Chers amis,
Voilà enfin le programme finalisé, tous les intervenants ont été confirmés. Cela s’annonce passionnant.
Panorama mondial des écosystèmes innovants : http://eak.hauts-de-seine.fr
Ce séminaire se déroule le mardi 30 janvier 2018, à la Maison d'Albert Kahn 6, quai du Quatre-Septembre à Boulogne-Billancourt.
Comment les villes se transforment-elles à l’échelle planétaire ? En quoi l’innovation participe-t-elle de l’attractivité et de la performance des territoires ? Y a-t-il des déterminants culturels intrinsèques dans les dynamiques d’innovation des territoires créatifs ?
Cet Entretien Albert-Kahn abordera la question des écosystèmes innovants et donnera une grande place à la dimension internationale. Qu’entend-on par écosystème innovant ? Quelles sont les grandes tendances en matière d’innovation dans les villes les plus attractives au niveau mondial ? Comment les villes et les zones à forte activité (bassin de vie, quartier d’affaire…) se singularisent-elles ?
Cette matinée sera également l’occasion de mettre en perspective l’attractivité du département des Hauts-de-Seine et du quartier d’affaire de Paris La Défense. En quoi le rapprochement des deux départements que sont les Hauts-de-Seine et les Yvelines, constitue-t-il une pièce essentielle de la dynamique de métropolisation du Grand Paris ?
L’après-midi de 14h à 17h aura lieu un atelier de recherche-action (nombre de places limité) pour approfondir le panorama international et réfléchir aux spécificités de la France et de la région Île-de-France dans ce domaine. Il est possible de venir le matin uniquement ou toute la journée.
9h30-11h : « Voyage dans les écosystèmes les plus innovants de la planète » par Michel Saloff-Coste
11h-12h : L’Ouest francilien, vers un écosystème innovant ?
« Le projet de rapprochement Yvelines-Hauts-de-Seine, une autre vision de la métropolisation » par Katayoune Panahi
« L’attractivité des grandes métropoles et la spécificité de Paris La Défense » (à partir du baromètre d’attractivité et de performance de 17 grands quartiers d’affaires dans le monde) par Marie-Célie Guillaume
« Une mise en perspective de l’attractivité du Grand Paris vue de l’international » par Vincent Gollain
12h-12h30 : Table ronde avec l’ensemble des intervenants et débat
14h-17h : Présentation approfondie de l’étude internationale par Michel Saloff-Coste et atelier de partage d’expérience pour une mise en perspective de l’attractivité des Hauts-de-Seine, et plus globalement de l’Ouest francilien et du Grand Paris.
Intervenants
11h-12h : L’Ouest francilien, vers un écosystème innovant ?
« Le projet de rapprochement Yvelines-Hauts-de-Seine, une autre vision de la métropolisation » par Katayoune Panahi
« L’attractivité des grandes métropoles et la spécificité de Paris La Défense » (à partir du baromètre d’attractivité et de performance de 17 grands quartiers d’affaires dans le monde) par Marie-Célie Guillaume
« Une mise en perspective de l’attractivité du Grand Paris vue de l’international » par Vincent Gollain
12h-12h30 : Table ronde avec l’ensemble des intervenants et débat
14h-17h : Présentation approfondie de l’étude internationale par Michel Saloff-Coste et atelier de partage d’expérience pour une mise en perspective de l’attractivité des Hauts-de-Seine, et plus globalement de l’Ouest francilien et du Grand Paris.
Intervenants
Vincent Gollain est directeur du département économie de l’IAU Île-de-France depuis septembre 2014. Il était précédemment l’un des cadres dirigeants de l’Agence régionale de développement Paris Île-de-France et a fait partie de l’équipe ayant constitué le pôle de compétitivité Cap Digital. Docteur en Sciences économiques de l’université de Paris 1 Panthéon Sorbonne, c’est également un spécialiste reconnu en matière d’attractivité et de marketing territorial (www.marketing-territorial.org).
Marie-Célie Guillaume est directrice générale de Paris La Défense, établissement public local d’aménagement et de gestion du quartier d’affaires de La Défense, créé le 1er janvier 2018 par fusion de L’Epadesa et de Defacto. Diplômée de l’Institut d’études politiques de Paris et d’un master de relations internationales de la Fletcher School of Law and Diplomacy (Tufts university, Boston), elle a exercé dans le secteur privé et a été directrice de cabinet du président du Département des Hauts-de-Seine de 2007 à 2012 et directrice générale de Defacto de 2014 à 2017. Elle est, par ailleurs, viceprésidente du Département des Yvelines, élue du canton de Mantes-la-Jolie.
