au milieu des océans bleus

Tu avais de grands cheveux bruns 

Qui flottaient sur tes épaules

Dorées par le soleil

Ta bouche d'enfant

Et tes yeux d'ébène

Dans de grandes chevauchées

Me faisaient traverser le rêve.

En longeant la cote

Par des chemins tortueux

Remplis de lézards furtifs

Nous découvrions des cryptes

Et dégringolant les chemins escarpés

Nous roulions dans le sable

Perdus au milieu d'un écrin de granit

Ma bouche effleurait tes lèvres 

Et comme une grande vague éclate

Nous plongions dans le même rêve

Le sable doux nous caressait

Et tes lèvres d'enfant

Perdaient beaucoup de leur sérénité

Et tes yeux affolés plongeaient dans les miens

Mous n'étions que deux enfants

Et vertigineusement

Nous partions hors du monde

Je te faisais souffrir

Avec mon âne de Don Quichotte

Et d'enfant sauvage

Lorsque reprenant mon bien

Je te laissais au bord du rivage

Et partais au-delà des images

Dans le monde obscur de mes rêves

Voyant mes veux regarder une autre étoile

Des larmes naissaient au fond de tes yeux

Tu me renversais et prenais ma bouche

M'enchainant un peu plus

Tu chassais les grands oiseaux noirs

Qui planaient au fond de mon âme

Mais tu prenais ta revanche

Quand devenu fou de tes baisers

Tu fermais ta bouche.

Je jouais le jeu

En essayant de te prendre à ton propre piège

Mais perdant toujours

J'écoutais tes bras qui me repoussaient

Une bataille s'engageait

Où tu résistais à peine.

Et nous replongions 

Dans la mer immense

De notre rêve

Toujours plus loin

Jusqu'à l’infini.

L'été fini

Je retrouvais Paris 

Et mes autres amies

Tu étais loin

Et notre amour

Était celui de deux enfants

Et d'une île

Il manquait l’île

Notre amour mourut

Loin de son écrin de turquoise

Mais ce soir

Perdu au fond de ma solitude

Dans mon image vieillie

Glissant vers le grand oiseau noir

Qui m'emporte

Tu restes mon seul regret

Toi qui le combattis

Corps et âme.

 












1972












QUELQUES TEXTES ECRITS EN 1972 DANS LES CAHIERS PERSONNELS

 

 

Ce qui me peine le plus, l'hiver quand il neige, c’est que la neige, si blanche soit elle, dès qu'elle touche la terre, devient de la boue.

 

Iles

Nous courions tous les deux

Dans les grandes herbes 

De cette ile sans arbres

Baignés dans la chaleur de l'été

Au milieu des océans bleus

Tu avais de grands cheveux bruns 

Qui flottaient sur tes épaules

Dorées par le soleil

Ta bouche d'enfant

Et tes yeux d'ébène

Dans de grandes chevauchées

Me faisaient traverser le rêve.

En longeant la cote

Par des chemins tortueux

Remplis de lézards furtifs

Nous découvrions des cryptes

Et dégringolant les chemins escarpés

Nous roulions dans le sable

Perdus au milieu d'un écrin de granit

Ma bouche effleurait tes lèvres 

Et comme une grande vague éclate

Nous plongions dans le même rêve

Le sable doux nous caressait

Et tes lèvres d'enfant

Perdaient beaucoup de leur sérénité

Et tes yeux affolés plongeaient dans les miens

Mous n'étions que deux enfants

Et vertigineusement

Nous partions hors du monde

Je te faisais souffrir

Avec mon âne de Don Quichotte

Et d'enfant sauvage

Lorsque reprenant mon bien

Je te laissais au bord du rivage

Et partais au-delà des images

Dans le monde obscur de mes rêves

Voyant mes veux regarder une autre étoile

Des larmes naissaient au fond de tes yeux

Tu me renversais et prenais ma bouche

M'enchainant un peu plus

Tu chassais les grands oiseaux noirs

Qui planaient au fond de mon âme

Mais tu prenais ta revanche

Quand devenu fou de tes baisers

Tu fermais ta bouche.

Je jouais le jeu

En essayant de te prendre à ton propre piège

Mais perdant toujours

J'écoutais tes bras qui me repoussaient

Une bataille s'engageait

Où tu résistais à peine.

Et nous replongions 

Dans la mer immense

De notre rêve

Toujours plus loin

Jusqu'à l’infini.

L'été fini

Je retrouvais Paris 

Et mes autres amies

Tu étais loin

Et notre amour

Était celui de deux enfants

Et d'une île

Il manquait l’île

Notre amour mourut

Loin de son écrin de turquoise

Mais ce soir

Perdu au fond de ma solitude

Dans mon image vieillie

Glissant vers le grand oiseau noir

Qui m'emporte

Tu restes mon seul regret

Toi qui le combattis

Corps et âme.

 

Dans la littérature et le droit à la mort :

Je dis cette femme. Hölderlin, Mallarmé, et en général tous ceux dont la poésie a pour thème l'essence de la poésie, ont vu dans l'acte de la nommer une merveille inquiétante. Le mot me donne l'être, mais il me la donne privé d'être.

Hegel : « Le premier acte par lequel Adam se rendit maitre des amiraux fut de leur imposer un nom, c'est à dire qu'il les anéantit dans leur existence (en tant qu'existants). »

Hegel veut dire qu'à partir de l'instant le chat cessa d'être un chat uniquement pour devenir une idée.

Le sens de la parole exige donc comme préface de toute parole, une sorte d’immense hécatombe, un déluge préalable, plongeant dans une mer complète toute création. Dieu avait créé les êtres mais l'homme du des anéantir.

C'est alors qu'ils prirent un sens pour lui et il les créa à son tour à partir de cette mort, en tant qu'idée.

 

18/1/72

 

Dans une lettre à Agnès

Il est drôle de voir ainsi les êtres se croiser et se décroisés avec leurs souvenirs. Déjà la vague des évènements de cette année a remplacée celle de l'année dernière. Et toi, comme un coquillage, échoué, tu réapparais dans la nouvelle. Et bien, bonjour, et si cette vague nous a séparés, que la prochaine nous garde ensemble.

 

Je ne t'ai fait ni céleste ni terrestre, mortel ou immortel, afin que de toi même, librement, a la façon d’un bon peintre ou d’un sculpteur tu achèves ta propre image.

Pic de la Mirandole

 

26/1/72

J'ai relu quelques passages de ces cahiers. Ils ont petit à petit pris leurs personnalités propres et voilà que ces mots, ces ensembles de mots qui étaient parfaitement inhérents à moi, prennent leur vie propre et restent fixés sur le papier. Je les retrouve quelque temps après, fixés là, immuablement là, avec leurs mensonges.

Ils sont le témoignage d'un être qui s'est dissolu, puis a disparu petit à petit en moi, témoignages d'une évolution et pourtant c'est toujours le même être qui enveloppe cette nouvelle personne, enveloppe immuable et fini d'un être infini et en constante mutation.

Qu'y a-t-il de plus paradoxale ?

Les images matérielles mentent elles tellement ?

 

"On allons-nous ?

Nous allons nulle part

Nous allons d'où nous venons".

 

Celui qui possède la science et l'art 

possède aussi la religion

Celui qui ne les possède tous deux 

puisse-t-il avoir la religion                    Goethe

 

 

 

 

27/1/72

 

Les jours passent, tantôt lents comme des éternités, tantôt courts et légers comme l'eau qui court dans un torrent. Tantôt fleuve, tantôt rigole encaissée. J'ai pris l'habitude ainsi d'écrire un peu n'importe quoi sur ce cahier, et je n'éprouve aucune difficulté à faire courir ma plume sur son dos quadrillé. J'écris, les mots prennent forme, s’alignent phrase après phrase.

La cloche vient de sonner. Il est 8 heures du soir.

