MICHEL
SALOFF-COSTE
MANAGEMENT
DES CONNAISSANCES
ET
DYNAMIQUE
DE COLLABORATION
LES
CAHIERS DE LA R&D
IN
PRINCIPO
109
BD HAUSSMANN
75008
PARIS
CONTEXTE
Depuis toujours, la
connaissance et l'information ont été un avantage clef. La dernière guerre a
été gagnée par notre capacité à décoder
les messages secrets allemands. A l'origine de la plupart des fortunes il y a
une innovation, Microsoft ou Bic en sont
de bons exemples.
Ce qui est nouveau,
c'est l'accélération du changement et du flux d'informations : alors que la
masse de connaissances en circulation sur la planète n'augmentait que très
faiblement au début du siècle, cette masse d'information est aujourd'hui en
train de doubler chaque année. Le contenu en intelligence et en information des
produits et des services augmente exponentiellement. Alors que dans les années
soixante le coût d'une voiture était à 70% lié au processus industriel et
commercial, avec seulement 30% pour l'aspect informationnel ; aujourd'hui , les
proportions s'inversent et c'est 70% du coût d'une voiture qui devient
informationnel : création et conception en amont, communication et publicité en
aval.
Dés les années
quatre-ving, un certain nombre d'analystes et de consultants comme Daniel Bell,
Alvin Toffler attirent l'attention sur
l'émergence probable d'un nouveau type de civilisation où l'information
jouerait le rôle qu'a joué le pétrole dans la société industrielle. Le
développement fulgurant qu'a connu l'informatique et l'arrivée ces dernières
années des nouvelles technologies de l'information (plus spécifiquement
Internet) ont accéléré ce processus. Il existe aujourd'hui un consensus sur le
fait que les pays et les entreprises les
plus avancés sont rentrés de plein pied dans la "Société de
l'Information". Plus de 50% des travailleurs ont pour mission de créer,
transformer et traiter l'information
De la même manière que
la compétitivité dans la société industrielle est liée à l'optimisation du
processus industriel, dans la société de l'information la compétitivité est
liée à l'optimisation du processus informationnel.
Dans ce contexte,
aucun individu, aucune entreprise , aucun état nation ne pourra rester longtemps compétitif s'il
n'intègre pas rapidement les connaissances nouvelles qui s'élaborent un peu
partout dans le monde, et qui visent à améliorer la création, la circulation et
la communication de l'information.
LES
TROIS GRANDES MODALITES DE LA CONNAISSANCE
Le
paradoxe de la société de l'information : nous avons conscience que la
connaissance devient un enjeu stratégique mais nous sommes de plus en plus
noyés dans un flux croissant d'informations insignifiantes, contradictoires et
incohérentes qui nous déstabilisent.
Il
faut distinguer une information d'un savoir et le savoir d'une connaissance.
L'information en tant que telle n'a qu'une valeur très relative, car elle ne
devient savoir opérationnel que si on en comprend le contexte et si on est dans
un contexte où on peut l'appliquer. Par exemple, une analyse boursière d'une
entreprise n'est compréhensible que si on a un minimum de culture économique et
n'est utilisable que si on est en position d'investir ou de vendre.
Un
savoir devient une connaissance lorsque la compréhension en profondeur du
contexte et des conditions de l'action crée une véritable dynamique chez celui
qui connaît, et lui permet d'innover dans sa création et sa communication.
On
peut distinguer trois niveaux dans l'intégration d'une connaissance : savoir,
savoir-faire, savoir être.
Le savoir : dans le meilleur des cas, le savoir
est clairement formulé et contextualisé dans l'ensemble des connaissances
implicites nécessaires à sa bonne compréhension. Très souvent la
contextualisation manque. Aujourd'hui les savoirs évoluant très
rapidement, ceux-ci sont souvent encore
mal formulés au moment où il sont les plus intéressants pour l'innovation,
c'est à dire dans leur phase émergente. Un des enjeux du management des
connaissances est la captation des savoirs dans leur phase d'émergence, leur
reformulation afin de les clarifier, et leur recontextualisation afin de les
rendre facilement opérationnels.