Ingénieure en chef des Ponts et Chaussées, Katayoune Panahi est directrice générale des services du Département des Hauts-de-Seine. Elle a été directrice générale de Defacto de mars 2010 à décembre 2013. Précédemment, elle a exercé diverses fonctions de direction dans les domaines de l’aménagement, de l’urbanisme et des transports, tant en administration centrale qu’en services déconcentrés au sein du ministère de l’Écologie, avant d’être conseillère en matière d’infrastructures de transports et de sécurité auprès de Patrick Devedjian au ministère du Plan de relance.
Michel Saloff-Coste est directeur scientifique de l’Institut international de prospective sur les écosystèmes innovants de l’université Catholique de Lille et de Lyon. Il est également International Development Associate du Copenhague Institut for Future Studies et directeur de la recherche et des relations internationales de In Principo. Il est l’auteur d’une dizaine d’ouvrages de prospective (michelsaloffcoste.blogspot.com). Il partagera l’étude qu’il a menée sur les évolutions scientifiques mais aussi artistiques et philosophiques qui s’opèrent dans les villes suivantes : San Francisco, New York, Boston, Washington, San Diego, Los Angeles, Paris, Munich, Copenhague, Stockholm, Londres, Genève, Lausanne, Salzburg, Vienne, Tokyo, Kyoto, Pékin, Taipei, Pondichéry et Singapour.
Panorama
mondial des Écosystèmes Innovants En ligne le cahier à consulter
Michel Saloff-Coste, directeur scientifique de l’IIPEI
Vous allez être les premiers
à entendre cette présentation, qui est les résultats de trois années de
recherche à explorer les endroits les plus innovants de la planète.
La première question qu’on peut se poser est : quels
sont les endroits les plus innovants de la planète et comment les repère-t-on ?
Je suis parti des "rankings" [1] et
j’ai pu définir, à partir d’une centaine de critères divers, les endroits les
plus innovants de la planète. Je me suis concentré sur ceux-là et, même en me
concentrant ainsi, cela m’a pris tout de même trois ans ! Cependant même si cet
espace est assez vaste et couvre trois continents, la dynamique est assez
concentrée pour aller au cœur de ces écosystèmes.
Ils sont de fait
extraordinairement concentrés et cette concentration est peut-être une des
premières choses qui m’a étonné !
Le contexte: pourquoi sommes-nous partis dans ce voyage
étonnant ?
Nous avions le sentiment que
nous étions en train de vivre une période extrêmement significative, non pas à
l’échelle du siècle, mais significative à l’échelle de 10 000 ans d’histoire de
l’humanité. Nous sommes aujourd’hui à un moment vraiment très particulier de
l’histoire de l’humanité. D’abord, en termes de population – en 1850, nous
étions un milliard ; aujourd’hui, nous sommes 7 milliards et nous allons vers
10 milliards. Cette explosion de la population humaine est une fantastique réussite,
mais c’est en même temps, évidemment, une des principales causes des
problématiques que nous connaissons aujourd’hui. Mais il y a une autre chose,
c’est l’avancée fulgurante des sciences, les nano, les bio, les info-technologies,
qui peuvent aujourd’hui changer totalement la condition même de l’humanité. Donc,
aller dans les écosystèmes innovants, c’est aller au cœur de cette métamorphose
extraordinaire.
Pourquoi parler d’innovation ?
Tout le monde parle d’innovation.
Pourquoi l’innovation est-elle devenue tellement importante ? L’innovation est
au cœur de la création de valeur contemporaine parce que, dans la plupart des
pays et au cœur de ces écosystèmes innovants, on est sur des marchés matures,
où l’économie est saturée, et la seule manière de faire la différence, c’est de
créer du nouveau, du différent.
Donc il y a un
investissement considérable, soit par la science, soit par le technique, soit
par l’art, soit par le design, de créer une différence !
La vitesse à laquelle on innove est importante !
Non seulement l’innovation
est importante, mais la vitesse à laquelle on innove est importante. En fait,
selon votre propre vitesse de déplacement dans l’innovation, vous pouvez faire
partie ou pas partie, cela devient un vecteur, une clé de votre participation
ou de votre non-participation.
La vitesse d’innovation
devient un atout vital pour prospérer. Non seulement il faut innover, mais la
capacité à se déplacer dans l’innovation compte. La dynamique d’innovation
permet de participer aux écosystèmes d’innovation les plus prospères. Évidemment,
c’est un club fermé. Très fermé. Pour rentrer dans ce club, ce n’est pas
l’argent qui compte, vous devez être quelqu’un d’extraordinairement innovant
vous même !
Nous avons donc en ce moment
dans le monde contemporain une sorte de focalisation sur l’innovation qui est
très particulière, on n’a jamais vu une emphase aussi forte dans l’histoire de
l’humanité et les civilisations passées!