J'ai tellement envie d'être avec Claire, de partir la main dans la main, encore un peu plus loin dans notre rêve.

Claire, le mot se dessine, image de son absence, mais mon rêve me transporte au-delà. Je n'en souffre que plus quand je reviens à la réalité comme un drogué.

 

1/2/72

 

Lettre à Claire

J'ai reçu ta lettre ce soir, l'ayant attendu un peu chaque jour depuis notre dernière entre vue, je m'étais fait à son absence, et voilà qu'elle arrive ce soir où justement je n'y pensais plus. Je t'écrits cette lettre pour te dire au revoir moi aussi.

Notre amour fut quelque chose de très beau, nous avons avancé parallèlement, J'un vers l'autre, avec cette manière curieuse de se retrouver à chaque instant, l'un dans l'autre, dans les sentiments, les préoccupations et tout ce que tu sais. Maintenant nos routes se séparent, j’aimerai te dire une dernière fois combien je t'aime, combien je te dois car ton rêve est plus vrai que tu ne le penses, d'une certaine manière.

Et là, j'ai envie de tout te dire, nais ce tout est sans doute infini, et d'ailleurs pourquoi parler alors que nos lèvres se le disent beaucoup mieux sans mots.

Quant à toi, à ton secret, ton véritable secret, il se trouve comme pour chaque être humain au fond de tes contradictions.

Et celui que tu ne révèles n'est qu'un moyen par un choix subjectif de supprimer ces contradictions, en s'en cachant d'une certaine manière une partie. C'est en prenant conscience totalement de notre être que l'on arrive à la vérité...

Tes sourcils se froncent, excuse-moi, j’aurai tellement aimé te dire...

Le bleu du ciel, l'amour là-bas, là-bas tout près du soleil.

Mais comme tes parents le disent, je n'ai pas le droit de t'emporter n'importe où, et surtout pas tout près du soleil, car le soleil, c'est brillant, et puis il y a si peu de gens qui font ce voyage là, ce voyage où on ne peut pas faire "comme tout le monde", et où la réalité sort un peu trop de l'ombre, de la brume qui permet de ne rien voir, et de vivre, de vivre tranquillement.

Il est tard, et puis comment pourrais-tu comprendre ces paroles ?

A moins que tu n'aies déjà fait un petit bout de chemin, ou peut-être le feras tu un jour et ces paroles te reviendront ? Te serviront.

Allez, je dis n'importe quoi, chaque mot est un mensonge, s’il n'est pas complété par un autre, qui lui-même...

Et ainsi, j'ai l'impression de m'enfoncer dans le mensonge.

Mais peut être les connais tu, tous les autres mots ?

 

Je t'embrasse et je t'aime

C'est la seule chose que je puisse dire sans trop mentir, et encore...

Adieu

 

PS entre nous le monde est petit

On peut mourir d'être immortel dit Nietzche 

et bien je meurs un peu avec toi de cette immortalité

 

La Liberté, frères, ce n'est pas le vin, ni la femme douce, ni le bien dans le cellier, ni le fils dans le berceau, c'est un chant solitaire et dédaigneux qui se perd dans le vent.

Nikos Kazantzakis

 

Dieu a pris des semences à d'autres mondes et il les a semés sur cette terre. Et tout a germé. Mais ce qui a germé ne vit que par le sentiment de son contact avec les autres mondes mystérieux.

Dostoïevski

 

3/ 2/ 72

Samedi dernier j'ai vu Nijinski de Béjart. Très intéressant.

Mais tout cela passe, réveille en moi des idées, mais à peine formulées, les voilà qui passent, et je n'ai pas eu le temps de les noter.

Quand arriverais-je enfin à parler, quand me sera-t-il donné d'écrire, de dire, de traduire mes pensées. Une idée est un ensemble compact, il est très difficile de la transmettre petit à petit, morceau par morceau, car chacun de ces morceaux perd son sens s'il n'est pas accompagné au même instant du tout. Et on s'aperçoit vite que cette idée même dépend d'autres et qu'il faut mettre certaines restrictions là, qui débouchent elles-mêmes à cette autre qui...

Et l'on s'aperçoit donc que pour dire la vérité il faut tout dire, tout dire sur l'ensemble, sur tous les plans. Et ce tout est l'être même de l'homme, et il est infini, d'où l'impossibilité de dire la vérité, c'est au lecteur devant l'œuvre de l'écrivain, du philosophe, en la complétant par un mouvement intérieur de l'appréhender, cette vérité. L'homme ne possède pas le moyen de la communication absolue, qui permettrait aux êtres de communiquer leurs idées sans les traduire et par là même sans les trahir.

Par ce développement, nous pouvons mettre en évidence l'importance capitale que chaque être a de poursuivre personnellement sa recherche de la vérité, car c'est le seul moyen pour l'individu d'appréhender sa vérité cette vérité n'étant pas communicable en totalité, et par là même n'étant pas communicable en tant que vérité absolue, mais uniquement comme remarque, borne d'un chemin. Tant que n'existera pas cette communion absolue, de tous les hommes, l'homme sera seul devant lui-même. Ce développement met aussi en évidence la parfaite incohérence qui est celle de celui qui suit aveuglément les préceptes d'un système quel qu’il soit en dehors de son chemin propre, car ce système extérieur à l'être même qui l'utilise, et qui pour arriver jusque-là, passer par un langage écrit ou oral, s’il était dans l'esprit de son créateur complet, étant passé par le monde du langage, et n'ayant pas pu transmettre sa totalité reste incomplet et ne peut donc être pris comme vérité absolue.

De là, de nombreuses déformations et utilisations faussées, idées de gens qui pleins de respect, ignorants et bornés pour les êtres qu'ils avaient connus, les appliquent à la lettre. La transmission de la pensée pose un grave problème, et l'on pourrait dire que sa résolution absolue serait la fin des conflits entre les hommes.

 

10 février 1972

 

Projet d'avenir.

 

La vie moderne est magnifique et nous avançons à toute vitesse, tout se transforme. Il y a plein de choses à faire. Et je prendrai un métier comme l'informatique - plein d'avenir. Mais 11 faudra à chaque instant 'adapter aux nouvelles méthodes.

St devant la mort (qui me semblait bien abstraite), je m'apercevrai que ma tête est vide et que je n'ai orée qu'en me transformant en une machine perfectionnée sans jamais vivre.

J'aimerai vivre, retiré dans la montagne, seul.

La neige, c’est propre, l'été, les fleurs c'est pur, réfléchir, vivre, rêver, atteindre cet idéal qu'est la sagesse, mourir dans un tourbillon de neige, c'est beau.

Mais qu'aurais-je créer ? J'aurai sali la neige.

 

Alors visons le centre.

 

Je relu tout ce que je venais d'écrire et compris qu'avant d'arriver à la vérité, il fallait déjà nettoyer tout mon être :

Je vacillais sous la tâche et rejoint les rangs de la masse.

 

N'oublie jamais que tu es lumière et qu'à la lumière tu retourneras.

 

Je n'ai fait qu'une chose intelligente dans ma vie, c’est de laisser passer, de m'effacer devant cette partie divine de notre être et que nous déformons en essayant de l'abaisser à notre condition humaine, que nous déformons encore plus en la figeant en mots écrits.

Petit à petit cette sphère s'est organisée non sans difficulté car il y avait toujours moi qui était derrière trop orgueilleux. Elle a grandi ; pénétré. Je me suis effacé, la vérité toute entière m'a pénétré et brusquement je me suis aperçu qu'il n'y avait qu'une chose en moi de vrai, cette vérité (j'étais devenu le dieu à qui je croyais laisser la place) ayant atteint le plus haut sommet de l'être, je n'étais plus, n'ayant plus de but, la question de Shakespeare ne se posait plus puisque étant au plus haut point de l'être je n'étais plus paradoxe suprême !

 

Quant à maintenant, si vous voulez perdre la viande que je représente, pourquoi ne pas manger ma chair, vous n'avez plus qu'à préparer mon enterrement. JE SUIS MORT.