Le savoir-faire : nous faisons constamment l'expérience
qu'un savoir, même clairement explicite, ne garantie pas l'efficacité dans
l'action. J'ai beau connaître la théorie de la navigation , cela ne fait pas de
moi un bon marin. Le savoir-faire est le tour de main que j'acquière en mettant
en œuvre mon savoir dans le cadre d'une action. Les nouvelles technologies de
l'information, la réalité virtuelle et l'utilisation de l'image et la vidéo
sont autant d'outils qui facilitent la transmission de ce savoir-faire encore
faut-il qu'il ait été codifié et enregistré.
Le savoir-être : au-delà du savoir-faire, quand on
analyse finement les raisons de l'excellence dans une matière on découvre un
véritable "savoir être". Ce savoir-être est souvent complètement
implicite et donc non-dit. Il fait référence à un certain nombre de valeurs
morales, éthiques ou esthétiques que la personne véhicule sans les avoir
analysées. Ce sont des représentations du monde, des "paradigmes" qui
sont transmis de manières informelles, le plus souvent par l'éducation familiale, ou qui sont
élaborées plus ou moins inconsciemment par l'individu ou l'entreprise dans un
désir de se dépasser. Ces dernières années on a vu des efforts croissants des
entreprises les plus performantes au monde pour rendre explicite leur
savoir-être à travers des chartes de valeurs ou d'engagements les plus
transparentes possibles.
CAPITALISATION CIRCULATION ET RÉSEAUX
Le
management des connaissances étant un champs de réflexion en pleine émergence,
on mélange parfois les dimensions qui sont extrêmement hétérogènes. On peut
distinguer trois problématiques essentielles : capitalisation, circulation,
réseau.
Capitalisation
Il
s'agit de capitaliser dans des bases de données les plus intelligentes
possibles l'ensemble des connaissances que l'on aura identifiées comme étant
importantes et signifiantes pour l'entreprise. Le management des connaissances
vu sous cet aspect est souvent perçu comme une évolution du service de
documentation modernisé grâce au nouvelles technologies. L'information voit
souvent sa pertinence et son actualité chuter avec le temps. Cette approche du
management des connaissances est limité : si elle a l'avantage de thésauriser
méthodiquement l'information, elle a peu d'impact sur l'avantage concurrentiel
et l'innovation.
Circulation
La
capitalisation de l'information doit être mise au service de chacun à travers
la circulation. La circulation est la problématique de l'accès direct aux
données ainsi que de l'enrichissement des données à l'initiative de chacun. La
circulation pose des problèmes technologiques qui sont de plus en plus
facilement résolus par les nouvelles technologies de l'information mais pose
aussi des questions humaines qui trouvent leurs solutions dans un travail sur
la culture et le management de l'entreprise. Les individus ont par atavisme
l'habitude de garder l'information pour leur tribu, de protéger leur territoire
par le secret et d'avoir des comportements mercenaires qui sont autant
d'habitudes contraires à un bon management des connaissances en terme de
circulation. On trouve dans la circulation les véritables enjeux du management
des connaissances et c'est dans ce domaine où il reste beaucoup à faire car
l'implémentation des technologies les plus avancées dans l'entreprise ne
garantit aucunement la circulation de l'information si les être humains n'en
sont pas le moteur. C'est cette circulation qui permet à la base de données de
s'enrichir constamment de manière
pertinente et vivante.
Réseau
De
tous temps l'information la plus créative et la plus pertinente a été crée par
des individus échangeant de manière informelle et transversale au-delà de leur
discipline. Le management des connaissances implique au plus haut niveau de son
efficacité un véritable management en réseaux. C'est la capacité de créer des
réseaux d'individus atypiques et innovants à l'intérieur et à l'extérieur de
l'entreprise qui est la clé d'un véritable management des connaissances ancré
sur une profonde dynamique. Le management des réseaux implique un savoir-être
de qualité chez chacun des membres du réseau. On comprend que l'information
circule mieux chez des individus qui partagent un certain nombre de valeurs,
sont affectivement liés, et ont un véritable respect de l'apport de chacun.
