La révolution du passage de la société industrielle à la société de
l’information n’est peut-être pas de ces révolutions très visibles qui se
jouent au cœur des institutions. La révolution se joue peut-être à l’intérieur
de chacun de nous dans l’invisible, d’une manière profonde et pratiquement
inconsciente.
Nous nous individualisons sans même nous en rendre compte. La
consommation nous renvoie à chaque instant à nous-même dans la question du
choix.
Finalement, qui suis-je, qu’est-ce qui compte pour moi?
Je découvre poétiquement que «je» est un autre.
Je m’enfonce dans le labyrinthe de mes identités successives à la
recherche d’une singularité évanescente. J’échange mes identités avec d’autres
qui me repoussent et m’attirent dans leur ressemblance étrange et dans leur
différence.
Dans le nomadisme qui m’envahit, il s’agit de moins en moins de
consommation mais d’une consumation de moi-même où je me perds dans le présent
et tout devient éternel parce que cela a cessé d’être logique.
Partout la seule chose qui compte est l’essence.
C’est pourquoi, il me faut à tout jamais de l’authentique.
Amené à mon propre épuisement, j’ai besoin de l’harmonie absolue pour
me ressourcer.
Petit à petit, les êtres et les choses tissent des liens entre leur
essence. Et je découvre, que le monde est un, non pas à l’intérieur d’une sorte
d’homogénéité universelle, mais comme un être confus, chaotique et transpersonnel,
dans lequel avoisinent trou noir et espace vide. Je suis aussi ce cosmos, cet
autre et je sais que je viens de l’éternité et que j’inscris ces mots poétiques
dans l’éternité.
Petit à petit se dessine une liberté qui se délie des références
classiques et s’invente à la source de toutes les créations. Cette liberté est
foisonnante, virale, elle s’infiltre partout et transforme tous les êtres avant
même qu’ils en aient conscience.
Nous résistons, je résiste, mais c’est comme un océan qui vient de
partout, de l’intérieur comme de l’extérieur, et il nous faut bien apprendre à
nager. Ce qui compte- là, c’est d’être fidèle à soi-même. Il faut essayer de
retrouver les traces de soi. Je dois faire l’archéologie de mes vies passées,
la psychanalyse de ma famille, mais aussi apprendre à rêver mon futur afin d’y
créer une plus grande proximité avec moi-même.
Je ne survis que dans la mesure où je me rapproche de mon altérité. Je
me nourris de ma différence, laquelle s’enflamme pour devenir un porte-drapeau
mais aussi une planche de survie.
J’ai l’impression que dans ce nouveau contexte, il est important de
comprendre que chaque personne est susceptible de vivre beaucoup mieux si elle
accepte pleinement que ce qui lui convient peut être très éloigné des autres.
Qu’est-ce qui me convient vraiment?
Quel est le bon rythme de vie?
Quelles sont les activités, les occupations, les amis qui me
conviennent et qui font que petit à petit ma vie sonne juste?
Comment trouver la bonne harmonique qui fasse que vibre au bon instant
et bon endroit, dans le concert de la création cosmique?
Ce qui est curieux dans ce processus, c’est que l’extrême solitude
débouche, comme par enchantement et de manière fulgurante, sur une proximité
organique qui nous relie, à chaque instant et dans chaque chose, dans une sorte
d’amour cosmique. En prenant de plus en plus de liberté avec nous-même et avec
les autres, en découvrant notre singularité, nous construisons chacun des
univers improbables qui constituent, en s’articulant ensemble, la culture
contemporaine.
A partir de cette révolution intérieure, comment les institutions
peuvent-elles se reconstruire?
Je pense que le travail de Carl Rogers, dans ce contexte, est très
important. Je fais référence à son livre Le
développement de la personne. Il nous faut créer une nouvelle qualité de
dialogue entre nous où chacun puisse s’exprimer dans sa différence avec
l’autre. A travers ce processus qui peut paraître chaotique, hésitant,
balbutiant, se construit un processus de développement de la connaissance, qui
fait de chaque difficulté de la vie une occasion d’apprendre.
Le plomb du quotidien, des échecs et des résistances, devient l’or du
présent, de l’échange et de la transformation.
Comment inventer une école où le processus de connaissance soit basé
sur un véritable échange d’expériences?
Comment inventer de nouveaux espaces politiques qui amènent la
démocratie à une participation de chacun, dans un véritable dialogue et une transformation
au-delà du simple vote ?
Je n’ai pas l’impression qu’il y ait des solutions toutes faites. J’ai
l’impression, qu’à mesure que nous vivrons notre évolution intérieure, nous
inventerons chacun, localement et ensemble, une nouvelle manière d’agir et de
se relier.
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