 

Si je n'avais déjà porté en moi le monde avec les yeux ouverts, je serais resté aveugle. (Goethe.)

 

Le monde est peut-être tout simplement dieu. Nous portons tous ce monde, cette vérité à l'intérieur de nous. Laissons-le parler le plus librement possible devant les évènements.

 

Vimor 

La vie est une chute vers la mort

Qui est une feuille de papier noir

Où on ne laisse que sa peau

Dessous il y a l'infini.

 

 

21/2/72

 

Noter, marquer, vivre, être, glisser, seconde après seconde dans l'espace et le temps qui s'en va. Je glisse, les mots ne viennent plus, j'ai l'impression de répéter, ma tête s'embrouille, tend au néant.

A chaque instant il me faut découvrir les nouveaux gouffres de mon esprit où je pourrais tomber. J'écris. Pourquoi écrire ? Tous ces mots qui s'alignent m'énervent, car ils ne sont jamais tout à fait vrais ; ils sont stéréotypés. Que ce passage de la pensée à la matière est difficile. M'anéantir totalement mais le vertige du suicide n'existe même plus en moi. Te suis immortel. On peut mourir d'être immortel. 

Mais cette mort-là n'est qu'une démission et à quoi bon échapper à mon être ? Je continuerai à souffrir à travers l'humanité tout entière.

Notre mort est la mort de notre individualité et celle-ci est constituée par un ensemble dont les différents éléments nous ont été légués directement ou indirectement par l'humanité tout entière.

Notre individualité est donc un ensemble d'éléments construits dans un certain concept. La mort détruit notre individualité en tant qu'ensemble mais chaque élément continu à vivre à travers l'humanité. Et de même que nous pouvons au bout du chemin appréhender l'être total, nous continuons à vivre, échappant à notre individualité à travers l'humanité entière. Ainsi chaque individu peut au bout de sa route dépasser son individualité et devenir l'être total.

 

D'autre part, l'humanité dispersée en milliers d'individualités, marche vers cette communion totale entre tous les hommes, qui sera la cristallisation de l'être total.

Dieu existe, c'est pourquoi nous devons le créer.

Je suis dieu, c’est pourquoi je dois me construire dieu.

Et n'est-il pas de pouvoir plus divin que celui de se créer ?

 

Le Christ rompit le pain et le distribua à ses disciples, ceci est mon corps, qui est pour vous, faites cela en mémoire de moi.

Chaque fois en effet que vous mangerez de ce pain et que vous boirez à cette coupe, vous annoncerez la mort du seigneur, jusqu’à ce qu’il vienne.

Parce qu’il n’y a qu’un pain à plusieurs nous ne sommes qu’un corps car tous, nous participons à ce pain unique.

Je suis l’alpha et l’Omega, le premier et le dernier, le principe et la fin.

 

Toujours il demeurera quelques faits sur lesquels une intelligence même révolté saura, pour se tranquilliser elle-même, faire des secrets et sages alignements, petits et rassurants...

Cherche donc, cherche et tâche de détecter au moins quelques-uns de ces alignements qui, sous-jacents, à tort t'apaisent.

Michaux

 

Si la souffrance dégageait une énergie importante, directement utilisable, quel technicien hésiterait à ordonner de la capter et à faire construire à cet effet des installations ?

Avec des mots de "progrès, promotion, besoin de la collectivité" il fermerait la bouche aux malheureux, et recueillerait l'approbation de ceux qui à travers tout, entendent diriger ?

Tu peux en être certain.

Michaux.

 

25/ 2/72

L'esprit comme l'a dit Hegel est inquiétude. Mais cette inquiétude nous fait horreur : il s'agit de la supprimer et d'arrêter l'esprit en expulsant son ressort de négativité. Faute de pouvoir entièrement juguler cette postulation maligne, l'homme de bien se châtre. Il arrache sa liberté le moment négatif et projette hors de lui ce paquet sanglant.

Voilà la liberté coupée en deux :

Chacune de ses moitiés s'étiole de son côté.

L'une demeure en nous. Elle s'identifie pour toujours au bien de l’être, donc à ce qui est déjà...

L'autre moitié de sa liberté, coupée de lui, projetée au loin ; ne le laisse pas tranquille pour autant...

L'honnête homme se fera sourd, muet, paralytique...

Il se définira étroitement par les traditions, par l'obéissance, par l'automatisme du bien, et nommera tentation tout ce grouillement vague et criant qui est encore lui, mais un lui-même sauvage, libre, extérieur, sans limites qu'il s'est tracé.

Sa propre négativité tombe en dehors de lui, puisqu'il la nie de toutes ses forces. Substantifiée, séparée de toute intention positive, elle devient négation pure et qui se pose en soi, pure rage de détruire qui tourne en rond le mal...

Originellement, le mal issu de la peur que l'honnête homme a devant sa liberté, est une projection et une catharsis.

Sartre.

 

Notre civilisation a été nourrie de la logique de Descartes ou toute contradiction est absurde. Il n'est donc pas étonnant qu'à la recherche de nous-même, et à travers cette recherche d'un équilibre, nous tendions à mesure de notre découverte à supprimer les contradictions, supprimant un des éléments celui par lequel notre conditionnement était chargé de cette valeur négative. 

Ainsi croyant marcher vers la vérité, et vers notre équilibre, nous nous enfoncions un peu plus profondément dans notre esclavage pour n'aboutir qu'à une voie de garage nous permettant de végéter, à la condition d'user de toute notre énergie à oublier et à échapper aux vérités que l'on croyait avoir rejeté mais qui pourtant restaient là.

Le chemin de la liberté, le chemin de la vérité commence par une grande destruction, destruction de tout ce petit alignement rassurant

(Michaux)......

 

10/3/72

 

Les pensionnaires.

 

L'une avait quinze ans, l'autre en avait seize

Toutes deux dormaient dans la même chambre

C'était par un soir très lourd de septembre

Frêles, des yeux bleus, des rougeurs de fraises

 

Chacune a quitté, pour se mettre à l'aise 

La fine chemise au frais parfum d'ambre

La plus jeune étend les bras et se cambre 

Et sa sœur, les mains sur ses seins, la baise

 

 

Puis tombe à genoux, puis devient farouche 

Et tumultueuse et folle, et sa bouche plonge 

Plonge sous l'or blond, dans les ombres grises 

 

Et l'enfant, pendant ce temps-là ; recense 

Sur ses doigts mignons les valses promises 

Et rose, sourit avec innocence.

 

Verlaine 

 

 

Le soleil noir 

 

Il est des fleurs mauves de tilleul sombre

Des fleurs de muscat aplmobes

Des cœurs palpitants et profonds

Qui rongent des gouffres amers du monde

 

Il est des soleils brillants

Des diamants purs et éthérés

Comme tes yeux où ruissèle la vie

 

Mais moi, perdu entre deux eaux

Ce diamant écorche mon cœur

Je chavire dans l'éther et me noie dans le gouffre

Et mes yeux clos aspirent à la mort.

 

22.3.72

 

La vie pourrait être comparée à celle d'une goutte d'eau colorée à travers l'azur et tombant enfin dans l'océan où elle se dilue, perdant son individualité mais colorant tout l’océan.

 

 

 

23.3.72

 

Maintenant sur l'immense tableau que représente la baie vitrée de l'étude, parmi les dessins abstraits des troncs et des branches, apparaissent au premier plan, de petites tâches vertes. C’est des bourgeons qui s’épanouissent sur un fond de ciel bleu. Ils sont vert clair parmi les sombres architectures de bois.

 

11.4.72

 

Lire. Me perdre dans cet univers de mots, de sensations, d'être de choses, de fleurs, d'arbres qui n'existent plus en soi mais qui deviennent concepts, sensations humaines.