LE SAVOIR ETRE DU MANAGEMENT
DES CONNAISSANCES
1)
Etre prêt à remettre en cause sa représentation du monde et le système de
croyance et de valeur qui va avec.
2)
Explorer régulièrement les champs de connaissances nouveaux, ne pas rester figé
dans sa spécialité.
3)
Donner à chaque interlocuteur l'information la plus créative et la plus
pertinente que l'on possède par rapport à la problématique, ne pas faire de
rétention d'informations par omission ou falsification.
4)
Avoir le courage de dire ce que l'on pense et d'affirmer son intime conviction
même si cette information est à contre courant.
5)
Respecter, valoriser et reconnaître l'auteur d'une information.
6)
Construire des logiques gagnant-gagnant en étant soucieux de valoriser son
partenaire dans l'échange d'information.
7)
Créer des espaces au niveau de l'individu et de l'entreprise qui permettent la
prise de recul et la distanciation nécessaires pour créer du sens, développer
des réseaux d'échanges amicaux et être créatif.
8)
Valoriser, comptabiliser et rémunérer le capital immatériel des individus et de
l'entreprise.
LE CERCLE VERTUEUX A METTRE EN OEUVRE
La vision
Quelle
est la vision souhaitée du futur de l'entreprise ?
L'identification
Quelles
sont les connaissances de l'entreprise?
A
quoi servent-elles ?
Quelles
formes ont-elles ?
Comment
sont-elles accessibles ?
L'analyse
Comment
les connaissances de l'entreprise peuvent-elles créer de la valeur?
Quels
sont les effets de leur utilisation ?
Quels
sont les freins à l'utilisation ?
La spécification
Quelles
sont les actions nécessaires à une meilleure utilisation des connaissances ?
Comment
planifier ces actions, les mettre en œuvre et les conduire ?
Le contrôle
La
meilleure utilisation des connaissance crée-t-elle vraiment de la valeur? ?
Comment
améliorer le capital de connaissance, et dans quels domaines ?
L'utilisation
des connaissances crée-t-elle de nouvelles opportunités ?
L'exploration
Quels
sont les scénarios potentiels de ruptures internes ou externes, les nouveaux
marchés, les risques et les opportunités susceptibles de requérir des
connaissances inhabituelles pour l'entreprise?
Et ....à nouveau la vision.
Quelle
est la vision souhaitée du futur de l'entreprise ?
APPROCHE METHODOLOGIQUE
Constat
1 : On apprend avec les autres et non pas en s'isolant.
Première
étape : Faire rentrer l'organisation dans un réseau d'échange, de recherche et
d'action constitué par des individus et des entreprises qui partagent les mêmes
exigences et soucis de compétitivité.
Constat
2 : Le savoir explicite n'est rien sans la connaissance implicite du contexte
qui donne le sens véritable à l'action.
Deuxième
étape : Transmettre à l'entreprise, à travers des missions de stratégie, les
connaissances nécessaires à la bonne compréhension des enjeux de la
"Société de l'Information", de la "Création de Valeur" et
du "Management des Connaissances" .
Constat
3 : Pour changer, il faut commencer par savoir qui l'on est et où l'on est.
Troisième
étape : Par des interviews et un audit nous restituons une photographie de la
situation actuelle de l'entreprise. Nos outils de diagnostic permettent de
situer l'entreprise en terme de management, culture, structure et système dans
différentes typologies et de mesurer le chemin à parcourir pour aller vers une
organisation plus performante.
Constat
4 : L'art du management consiste à utiliser des ressources forcément limitées
avec le maximum de rendement et d'efficacité.
Quatrième
étape : Constructions d'un plan d'action en terme de management, culture,
structure et système, en élaborant le chemin critique le plus efficace possible
en fonction de l'organisation de l'entreprise.
Constat
5 : Le changement ne s'effectue pas en un jour , il demande un effort soutenu
et cohérent.