L'innovation dépend des écosystèmes
L’innovation, avant,
dépendait d’une personne qui innovait ou d’une entreprise qui avait créé un
laboratoire chez elle ! L'innovation dépend aujourd’hui, partout, d’écosystèmes
innovants qui sont des structures systémiques hyper complexes avec de multiples
"parties prenantes" : ces écosystèmes innovants attirent en priorité
les gens les plus intelligents et informés de la planète. Il y a donc un effet
de boucle positive, de cercle vertueux, qui fait que vous avez une courbe
exponentielle de croissance en terme d'intelligence et de création de valeur.
La première chose qui m’a
surpris, c’est de voir à quel point ces boucles positives de croissance exponentielle faisaient que
certains lieux émergent les premiers de la planète de très, très loin tandis
que d’autres stagnent, et d’autres s’effondrent complètement. Cela à
l’intérieur même d’un même pays. Si vous prenez les États-Unis d’Amérique.
C’est un pays où il y a à la fois des zones d’hyper développement – les GAFA
ont aujourd’hui une croissance de 20 %, c’est-à-dire bien supérieure à la
Chine : imaginez-vous l’émulation, l’ébullition que cela crée dans un
endroit comme la Silicon Valley. D’un autre côté, dans le même pays, vous avez
des zones qui sont complètement abandonnées, et des zones qui se maintiennent.
Eclatement des territoires
Il y a aujourd’hui une sorte
d’éclatement et vous le vivez certainement sur votre territoire – tous les
territoires sont en train de le vivre. Parfois cela se joue à cent mètres ou
deux cents mètres de différence : il y a des endroits où il faut être et
des endroits où il ne faut surtout pas être. Et des endroits où il faut moyennement
être. C’est assez fascinant, cette sorte d’éclatement du territoire, qui est
très nouvelle, qui n’existait pas, à mon avis, il y a vingt ou trente ans et
qui est en train de devenir extrême, et qui crée aussi des disparités
sociologiques très surprenantes et difficiles à gérer.
C’est un tout petit milieu où en réalité, les prises de
participation croisées sont extrêmement intenses
Partout aussi on voit
apparaître des liens : quand on étudie ces écosystèmes innovants, on se
dit qu’on est dans le monde de la compétition. Mais c’est très relatif. En
fait, quand on prend les 700 plus grandes entreprises de la planète, quand on
voit le maillage entre elles, on est dans la "co-opetition" : tout le monde se connaît, tout le monde
circule, c’est un tout petit milieu où en réalité, les prises de participation
croisées sont extrêmement intenses et donc, vous avez une concentration
considérable. En fait, c’est un tout.
Par ailleurs, une chose
fascinante qui est en train de se passer, c’est que déjà, dans les années 1960,
on avait théorisé que les systèmes complexes avaient la capacité de créer des
phénomènes d’émergence inattendus. Chacun d’entre nous est l’exemple de cela,
nous sommes dix milliards de cellules qui sont des cellules indépendantes, et
chacun d’entre nous se sent un peu plus que la somme de nos parties, qu’un
ensemble de microbes. Nous sommes un organisme vivant qui a des capacités
émergentes, la capacité de réfléchir, qui rassemble dix milliards de cellules
dans mon cerveau et qui fait que je peux vous présenter ce PowerPoint. C’est
une capacité émergente.
Eh bien, aujourd’hui, ces
écosystèmes innovants constituent le système nerveux de la planète. C’est à peu
près 10 à 100 millions de personnes, mais c’est 100 millions de personnes hyper
connectées, 100 millions de personnes qui sont en constante communication les
unes avec les autres par leur téléphone pratiquement d’instant en instant, qui
échangent toutes les informations nécessaires à l’émergence de nouvelles
informations, et cela à une vitesse absolument vertigineuse.
Ce qui fait que, plus que
jamais, c’est difficile, de suivre. Et là aussi, la vitesse crée des clivages
terribles. Vous avez, finalement, très peu de personnes qui ont les capacités
cognitives pour suivre ce qui est en train de se passer dans ces écosystèmes
innovants. On est en face d’à peu près 100 millions de personnes, "les
plus intelligentes de la planète" qui communiquent à toute vitesse entre
elles et qui sont en train d’inventer toutes les technologies et les sciences
de demain à une vitesse vertigineuse. Chaque nano seconde, vous avez une masse
d’information très significative qui surgie, l’équivalent de ce qui était
produit en recherche en cent ans avant il y a mille ans par exemple. Une
innovation mettait peut-être un siècle à se transmettre et maintenant, en quelques
secondes, l’ensemble des connaissances est partagé.
Pourquoi parler de prospective ?