Me perdre dans ce monde qui n'est plus qu'humain parce que construit, nommé par un humain, collaborer moi-même à cette lente cristallisation, à cette humanisation de l’univers.

 

Écrire. Échapper au monde imparfait, inhumain, retrouver l'homme transcendé au-delà de la matière à travers l'art, au-delà de la matière et pourtant par l'utilisation de cette matière. Non seulement par l'utilisation de cette matière mais par communion avec cette matière !

 

12.4.72

 

L’homme à travers l'histoire se définit petit à petit lui-même, prend conscience de son être, pénètre le monde. Le monde se transforme, se cristallise. L'homme cristallise l'immense mémoire commune, les livres.

Bientôt, l'ordinateur, les moyens de communication se perfectionnèrent, se perfectionnent. Ce n'est plus un seul cerveau qui cherche seul, rejeté par les tabous mais des milliers qui à chaque instant sont avertis du progrès des autres.

Le progrès s'accélère, la réalité devient l'esclave de l’homme. Il échappe aux distances comme au début il a échappé à la pluie en construisant des maisons.

Bientôt, il échappe au temps et enfin à la réalité toute entière ou plutôt il aura défini une nouvelle réalité parfaite qui le comblera. Il n'y aura plus des êtres mais un seul être absolu et son bonheur alors dépassera celui de deux amants unis, plus grand que l'amour, plus beau que la vie parce que l'être sera le monde. Il sera la communion de tous les hommes, leur corps, leur travail, l'immense aboutissement du travail de tous les hommes, l'Être.

 

23.4.72

 

Il est des maladies sombres, faites de terre et de boue comme celle d'où l'on extrait l'or. Telle est celle du poète.

 

28.4.72

 

La politesse ressemble trop souvent à la politique et cette dernière, pas assez souvent à la politesse.

 

Le cancre de PREVERT :

Il dit non avec la tête mais il dit oui avec le cœur.

Il dit oui à ceux qu'il aime. Il dit non au professeur.

Il est debout. On le questionne et tous les problèmes sont posés.

Soudain le fou rire le prend et il efface tout : 

les chiffres et les mots, les dates et les noms, 

les phrase: et les pièces.

Et malgré les menaces du professeur sous les huées des enfants prodiges,

avec des craies de toutes les couleurs, sur le tableau noir du malheur,

il dessine le visage du bonheur.

 

6.5.72

 

Claire est le secret, l'incertitude, la petite fille qui découvre ses seize ans, un peu perdue, qui se raccroche un peu n'importe où, à l'amour qui l'enivre, au rivage que représentent ses parents.

Sensuelle, elle l'est jusqu’au bout des doigts pour après ne pas se l'avouer, pour dénigrer cette sensualité chez les autres. Pleine d'aprioris, elle les voit vaciller devant la raison. Après tout, où se retrouve alors son charme ? Peut-être dans le fait qu'elle est féminine, très profondément, dans ses défauts comme dans ses qualités.

 

8.5.72

 

Un ruisseau coule au fond de ma poitrine.

Je marche. Mes talons résonnent sur l'asphalte et les passants passent sans me voir.

Je suis dans la rue, sur l'avenue Victor Hugo lorsque deux yeux m'accrochent, me démontent, me transpercent, m'emmènent. Je vole sur le tam-tam de mes talons sur l'asphalte et avance vers l'étoile.

Je plane au fond d'un cri, peut-être celui d'Hiroshima ou celui d'une partie de va-et-vient.

Des mains éclaboussent le fond de l'air, se répercutent au fond de mon âme, remontent, saccadées comme l'absurde, l'absurde réalité qui se définit dans le rêve comme un mécanisme infaillible dans lequel je glisse.

Les murs alors furent éclaboussés de sang parce qu'ainsi était le monde que tout le monde fut mortel, parce que racon-laveur et cueilleuse-balteuse, parce que je suis fou d’amour, parce que je suis fou tout court, parce que j'avais compris brusquement, parallèlement, symétriquement, psychologiquement, bêtement, physiquement, esthétiquement et qu'il existait des chevaux verts, des cocotiers noirs, et des filles qui sont belles; il y avait aussi des colombes noires et la télévision invisible et bien sûr, Vous.

 

10.5.72

 

L'art n'est rien que l'art.

Nous avons l'art pour ne pas mourir de la vérité.

 

25.5.72

 

Revu les Guépin.

Je ne savais plus très bien à qui je parlais et d'ailleurs que voulais-je leur dire. Nous avons échangé aucune impression. Ce fut plutôt raté.

Je vais essayer de raconter le plus objectivement possible notre histoire. De toutes façons, il faudra bien que je le fasse un jour.

 

C'est le début de l'année 69-70. Nous rentrons en classe. Je me retrouve dans la maison la Ferme" avec Francois et les deux jumaux Laurent et Pierre. Ils forment plus ou moins une bande qui vient directement du Manoir, une autre maison du Collège.

Je connais bien Francois et décide de sortir de ma solitude. Je veux me servir de lui pour m'inclure dans leur groupe. J'y parviens. Nous sommes huit mais ils sont tous bien superficiels pour que je puisse n'embarquer avec eux. François est la vie en classe au milieu de l'illusion. J'ai envie de faire tout sauter. S'ils savaient…. Nous parlons beaucoup, nous rêvons. Les Laurent et Pierre l'admirent. Eux aussi voudraient partir de l'autre côté du rivage. Moi je commence ma destruction, l'immense destruction des habitudes, des points d'appui qui me permettent de vivre artificiellement. Le gouffre parait immense. Le vertige est merveilleux.

Sautons, sautons. Je leur montre. Je détruis les habitudes, cette réalité qui les étouffe et qui n'est qu'absurde.

Je détruis le rôle artificiel de François. Son masque s'effondre et les Guépin voit s'effondrer leur Dieu. Mais nous sommes embarqués. Chacun de nous est pour l'autre le seul être qui le comprend totalement et à mesure que je comprends, que je prends conscience de mon néant et de l'absurdité de toute la vie, je deviens le capitaine de cette barque vers la seule vraie réalité. Capitaine ivre car le terre n'apparait nulle part. Tout s'effondre. Tout n'est qu'illusion et jeu. Tous les gens autour de nous jouent des rôles, des rôles grotesques, le rôle du sérieux, le rôle du caïd. Pourquoi ?

Seuls tous les quatre nous sommes sortis de l'absurdité.

Seuls tous les quatre nous avons le courage de faire un pied de nez à l'hypocrisie. Mais tout s'entremêle devant nos désirs dévoilés. Une immense culpabilité se tisse. Pierre, Laurent et moi avons quatorze ans. François en a treize.

Puisque rien n'est sérieux, à tout prendre, pourquoi ne pas partir pour conseiller nos rêves. Nous avons envie de nous faire frères de sang et nous allons aller et nous allons célébrer la messe tous les quatre avec un prêtre dans une petite crypte. Nous sommes partis complètement hors du monde, dans le rêve et puis brusquement au moment où monte l’hostie, nous sommes pris d'un fou rire. Nous rions de nous, nous rions sans savoir pourquoi. Les droits de la raison sapés à la base, nous dérivons.

 

Il y a ce week-end ou nous nous retrouvons seuls chez Laurent et Pierre. Nous fumons, nous buvons du coca avec du whisky.

Libres. N'est-ce-pas merveilleux ? Je reviens à Saint Martin notre collège.  Je me fiche de tout car j'ai envie de mourir. On me dit que le Père Supérieur veut me voir. J'y vais calme, je m'en fiche. Je sais déjà pourquoi. Parce que je suis sorti sans dire où j'allais, chez ces fils de divorcés qui ne foutent rien.

J'arrive chez lui. Il me montre le billet de sortie où j'ai menti. Tout ça est absurde, lui peut-être peut comprendre : il me connait. Je lui dis, je lui dis que tout est absurde, qu'il n'existe aucune vérité, que l'homme a aucun sens et donc que l'ensemble de mes actions n'est fondé sur rien.