Cinquième
étape : Accompagnement et coaching des équipes de direction dans le changement
de management, culture, structure et système.
Les
trois vecteurs privilégiés de ces évolutions sont :
1.
la communication interne et externe,
2.
la politique de ressources humaines et la formation,
3.
la pleine utilisation des Nouvelles
Technologies de l'Information.
Nous
organisons pour l'entreprise l'orchestration de ces différentes dimensions.
Constat
6 : "You get what you measure"
Sixième
étape : Nous installons différents outils de mesure qualitative et quantitative
de la progression de l'entreprise. Des logiciels d'expertise du
"Management des Connaissances" et de la "Création de la
Valeur" permettent à l'entreprise de mesurer et de valoriser les richesses
immatérielles.
Constat
7 : Les enjeux de la "Société de l'Information", du "Management
des Connaissances", de la "Création de Valeur" ne sont pas
réductibles à des approches mécanistes du conseil en organisation classique.
Tout au long de notre démarche, notre approche intègre les changements de
l'environnement, les recherches d'avant-garde et les caractéristiques
singulières de l'entreprise.
Nous
nous attachons à mener avec chaque entreprise des actions porteuses de sens, d'unicité et de
différenciation. Ce sont sur ces caractéristiques singulières que peut se
construire un véritable succès dans la "Société de l'Information".
LA TRANSFORMATION ORGANISATIONNELLE DE L'ENTREPRISE
La
civilisation humaine, avant de se développer dans sa phase la plus récente de
"Création et de Communication" liée à la société de
l'information a connu trois étapes de
civilisation qui marquent encore nos organisations dans leurs modes de
fonctionnement. Les entreprises ont beaucoup à faire pour se transformer et
atteindre les caractéristiques spécifiques de la création communication. Elles
sont souvent engluées dans des cultures, des modes de management, des
structures et des systèmes issus d'un âge ancien. Dans le meilleur des cas,
elles en sont à se moderniser pour intégrer les concepts les plus avancés de la
société industrielle, très souvent elles restent enfermées dans des modèles
issus de la phase agraire sans parler des comportements du type
"Chasse-Cueillette".
Voilà
quelques clés pour faire un diagnostique rapide de votre entreprise et mesurer
les nécessités d'évolution pour la faire entrer harmonieusement dans la société
de l'information.
Nous
partons du principe que chacun des "âges", chacune des
"ères", traversé par l'humanité constitue un "tout"
structurel, un système de cohérence, et fait référence à un "système de
croyance". C'est par rapport à chacun de ces "systèmes"
respectifs que l'on va pouvoir diagnostiquer le positionnement de chaque
individu et entité.
Les
quatre niveaux de civilisation ont été plus ou moins bien assimilés, selon les
pays, les entreprises ou les individus. Certains sont restés à une étape,
d'autres en intègrent deux, trois ou quatre. En synthétisant les concepts clefs
qui président à chaque strate de développement, on peut retrouver dans un
individu, une entreprise ou un pays, les caractéristiques liées aux quatre
phases du développement des civilisations.
Ce
diagnostic permet de repérer les "blocages" dans telle ou telle
strate qui empêchent un individu, une entreprise, une entité quelconque
d'accéder à l'âge de la "Création-Communication".
A
chaque fois, de nouvelles "fonctionnalités", ou fonctions, sont
venues s'ajouter aux précédentes, et chacune des étapes du développement
correspond plus particulièrement à certains types d'activités.
De
manière générale, on peut observer une capacité croissante à l'abstraction,
c'est-à-dire à la création de concepts de plus en plus éloignés des simples
perceptions sensitives : la vue, l'ouïe, l'odorat, le goût.