J'éclate en sanglots.

 

Francois part à Val d’Isère avec les Guépin. Il dort avec Laurent dans un grand lit blanc. Un tissu de culpabilité se tisse entre eux.

Notre union a atteint une telle tension que nous divaguons totalement et que le contact de l'autre nous bouleverse.

Cependant, le Père Supérieur veut nous séparer, dit à chacun des parents que l'autre est à moitié fou et présente un grand danger pour ses enfants. Laurent et Pierre commencent à détester Francois et moi j'ai besoin, pour survivre, de n'éloigner. Nous nous quittons petit à petit.

 

31.5.72

 

Des mots tranquillement arrachent le temps et mon stylo devient le symbole du lien avec l'irréel qui devient une réalité de mots grâce à elle.

 

2. 6.72

 

J'ai tant déjà écrit des rêves fous qui s'enchevêtre que le soir me vient parfois l’humeur noir du suicide comme un talus vide qui s’ouvre tranquille mais la grille de la vie me retient et comme une balle renvoyée, je poursuis ma course au-delà de la vie.

 

12.6.72

 

Cet après-midi j'ai décidé d'écrire. Je ne sais pas encore trop bien de quoi je vais parler. J'aimerais écrire un livre, un roman. C'est une entreprise un peu folle car qu'a-t-on vraiment comme expérience à 16 ans. Pourtant cet âge a son intérêt par sa spécificité même, par sa conscience du monde. On dit que c’est l'âge bête mais on a dit qu'une vie réussie c'était un rêve d'adolescent réalisé. C'est l’âge bête parce que le compas intérieur perce derrière le personnage et parce que l'adolescent est ridicule par ses contradictions. Pourtant, c'est le moment de l’aiguillage, c'est le moment où on décide de devenir sérieux. C'est le moment du chatrage où l'or tue le reste de l'enfance qui persiste et qui se révolte. Mais cela peut être aussi le moment d'un grand état de rire. C'est peut-être le moment où l'on décide de ne jamais tuer son enfance et rester libres. C'est souvent les deux à la fois. La réalité n'est jamais pure. Et puis, il peut ne pas avoir d'aiguillage du tout. On rejette tout cela inconsciemment et ce sont les évènements qui décideront.

Où se trouve la liberté ? Surement pas dans le refus de choisir. Elle n'est pas non plus dans un choix. Alors ? Alors, la liberté ailleurs, et nous vivons bêtement à côté de la réalité et pour peu que nous rentrions dans la réalité, nous voilà seuls parce que tout le monde vit à côté. Bien sûr, nous avons comme compagnons, l'âme de ceux qui sont arrivés, il y a bien longtemps dans cette contrée déserte mais que reste-il d'eux ? Des signes alignés, des messages inachevés, la souffrance, leur souffrance qui annonce la vôtre.

Pourtant, déchirant l’image, arrachant le masque, nous arrivons parfois à pénétrer le monde secret d'un autre être. Alors une communication réelle s'élabore mais si brûlante, si vraie dans un monde banal et tiède que bientôt, elle devient indécente, inconnue, inadaptée et il ne reste plus alors qu'à revenir aux livres et à faire l'amour avec eux car les livres eux-seuls sont à côté de la comédie, car seul le théâtre est à côté du théâtre, car seul le théâtre dénonce le théâtre mais il n'en reste pas moins que tout cela bien que plus vivant que les vivants morts déambulant autour de nous, n'est que le centre des vivants vivants. Sommes-nous donc réduits à choisir entre les morts vivants et des vivants morts ? Il me semble bien à moins peut-être que l'on dissimule un amour vrai derrière un amour fou. Chante, Chante. Comme la limace qui dévore la rose, comme les couleurs qui se mélangent et deviennent noires.

 

14.6.72

 

Je suis allé voir une exposition de gravures de Dali. Je note cette phrase lui :

"Tout ce qui parait est exclu, n'est que ce qui est inclus ; les ténèbres sont à l'extérieur, à l'intérieur la source de la lumière."

Et cette autre :

"Dès l'apparition aujourd'hui déincarné, commence l'oxydation."

Et encore une autre :

"L’art est une éthique avant d'être une esthétique".

 

Chaque nouvelle preuve que je ne suis pas seul dans le combat vers ce monde humain, que je ne suis pas le seul à le révéler, que chacun de nous avons pénétré ce monde merveilleux à la fois brûlant et terrible qu'est le cœur même de l'homme, l'art, la pensée, Dieu, chacun de ces témoignages est un nouveau bâton de relais dont je suis le garant.

 

Comment mourir alors ? Ma vie ne m'appartient pas. Elle appartient à l'humanité, à tous ceux qui, par leurs pensées, par leurs actions m'ont fait pénétrer dans le mystère de l'homme, dans sa richesse insondable.

 

Je me prends à parler bien mystiquement décidément avec ce mot mystère, richesse. Tout cela prend brusquement le son d'une grande fanfare. Je déteste les fanfares. Elles sont le symbole de toute la bêtise humaine, je veux dire les fanfares de la grande éloquence. Mais comment m'exprimer plus simplement. Je ne suis pour l'instant qu'à employer les symboles. On ne nonne pas l'invisible non déterminé, le mouvant à moins que si. Il s'appelle l’Homme, l'Homme non pas dans son écorce extérieure mais dans son monde intérieur.

 

Qu'est-ce que tu es ? Nuit sombre au-devant d'une pierre.

Oui, oui, excusez-moi ; je suis fou sans doute n'ai-je jamais compris.

Vous avez l'air de vivre tous si tranquillement.

Excusez-moi de mon orgueil qui parfois me fait croire supérieur. Je suis vide et c'est ce vide sans doute que j'essaie de combler. Je vous ennuie avec ma souffrance impalpable qui se débat dans les mots... Tuez-moi, je vous en prie puisque je vous ennuie. Tuez-moi car je suis trop lâche pour le faire. Tuez, Tuez…avant que moi je vous tue.

Je suis fou, ne le voyez-vous pas ?

 

26.7.72

 

Noté une phrase d’Herbert Marcuse : "Je suis convaincu que le seul moyen de sauver notre civilisation est de réformer les sociétés qui la constituent de telle façon que les phénomènes concrets qui sont les matériaux propres de l’art se manifestent à nouveau spontanément dans notre vie quotidienne. » Alfred North Whitehead utilisait l'expression « grand refus » pour désigner la détermination à ne pas succomber à la réalité des choses telles qu'elles sont, préférant privilégier l'imagination de l'idéal. Herbert Marcuse reprenait le concept de Whitehead pour appeler au refus de la société de consommation au nom des pouvoirs libérateurs de l’art. 

 

21.7.72

 

Le noir. Le noir complet. Je tourne à vide. Que faire ?

 

10.9.72

 

J'écris les dernières lignes de ce cahier.

Les vacances seront finies dons quatre jours.

Je n’ai plus grand chose à dire.

Le cahier finit assez mal. Les derniers dessins sont banaux lorsqu'ils ne sont pas laids. J’avais envie de les supprimer mais ce serait peut-être me laisser aller à une impression sans doute subjective. Et puis, ils ont sûrement une certaine valeur puisqu'ils me gênent tellement. D'ailleurs, il y a beaucoup de choses qui me déplaisent dans ce cahier. Il est bourré d'affreuses poésies mais laissons, laissons telle quelle ma folie.

 

10.9.72

 

Je retrouve un morceau de journal de l'année 69.

Je l'accroche au verso.

Quelques passages de ce journal :

 

Le monde est une pourriture garnie de joyaux.

J'ai horreur de la vie, en tous cas, pour l'instant.

Vivre, marcher, regarder. Je ne vis pas ; je suis vécu. Tous les gens qui m'entourent vivent dans la peur de mourir : " Ferme ton lacet, tu risques de tomber de voiture". Qu'est-ce que la mort, si on est chrétien, et après cela, ils se disent chrétiens. Dieu me donne la vie. Pourquoi ne me la reprendrait-il pas. Je ne dis pas qu'il faut se suicider. Quand un voleur vous tue, ce n'est pas lui qui le fait c'est le destin. Vivre en esclave de la peur de la mort, ce n'est plus vivre. La seule chose qui n'ennuie si j'ai peur c'est que maman sera très malheureuse.

 

20.3.69 

 

Dans un être humain, il y a, je pense deux personnes ou plutôt un personnage et l'homme lui-même. Le personnage est concret c'est celui que l'on voit dans la vie courante. Il est aussi maniable que de l'argile. Il s'adapte aux besoins. L’homme veut rentrer dans une autre situation: il fera l'homme très distingué.

Si quelqu'un d'un jeune âge doit paraitre très sérieux et travailleur, il risque de devenir l'esclave de son personnage et brusquement se libérer aux yeux effarés du monde et devenir extravagant.

L'enfant joue beaucoup le personnage de ses parents. Pourquoi ne jouons-nous pas le personnage de l'homme que nous sommes ? simplement parce que l'homme qui le ferait se sentirait démuni et mis à nu.

Parfois, un metteur en scène de théâtre ou de cinéma écrit une pièce où le personnage principal est l'homme qu'il est vraiment. Mais le monde est si fin dans son immensité qu'il est impossible de le définir.

 

J'ai fait ma profession de foi et ma confirmation. A la confirmation, nous avons eu une réunion qui m'a beaucoup servi. J'ai pu mettre toutes mes idées à l'épreuve.

Je me force à écrire maintenant. Il faut écrire clairement avec simplicité. Je déchire, je déchire des tas de choses que j'ai écrit parce que je les trouve bêtes mais il faut les garder, écarter le vrai du faux, écrire en toute simplicité.

 

La musique. La musique nous emporte dans un univers où tous les bruits sont harmonieux.

 

Quand je relis ce que j'ai écrit il y a un ou deux ans, je vois que mes idées ont évolué et il semble quand je relis ces autres idées que c'est un autre Michel qui les a écrites.

Je pense qu'il faut voir le monde d'en haut, voir l'ensemble.

 

 

Mercredi 27.9.72

 

La pensée demande beaucoup de temps. La méditation doit se faire calmement hors du temps. Ce n'est que par la méditation et dans elle que les différentes pièces du puzzle se ressemblent que représentent le monde, se rejoignent et s'assemblent la méditation est une digestion des nouveaux éléments rapportés de la vie du moment. Si cette digestion ne se fait pas, l'esprit est sous-alimenté et s'affaiblit puis se racornit complètement.

A une époque où la vie est trépidante comment garder son âme ? Il faut de temps en temps savoir se retirer et méditer, remettre ses actions en question, voir si les nouveaux éléments que nous a apporté la vie ne remettent pas en question le fondement même de l'anneau.

 

J'ai lu, au sujet des grands joueurs d'échecs qu'ils n'avaient pas seulement une compréhension logique du jeu mais qu'ils percevaient aussi globalement le jeu d'échecs comme un ensemble de différentes forces dont ils tiraient leurs conclusions. Je crois que nous touchons là aux deux démarches fondamentales de la pensée : la logique et l'intuitive.

L'Europe bien qu'elle utilise inconsciemment l'intuition jusque dans les maths (c'est devenu en partie faux avec les maths modernes) se veut une pensée logique. L’Orient, l'Inde, la Chine, le Japon utilisent la méthode intuitive. Pour un européen, la méthode intuitive ne peut amener aucune science puisqu’elle est liée à la subjectivité de l'individu.

Pourtant la chine, le Japon utilisant la méthode intuitive arrivent à des résultats spectaculaires qui leur font même gagner certains points du marché européen et américain. Le comportement de l'occidental est de rejeter l’individualité qu'il y a en lui, de rejeter son monde intérieur. Une certaine rigueur scientifique mal comprise veut qu'il ne croie qu'à ce qu’il voit. Comment accepterait-il de tenir compte de ce monde mouvant et mal défini qu'il habite ?

Au contraire, il le nie et essaie d'y écharper en créant une méthode en dehors de lui. Il naitra de l'observation de la nature, il en tire la logique : quelque chose qui est noir n'est pas blanc ; une proposition est vraie ou fausse et l'on considère toutes les solutions possibles. La principale qualité de cette méthode, c'est qu’étant naturelle dans le sens où elle est inhérente à la nature bien plus qu'à l'homme, on peut construire un objet tel qu'il applique cette méthode : l'ordinateur.

L'oriental lui est tourné vers son monde intérieur. Il se cherche lui-même et les lois de la nature ne l'intéressent pas primitivement. Les symboles de la vérité et de l'absolu existent partout en Inde et en Orient. La religion tend moins vers l'adoration d'un Dieu que vers la recherche d'un absolu. Bouddha est un de ces chercheurs. Cette recherche du monde intérieur mène tôt ou tard à la question de la liberté de l’esprit par rapport au corps aussi bien qu'aux éléments qui créent la subjectivité.

Le sage oriental devant la subjectivité n'essaie nullement de lui tourner le dos c'est-à-dire de tourner le dos à lui-même mais l'affronte en essayant, dans cette quête de l'absolu de s'en libérer en rendant son esprit le plus libre possible. Il s'éloigne du monde mais ce n'est que pour le retrouver avec les yeux de dieu, dans la contemplation.

Ce ne sont que deux caricatures mais je crois fondamentalement qu'elles sont vraies. Resterait à savoir pourquoi la moitié du monde s'est intéressée à la nature et l'autre à l'esprit.

 

Vendredi 29 septembre 

 

Noté cette phrase de Stirner :

 

« le savoir doit mourir pour ressusciter comme volonté et se recréer quotidiennement comme personnalité libre »

 

Mardi 17 octobre 1972 

 

J’ai discuté longuement avec Patrick Marand, au fil des heures. Une nouvelle trappe s'est ouverte sous moi, embarquant tout.

Il ne me reste plus qu'à crier, au mépris de toute mesure.

Il ne me reste plus qu'à mourir, pourquoi pas ?

J'écris mais je pense à autre chose. Je n'ai plus envie d'écrire. J'ai envie de mourir, de mourir d'amour et c'est cette envie immense, qui me prend aux tripes, qui est fausse, qui n'est qu'une maladie. Tout mon être est malade et pourtant c'est cette maladie même qui me porte dans ma recherche.

C'est elle qui commande mes actions et dont je suis l'esclave et c'est pourtant elle qui m'a donné ma liberté par rapport aux autres.

Je ne suis rien qu'un égocentrique et pourtant je retrouve cet égocentrisme chez la plupart des créateurs.

Je suis vraiment fou. Bêtement fou et pourtant c’est cette folie qu'on admire en moi comme on l'admire en Jésus-Christ. Au fond, j'ai eu la révélation de cette parole :

"Heureux les pauvres d'esprit, le Royaume des cieux est à eux."

ou plutôt l'enfer de cette folie d'où sort une fois sur mille, un génie qui, torturé pendant sa vie, ne sera aimé que lorsqu'il ne sera plus là pour gêner.

Je hais tous les gens sérieux. Je suis un enfant, et je le resterai toujours car j'ai besoin toujours de rester près du néant pour pouvoir m'imaginer que je m'y noie, pour, pendant quelques instants, pouvoir me dissoudre complètement dans le néant.

 

Le lendemain :

Mercredi 18 octobre 1972

 

Hier soir, tout vacillait.

Aujourd'hui je commence un livre qui répond, qui éclaire, qui fait éclater ce que je n'osais pas faire éclater. Je note cette phrase qui dit à Moise : avant de faire le monde, Dieu tendit aux créatures un miroir afin qu'elles voient les souffrances de l'esprit et l'extase conséquente. Certaines prirent le fardeau, et d'autres le refusèrent. Dieu radia ces dernières du livre de la vie.