L'âge
de la Chasse-Cueillette est l'époque du rapport fusionnel avec la nature. L'âge
de l'Agriculture-Élevage est l'époque de la désignation hiérarchique de chaque
objet. L'âge de l'Industrie-Commerce est l'époque de la théorisation
uniformisante de la réalité. L'âge de la Création-Communication est l'époque de
la découverte de l'altérité radicale des devenirs. C'est cette altérité, et la
conscience de sa différence, qui constitue sans doute un des facteurs les plus
déstabilisants de notre société. Comment vivre et développer des relations avec
d'autres, en les acceptant différents, voire uniques. C'est bien sûr aussi un
des problèmes majeurs des entreprises "horizontales": comment faire
travailler de façon harmonieuse des personnes "uniques".
Les
quatre principes relationnels
A
partir de l'ensemble de ces considérations, on voit plus clairement apparaître
les quatre principes qui orientent chacune des ères.
Chasse-Cueillette = Fusion - Osmose
Agriculture-Elevage = Hiérarchique - Pyramide
Industrie-Commerce = Egalité
- Compétition
Création-Communication = Altérité
- Unité = Complexité
L'homme
sort de sa fusion avec la nature, par un processus de hiérarchisation tout à la
fois mental et social. Il révolutionne ensuite cette hiérarchie par le droit à
l'égalité. Enfin l'égalité est elle-même dépassée par le droit à une liberté
radicale : le droit à l'altérité, le droit à la différence.
A
partir de cette synthèse de l'idée clef qui préside à chacune des strates de
civilisation, on peut faire une analyse précise d'un individu, d'une entreprise,
d'une société, d'un système, d'une structure, d'une culture, d'un type de
management. Pour en saisir la représentation sous-jacente, et à quelle strate
de civilisation il est fait implicitement référence, il suffit de se
demander : est-ce que "cela" participe à renforcer la
"fusion", la "hiérarchie", "l'égalité",
"l'altérité" ?
Ainsi,
les façons dont une organisation va recruter un de ses collaborateurs,
l'accueillir, le "récompenser", le former, le style de management, la
politique de formation, etc., vont dépendre grandement des valeurs et du
système de représentation sous-jacents. Si nombre d'entreprises ou
d'organismes, aux Etats-Unis, vont se comporter en organismes
"Industrie-Commerce", avec quelques accents "Agriculture-Elevage",
le système français des castes et des grandes écoles emprunte plus à une
représentation de type "Agriculture-Elevage".
De
façon très générale, on pourra évaluer qu'un Système, une Structure, un
Management, une Culture, est du type "Chasse-Cueillette",
"Agriculture-Elevage", "Industrie-Commerce" ou
"Création-Communication", dans la mesure où ils valorisent ou
dévalorisent les processus de fusion, de hiérarchisation, d'égalisation ou
d'altérité.
De
l'organisation des parties au positionnement du tout .
Un
management, une structure, un système, une culture, seront
"Chasse-Cueillette", chaque fois que les parties sont indistinguables
du tout. Les choses concourront à ne laisser aucune initiative, liberté ou
réflexion mais amèneront la nécessité d'une fusion totale avec les intérêts du
groupe.
Ils
seront "Agriculture-Elevage" chaque fois qu'ils feront référence à
une hiérarchisation méthodique de toute chose et s'organiseront sous forme
d'arbrification pyramidale. En ce sens, les entreprises tayloriennes, même si
elles ont connu leur plein essor dans l'ère Industrie-Commerce, ont encore une
organisation "archaïque", ce qui peut expliquer le déclin ou même la
mort de nombre d'entreprises géantes.
Ils
seront "Industrie-Commerce" chaque fois qu'ils chercheront à égaliser
et à valoriser ce qui s'adapte le plus rapidement aux évolutions extérieures,
principe de sélection naturelle.
Les
entreprises "toyotiennes" sont assez représentatives de ce type
d'organisation relativement égalitaire, d'où leur succès en cette fin d'ère
industrielle.
Ils
seront "Création-Communication" chaque fois qu'ils valoriseront les
positions en rupture des modes établis, et anticiperont en développant de
nouvelles "visions du monde". Reebok, mais aussi Federal Express,
Body Shop, Camaïeu, Benetton, Motorola sont représentatifs de ce côté plus
visionnaire et créatif, souvent associé aux entreprises dites
"neuronales", ou auto-apprenantes.
Il
semble très difficile, sinon impossible, de sauter une étape. Il faut être
initié à la hiérarchisation pour être capable d'apprécier l'égalité, et il faut
avoir vécu les valeurs d'égalité de l'Industrie-Commerce pour apprécier la
notion d'altérité de l'ère Création-Communication.
Au
cours de l'évolution, les individus, les entreprises ou les états les plus
performants sont ceux qui anticipent, autant que cela se peut, sur l'étape
suivante.
L'âge
de la Création-Communication a la double caractéristique d'utiliser, de manière
maîtrisée, consciente et distancée, les modalités précédentes, mais aussi de
rendre complètement inefficace et obsolète l'utilisation "des modes de
fonctionnements anciens".
Le
rôle donné à l'individu — le retour de l'individu, et non de l'individualisme —
apparaît ainsi comme essentiel, d'où l'importance donnée au développement de la
personnalité et à la recherche du sens. Les personnalités fortement
développées, liées à l'âge de la Création-Communication, sont très informées et
anticipatrices. Elles sont donc les premières à partir, dès qu'une entreprise
ou un produit cesse d'être à l'avant-garde. Mais sans ces personnalités, une
entreprise, un produit auront beaucoup de mal à survivre dans cet âge post-industriel, informationnel.
Pour
réussir dans le contexte de l'ère de la Création-Communication, il faut donc
veiller constamment à présenter un espace valorisant, où tous les êtres humains
entourant l'entreprise se sentent emportés à l'avant-garde du développement des
connaissances humaines.
L’EVOLUTION DES
ENTREPRISES
© Michel
Saloff-Coste
|
||||
TYPE D’ENTREPRISE
|
CULTURE
|
MANAGEMENT
|
SYSTEMES
|
STRUCTURES
|
CHASSE
CUEILLETTE
|
Fusion
Instinctive
|
Souder
Fasciner
|
Récursif
Fermé
|
Bande
Informelle
|
AGRICULTURE
ELEVAGE
|
Caste
Analogique
|
Hiérarchiser
Imposer
|
Formel
Mécaniste
|
Pyramide
Organisée
|
INDUSTRIE
COMMERCE
|
Egalité
Logique
|
Adapter
Négocier
|
Déductif
Réactif
|
Pyramide
Inversée
|
CREATION
COMMUNICATION
|
Complexité
Créative
|
Générer
Animer
|
Inspiré
Proactif
|
Cellules
Interactives
|
SYSTEME
STRATE
|
MISSION DE LA
FONCTION DES RESSOURCES HUMAINES
© Michel
Saloff-Coste
|
CHASSE
CUEILLETTE
|
FAIRE EMERGER UNE ELITE
Finalité : faire accéder à la tête les
meilleurs représentants du groupe.
Carrière : reconnaissance par le corps social
et par les pairs.
Fonction : elle n’existe pas en tant que telle.
Mobilité : peu de recrutement externe, on fait
carrière et le départ est traumatisant.
|
AGRICULTURE
ELEVAGE
|
ADMINISTRER L’AVANCEMENT
Finalité : maintenir à l’identique une
structure hiérarchique.
Carrière : monter en grade, statut.
Fonction : structurée et centrée sur
l’application des procédures.
Mobilité : faible entre fonctions, peu de
recrutement externe, turn over très faible.
|
INDUSTRIE
COMMERCE
|
"THE RIGHT MAN AT THE RIGHT PLACE"
Finalité : placer chacun où il apporte la plus
grande valeur ajoutée.
Carrière : progresser en professionnalisme et
en rémunération.
Fonction : structurée, centralisée et dotée
d’un fort pouvoir.
Mobilité : recrutement externe important, turn
over élevé admis.
|
CRÉATION
COMMUNICATION
|
CHACUN EST PORTEUR D’UN PROJET PROFESSIONNEL
Finalité : développer le potentiel personnel de
chacun.
Carrière : se réaliser professionnellement,
étendre ses compétences.
Fonction : décentralisée dans les unités
opérationnelles ; rôle d’information, de conseil, de soutien.