 

Mardi 24 octobre 1972

 

Ce qui différencie les Païens de nous, c’est qu'à l'origine de leur croyance, il y avait un terrible effort pour ne pas penser en homme, pour garder le contact avec la création entière c'est-à-dire avec la divinité.

Artaud. 60 - Tome 7 des œuvres complètes chiez Gallimard ou chez Flammarion.

J'ai noté aussi :

"caprice et la multiplicité des choses que j'appelle, moi, « l’anarchie »."

 

J’ai noté aussi cette phrase de jean Blic 

"Les dieux ne sont point contenu dans les corps mais leur vie, leurs actions divines les contiennent

Ils ne sont point tournés vers les corps mais les corps qu'ils contiennent sont tournés vers la cause divine."

 

Cette phrase étant la réponse de Jean Blic à la question de savoir pourquoi le soleil et la lune qui sont des Dieux sont visibles.

 

Autre phrase d’Artaud :

 

« Je ne suis certes pas pour la dualité « esprit-matière » mais entre la thèse qui donne tout à l'esprit et celle qui donne tout à la matière, je dis qu’il n’y a pas de conciliation possible tant qu'on demeurera dans un monde où l'esprit ne pourra devenir quelque chose que s'il consent à se matérialiser. La matière n'existe que par l'esprit et l'esprit que dans la matière."

 

Autre phrase d’Artaud

 

"Les nombres c'est-à-dire les degrés de la vibration".

 

Vendredi 3 novembre 1972

 

Si l'on considère que le fruit le plus important de l'homme c'est l'éducation qu’il en reçoit, et la possibilité qu'il y trouve de participer à l'éducation d'autrui alors l'aliénation de la société moderne dans une perspective pédagogique est encore pire que l’aliénation économique.

NIESCHE

 

Dans les pays capitalistes, communistes, sous-développés, une minorité commence à paraitre qui éprouve un doute, se demande si l'homo faver est bien l'homme véritable ; et c'est ce doute partagé qui annonce une nouvelle élite : laquelle appartiennent des personnes de toutes classes.

 

"'J’aurais voulu ne savoir pas ce qu'on trouve en suivant la route,

"mais si je vous écoute que d'une oreille et d'un cœur las, c'est que je préfère tout bas mon ignorance à votre doute. Laissez-moi, l'âme ouverte toute, errer pour revenir sur mes pas, boire le vent, aimer la route et m’en coûte ce que m’en coûte, avancer en ne sachant pas  où va la route, où vont mes pas."

Paule Geraldi

 

Lundi 29 novembre 1972

 

Il est tard. J'ai détruit la ligne d'horizon. Le passé s'écroule comme un château fort. Les mains figent ma face comme le poison ; qui décroit doucement dans l'obscurité d'or. Il est tard d'aimer, tard de saveur et de goût, tard d'hier et de regards, trop tard pour trier pour l'homme qui s’enfuit fou, il est trop tard.

Le vent s'écoule comme un horizon fort.

Je souffle contre la brune et mes yeux qui fuient chantent de grandes louanges aux vieux romantiques mais il est trop tard. Ce n'est plus le sang qui s'écoule, c'est le tabouret qui bascule et l’homme qui s’étrangle 

 

L’enseignement du Bouddha de Walpolaraboula

Éditions Seuil-Paris

 

« Bouddha exhortait ses disciples à être un refuge pour eux-mêmes et à ne chercher jamais refuge ou aide auprès d'un autre. 

Le don de la vérité surpasse tous les autres. Il est sans importance pour un chercheur de vérité de savoir d'où provient une idée ; être attaché à une chose, à un point de vue, et mépriser d'autres choses, d'autres points de vue comme inférieurs, cela les sages l'appellent un lien. »

1er décembre 1972

 

Je dessinerais une grande bouche sur la figure du monde où le rire ensorcelé éclatera en mille éclats. Je serai à l’image de Dieu. Je serai le fou de l'homme, le feu est beau, le feu rira, le feu fou, le fou feu, le tout feu, le feu qui brille et brûle pour ne jamais plus mourir.

Je suis là mort qui tremble, la mort qui ne passera pas, la mort.

Au revoir soleil de la terre, au revoir mite, au revoir démystificateur, au revoir baladin impossible de croyances, ricaneurs, vieux sac.

Au revoir soleil, soleil, soleil, soleil, soleil, soleil, soleil de lune.

 

A mesure que j'avance (ou que je recule) je me vois de plus en plus rentrer en contradiction avec certains côtés de notre société.

Je n'ai pas les moyens d’en savoir beaucoup sur mon avenir mais peut-être me sera-t-il très difficile de m'inclure dans cette société et de passer sous son joug.

Si cela m'arrivait, je partirais et irais vivre comme je pourrais et où je pourrais pour n'être en aucun cas de nouveau redevable de ceux qui m'ont déjà trop donné.

 

7 décembre 1972

 

Le soleil gagna le fond de la vallée comme la goutte de sang qui, ivre de vertige, flotte dans l'air vide.

Nous avons tourné vers la droite alors j'ai dit que vraiment on s'emmerdait à St Martin mais il me fit signe et je vis que nous étions juste entrain de passer derrière le directeur.

C'était un après-midi d’hiver, nous étions tous les quatre. Notre union atteignait la souffrance. Le monde tout entier évoluait derrière un miroir déformé.

Nous échappions au temps, au malheur, à la souffrance. La vie était devenue un immense brasier où chacun était le feu de l’autre.

Nous avions pris une épingle : nous voulions que les sangs s'unissent, se perdent dans un même fleuve et que ce fleuve nous emporte.

Je crois que c'est alors que la communion qui m'était restée jusqu'alors cachée s'est éclairée.

Enfoncés dans un petit fourré, retiré, séparé au monde par le cours sombre et pollué d'un cours d'eau, nous décidâmes de passer à l'action.

Enfoncer l'aiguille dans notre peau nous parut soudain, très difficile. Quand l'un de nous le faisait son sang séchait avant que les autres aient décidé de se piquer le doigt.

Nous renonçâmes.

 

L'aumônier était à la disposition des garçons pour célébrer la messe, le soir. Nous avions notre jour où nous nous retrouvions tous les quatre dans une minuscule crypte avec le prêtre. La messe commençait : nous étions à l'écoute de l'irréel. Chaque geste du prêtre prenait la signification que lui donnait notre être tandis qu'elle échappait même à celui qui le faisait. Le prêtre continuait comme un mécanisme bien rôdé sans s’apercevoir que le rite mort devenait, ô sacrilège, le pacte brûlant de quatre garçons.

Il prit l’hostie et l’éleva en l’adorant. Alors une force obscure nous fit rire, un rire irrésistible qui propagea d’un esprit dans l’autre tandis que mordant nos lèvres nous essayons de nous retenir.

Le prêtre se retourna pour nous donner la communion et nous dit : « eh bien, vous êtes heureux. »

En voyant la grande hostie se fendre, notre esprit était devenu sérieux. Il y avait quatre parts, quatre parts du même corps. Ce corps, cette quadruple obscure était notre feu.

Parce qu'il ne pouvait qu’être en opposition avec la morale, il nous plongeait dans la honte. Le prêtre l'avait adorée machinalement.

Nous sortîmes en silence.

 

Le 17 décembre 1972

 

Je sors d'une leçon de géo emmerdante. Je n'ai plus beaucoup le temps de lire. Nous avons fait des maths avec Khiam. De fil en aiguille, je n'ai pas revu Agnès depuis quatre semaines. J’ai raté ma compo de maths quant à celle de physique, je ne sais pas.

Le temps passe ; je suis assez heureux.

Je me demande ce que je vais devenir plus tard.

Nous vivons avec François une époque néo-guespanienne et avons décidé d'écrire des romans qui pourraient s'appeler " A la recherche des temps guespaniens." Évidemment, nous nous prenons très au sérieux et imaginons notre prochaine gloire.

 

Le temps passe : la vie s'écoule. Je me demande si elle s'écoulera toujours ainsi me menant tout doucement vers ma mort sans que je n’aie jamais le temps de la saisir, de l'arrêter, de la comprendre et de me donner vie ou de me tuer.

Je me demande ce qui a le plus de sens : se jeter dans la vie brûlante, vivre et développer le plus loin possible cette sensibilité qui permet de vivre à fond toutes les relations que l'on peut avoir avec la nature, les objets, les êtres humains ou bien, au contraire, développer une immense paix intérieure à la façon bouddhique; développer cette conscience du néant de notre être et de tous plaisirs, pour se détacher et mieux laisser grandir en nous l'être total, l'être absolu.

Mais peut-être n'est-ce pas des portes opposées mais seulement deux marches différentes d’un même escalier.

 

 

Le 18 décembre 1972

 

"Et s'il est encore quelque chose d’infernal et de véritablement maudit en ce temps, c'est de s’attarder artistiquement sur des formes au lieu d'être comme des supplicier que l’on brûle et qui font des signes sur leurs bûchers."

Antonin Artaud

« Le théâtre et son double ".

 

"Là où d’autres proposent des œuvres, je ne prétends pas autre chose que de montrer mon esprit »

Antonin Artaud 

"'L’ombilic des nymphes"

 

"on ne meurt pas parce qu'il faut mourir, on meurt parce que c’est un pli auquel on a contraint la conscience, un jour, il n'y a pas si longtemps."

Antonin Artaud

 

L’Europe se momifie lentement sous les bandelettes de ces frontières, de ses usines de ses tribunaux et de ses universités.

Or il faut se libérer de l'incapacité fondamentale humaine qu'est l'égoïsme matérialiste.

Il faut réaliser pour cela l’unité entre de monde sans forme de ce que l'on pourrait appeler "le Nirvana" et l'univers quotidien ;

il ne s'agit pas de rejeter cette réalité quotidienne mais au contraire de l'aimer et non de la subir au point de déceler en elle, la trace du divin.

 

J'ai relu des passages du premier cahier. Je les aime beaucoup. Ils ont sans doute bien plus de pureté que tout ce que je peux écrire maintenant. C'est très difficile de juger et mon jugement est peut-être faux mais, en tous cas c'est l'impression qu'il me donne.

Garder la flamme, garder ce crépitement, cette explosion profonde et éternelle qui habite le fond de mon être.

 

Qui suis-je ? D'où je viens ? Je suis Antonin Artaud et que je dise comme je sais le dire immédiatement, vous verrez mon corps actuel voler en éclats et se ramasser sous mille aspects notoires : en un corps neuf où vous ne pourrez plus jamais l’oublier.

Son passé se projeta brusquement vers le mur noir de la mort et s'y éparpilla en un halo de aches multicolores fixées pour l’éternité.

Et si le vin, la drogue etc.… n'était qu'un moyen de transformer les choses en mots....

 

Ce qui nous gênes c’est notre objectivité notre corps. Il y a deux moyens pour y échapper et ne plus souffrir : c’est le détruire totalement ou le devenir totalement ; s’abaisser ou s’élever, être ou ne pas être.

 

Il n’y a pas des êtres il y a un être.

S’il n’y a qu’un être, la nature en fait partie en tant que non être, la nature n’existe que comme expression de l’être. Si je suis une expression de la matière, elle est aussi la matière de mon expression.

 

Il y a progrès lorsque l’expression de l’être à travers la matière devient plus facile. Cela seul est le progrès. Si l'on considère que le progrès n'a pas de limites, le passage de l’être à la matière tendra à devenir infiniment facile. Mais, il nous est impossible de postuler que dans un point infiniment lointain, l'esprit puisse renoncer à se matérialiser pour exister.

 

Il serait intéressant de différencier les deux verbes EXISTER et ÊTRE de la façon suivante : 

LA NATURE existe mais elle n’est pas.

L’HOMME, en tant qu’individu, existe et est plus ou moins. 

Dieu n’existe pas mais est.

 

Sous cet angle, une œuvre d’art existe-t-elle ? 

Nous pouvons déjà dire qu’elle existe en tant qu’objet mais que sous cet angle, elle n’a pas plus de valeur qu’un tas de boue. Elle ne peut donc prendre sa valeur que l’être.

L’œuvre d’art est une particule d’être figé c’est à dire mort.

En ce sens, l'art comme les mots, demande la mort de la matière en tant qu'existant, en tant qu'en soit mais aussi la mort de l'être.

D'ailleurs, la douleur de l'artiste n’est-elle pas sa racine dans la conscience qu'il a que son œuvre n'est qu'une forme desséchée et morte d'une partie de son être et que l'objet transformé n'a même plus la pure et raisonnable simplicité naturelle. Mais cet échec n'est-il pas l'expression même du dilemme de la vie de l'homme ?

L'échec même de l'art n'est-il pas l'expression de la plus pure de la souffrance de l'homme c'est-à-dire de sa vie ?

L'art demande la mort de la matière, de l'existant, de l'être et pourtant il est l'expression de l'homme qui est la vie de chacun d'eux.

Il est remarquable que l'œuvre d'art étant morte, elle n’est parlante que pour celui qui en la regardant possède l'original sous forme vivante à l'intérieur de lui.

 

 

 

 

Jeudi 24.12.72

 

Ce que tu as gâché, que tu as laissé se gâcher et qui te gêne et te préoccupe, ton échec et pourtant cela même qui ne dormant pas est énergie, énergie surtout, qu’est-ce que fais-tu Michou ?

 

L'écrivain est un vaincu. Écrire c'est s'arrêter de vivre pour transcrire cette vie en mots qui, chacun mentira un peu.

Celui qui vit totalement ne s'arrêtera pas pour écrire. A quoi lui servirait-il ce succédané de vie. On écrit que devant un échec pour expliquer son échec, pour expliquer pourquoi on : est le vaincu de cette société.

Comment l'image gêne mais je hais aussi les mots. Comme elle, ils sont l’expression finie d'un infini et mentent à chaque instant et puis écrire c'est s'arrêter de vivre pour donner un succédané de vie à ceux qui n'auront jamais le courage de le faire et ils ne méritent pas.

C'est encore plus vrai lorsque l'on a seize ans mais comme de toutes façons, je suis enfermé entre quatre murs avec des professeurs qui me désapprennent à inventer, je vais écrire ce livre qui sera comme un crachat et j'expire que cet embrun de vie brûlera le visage de ceux qui désapprennent à vivre à des millions d'êtres.

 

Samedi 26.12.72

 

Je n'aime pas la fanfare de la grandiloquence humaine et pourtant les mots que j'ai écrit jeudi ressemblent à une fanfare grandiloquente.

J'aimerais devenir très simple et ces gens sur qui je crache je les aime de tout mon cœur. Ils sont leurs propres victimes.

 

Il est tard, la maison est silencieuse. Je suis perdu au milieu du monde, seul avec des images qui passent des visages réels et des visages irréels qui semblent tous tendre vers le même. Quel est ce visage. Mon âme dérive. Il y a comme une immense impossibilité de vivre dans mon cœur, un cri vers l'être.

Je suis désormais seul, les êtres de la terre ne sont que des images déformées de l'être...l'être, cette impossibilité, cette mutation continuelle dans l'unité et l'anarchie.

 

J'ai beaucoup bu avec Raphaël. Les visages défilent devant mes yeux avec derrière leur monde propre et je tombe amoureux de chacun de ces mondes. Ils passent tous aussi beaux mais aussi imparfaits et inachevés. J'ai envie d'écrire, de me pénétrer de ces regards, de ces mots, de ces âmes.

Parfois, le soleil dans le ciel comme un grand papillon s'élève et éclate ; alors la nuit se fait, éclairée par des milliers d'éclats qui sont les étoiles.