Mobilité : mobilité interne forte (notamment
interfonctions), recrutement externe en fonction du projet professionnel.
|
CULTURE
STRATE
|
ATTITUDES VIS À
VIS DU CLIENT
© Michel
Saloff-Coste
|
CHASSE
CUEILLETTE
|
LE CLIENT « OBJET »
· Le produit est
considéré comme « excellent » à priori et doit satisfaire le
client.
· Pas d’écoute du
marché, ni d’analyse de la demande.
· Le client est
un adepte, un initié, un « membre du club ».
|
AGRICULTURE
ELEVAGE
|
LE CLIENT « USAGER »
· Le produit et
les services qui l’accompagnent sont standards et non remis en cause.
· Les besoins des
clients connus par sondage sont peu intégrés dans l’offre de l’entreprise.
· Les procédures
d’interface avec le client sont bureaucratiques.
|
INDUSTRIE
COMMERCE
|
LE CLIENT « ROI »
· Le produit et
les services qui l’accompagnent sont adaptés aux besoins des clients.
· Les besoins du
client sont connus par des études marketing sophistiquées et segmentées.
· Les procédures
d’interface sont diversifiées et souples.
|
CRÉATION
COMMUNICATION
|
LE CLIENT « PARTENAIRE »
· La mise à jour
du besoin est effectuée directement avec le client.
· Les remarques
et les critiques du client sont immédiatement prises en compte et intégrées à
tous les niveaux.
· L’idée de
service poussé à l’extrême fait passer le business au second plan.
|
DE
LA SPECIALISATION A LA VALORISATION DU GENIE DE CHACUN.
Une
des constantes qui s'affirment d'étape en étape est la diversification
croissante des tâches remplies par l'homme et leur complexification. Déjà
durant l'époque Agriculture-Elevage l'homme avait connu une certaine spécialisation
des tâches par rapport à l'époque Chasse-Cueillette, mais il a fallu attendre
l'Industrie-Commerce pour que la notion de spécialiste devienne à la fois
explicite et fondement de l'intégration sociale.
Nous
savons aujourd'hui que quatre-vingt-dix pour cent des métiers de demain sont
inconnus et qu'il nous faudra sans doute changer plus de cinq fois de domaines
au cours d'une vie active. L'hyper-spécialisation de ces dernières années
débouche là sur quelque chose d'entièrement nouveau.
Au delà des métiers, repensons
les activités de l'homme autour de son "génie"
Peut-on
encore parler de mutation des métiers alors que ce sur quoi nous débouchons
remet en cause la notion même de métier. De même que l'âge Industrie-Commerce a
obligé l'homme à se "spécialiser", l'âge de la Création-Communication
implique l'homme dans son "génie".
Quand
nous parlons de génie, il ne s'agit pas de tel ou tel "tour" effectué
avec un brio hors du commun comme les grand spécialistes savent le faire. Il
s'agit d'être capable d'apporter au monde ce trait bien particulier et qui fait
que nous ne ressemblons à aucun autre être. Notre génie est notre point aveugle
parce qu'il est cette posture sans difficulté aucune qui est l'essence de notre
être au monde. Dans un monde où les mutations ne font que déboucher sur des
mutations encore plus radicales, il est fondamental, pour survivre dans la
plénitude, d'atteindre en soi ce point de non retour où l'on accède à la
permanence de soi.
C'est
à partir de cet ancrage dans notre génie que nous serons capables d'inventer
notre "métier" qui aura sans doute la curieuse caractéristique d'être
unique. La notion de génie ne doit pas être lue comme étant porteuse
d'élitisme ; nous sommes tous uniques. Simplement cette dimension unique,
géniale, est souvent effacée, refoulée, dans le désir de se fondre aux autres
ou par notre volonté mimétique de comparaison et de compétition.
Nous
quittons l'univers mécanique de la dialectique des oppositions où le monde est
vécu dans une logique bipolaire contradictoire ; il ne s'agit plus de
rester à sa place, mais d'inventer sa
place. Ce n'est pas une vision angélique. La vision holistique est porteuse
de conflits encore plus radicaux sans doute que la vision mécaniste car on ne
s'oppose plus de terme à terme, mais de singularité à singularité. Chacun est
porteur d'un monde unique. Créer une communication fertile implique alors
d'être capable de sortir de soi et d'entrer dans le monde de l'autre. Cette
capacité à la multi-appartenance est
un élément clef de la réussite future pour chacun d'entre nous et la planète en
général. Elle implique que chacun soit capable de relativiser son point de vue.
Les hommes ayant semblé depuis toujours avoir quelques difficultés dans cet
exercice, la vision holistique impliquera un mûrissement de l'humanité qui se
fera sans doute à travers des conflits multidimensionnels où s'affronteront des
a priori fondamentaux.
Intégrer les trois niveaux de
la conscience
Une
des choses les plus difficiles à surmonter par les individus -- et les
entreprises -- qui cherchent à s'adapter à ce nouveau contexte amené par l'âge
de la Création-Communication est la suivante. Comment intégrer en profondeur
les différentes couches de leur personnalité. Si découvrir son génie propre est
la chose la plus simple du monde, encore faut-il s'y autoriser et accepter de
se vivre comme radicalement différent de son entourage. Or comme l'a montré
René Girard, nous sommes conditionnés par tout notre atavisme à souhaiter nous
fondre dans l'orgueil mimétique. Pour se
sentir "le meilleur", cela présuppose que l'on soit comparable, ce
qui implique que l'on recherche en priorité ce qui nous rapproche des autres,
et donc ce qui nous éloigne de notre propre spécificité.
Ainsi
dans sa volonté de bien faire, l'individu s'éloigne toujours plus de son génie
et ce qu'il ne se permet pas à lui-même est évidemment ce qu'il n'autorisera
pas à autrui. Ce qui fait que derrière un discours banalisé et incantatoire sur
la nécessité d'innovation, le vécu dans les entreprises reste cet éternel
constat que la meilleure manière de se faire exclure est d'apporter une idée
réellement nouvelle.
Gérer
son génie et le génie de ses collaborateurs implique qu'on ait dépassé la
réaction automatique, que nous avons tous intégrée, de faire de l'altérité, du
différent, le bouc émissaire de nos misères, misères d'ailleurs liées
directement à nos limites mimétiques. Ainsi on voit régulièrement être lapidé
celui qui justement est en train d'ouvrir une brèche dans une situation sans
espoir.
Pourquoi
l'homme préfère-t-il souvent mourir ou tuer plutôt que d'accepter son génie et
celui de l'autre ? Nous devons prendre pleinement conscience de
l'extraordinaire angoisse qu'amène cette déterritorialisation fondamentale liée
au génie qui fait que nous n'avons plus alors d'autres critères que ceux que
nous nous donnons.
Dans
ce contexte, le masque formel que nous avons construit dans le contexte social
explose en morceaux. Ce qui remonte derrière, nous empêchant encore d'atteindre
notre génie, c'est la turbulence des affects, les désirs et les haines, les
goûts et les dégoûts, et ce n'est qu'après avoir intégré ce niveau
"turbulent", l'avoir apaisé, que l'on peut accéder au
"vide", qui permet d'atteindre le niveau de l'inspiration et l'ancrage
profond de l'être dans son génie.
Les trois niveaux de conscience
Ainsi
il existe trois niveaux de conscience relativement distincts permettant de
mesurer la plus ou moins grande intégration de la personnalité d'un être :
·
1
Niveau intellectuel formel : logique binaire (oui ou non).
·
2
Niveau affectif turbulent : logique intégrative (oui et non).
·
3
Niveau spirituel vide : logique paradoxale (ni oui ni non).
Il
est clair que l'éducation habituelle s'adresse surtout au niveau 1. Dans les
années qui viennent, un des enjeux de l'homme consistera à permettre de rendre
accessible au plus grand nombre la maîtrise des niveaux logiques 2 et 3.
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