C’est très important de
regarder ce monde avec un regard prospectif parce qu’il va très vite et qu’on a
tendance à regarder ce nouvel objet avec un regard du passé. Nous avons essayé
de le regarder avec un regard du futur. L’idée est d’assurer cette veille. Mon
université, l’Université Catholique de Lille était et est l’une des universités
les plus avancées dans le domaine de la recherche-action sur les écosystèmes
innovants. Nous avons créé un espace de recherche avec plusieurs chercheurs et l'université
est elle-même un écosystème innovant avec plusieurs expériences uniques au
monde. C’est dans ce contexte très particulier que cette analyse a été
conduite.
J’ai toujours été dans mes
recherches et dans tous les livres que j’ai écrits un défenseur d’une vision
holistique, globale. Je ne pense pas que c’est en réduisant le monde simplement
à des données rationnelles qu’on arrive à le comprendre. J’ai agi dans une
vision à la fois certes scientifique, mais aussi artistique et spirituelle, au sens
laïque du terme, au sens du questionnement : "Comment, dans chacun des écosystèmes, crée-t-on du sens ?"
Que pouvons-nous apprendre des autres cultures ?
Comment les écosystèmes
s’enracinent-ils dans des traditions culturelles différentes? C’est évidemment absolument
passionnant. On ne peut comprendre la Chine si l’on ne connait pas Lao Tseu et
le Tao Te King. On ne peut pas comprendre l’Amérique si on ne comprend pas la
culture protestante, etc. Comprendre en profondeur ces cultures a été ma grande
thématique.
Je suis passionné, certes
par la compréhension de la gouvernance de comment ce qu’on appelle "l’establishment" se construit dans
une civilisation, mais évidemment, c’est très intéressant d’aller aussi voir dessous
"l’underground". J’ai passé
beaucoup de temps aussi au milieu d'endroits cachés, où se passe la création.
Cela m’a toujours fasciné.
Quelques éléments de notre travail
Nous représentons une équipe
de cinq personnes, qui est en train de s’élargir. Des organisations qui nous
soutiennent, parmi les meilleures au monde et qui sont passionnées par le sujet.
Un parcours qui commence en 2014 avec le Président Recteur de l’Université Pierre
Giorgini qui fonde l’Institut avec les grands patrons du Nord qui sont autour
de cette table, heureux de participer à cette aventure.
Tout au long de ces années,
nous avons fait plus de trois cents interviews où les meilleurs experts viennent
parler d’innovation. Tout cela est sur YouTube en self-service. C’est une
aventure unique au monde qui rentre en résonnance avec les voyages d’Albert
Kahn il y a un siècle. Il faudrait trois jours pour vous parler de chaque
destination en détail. Mais ne serait-ce qu’à travers les photos, on voit bien
à quel point on est dans des mondes très différents.
La singularité de chaque lieu
Comme les rankings comparent tous ces endroits, on
a l’impression de tout comprendre. Mais en fait, on ne comprend pas grand chose
parce que le problème, c’est la singularité de chaque lieu. Et ceci n’apparaît
pas dans les rankings. Dans les rankings, tout est mis à plat. C’est
comme si on essayait de comprendre les oranges et les bananes en comparant le
taux d’eau dans chacun des fruits… Tous ces rankings
vous donnent plein d’éléments, mais ensuite, il faut entrer dans le caractère
qualitatif de chacun des lieux.
L’Amérique du Nord, l’Europe occidentale et l’Asie
orientale
Au bout de trois ans, je me
rends compte que je n’ai été, (contrairement à mon objectif de départ), que
dans l’Amérique du Nord, l’Europe occidentale et l’Asie orientale. Pourquoi ne
suis-je allé que dans ces trois continents ?
Je comprend mieux lorsque je
relie un vieux livre écrit il y a vingt ans, de mon ami japonais[2],
ancien patron de McKinsey, qui avait déjà, à l’époque, dit : « En
fait, quand vous regardez les chiffres, tout est concentré dans la triade de
ces trois continents. »
Effectivement, la triade est
le véritable cœur économique du système Monde. C’est l’hyper concentration. Les
écosystèmes innovants les plus dynamiques nous ramènent à la triade.
Quelque chose est en train
de se passer à l’intérieur de cette triade, tout en restant à l’extérieur, c’est
la montée de la Chine. La montée de la Chine n’a pas de comparaison. On ne peut
pas trouver dans l’histoire de l’humanité quelque chose de comparable à ce qui
est en train de se passer en Chine aujourd’hui ? Un milliard d’êtres humains sont
en train d’accéder à une vitesse absolument vertigineuse à une vie moderne, en
quelque sorte. Ce qui est en train de se passer en Chine remet en cause la
vision classique de la triade.
Cependant, la triade aujourd’hui,
y compris la Chine qui devient tellement importante qu’elle est en train de
modifier radicalement la théorisation même de la triade, c’est 20 % de la
population qui dispose de 80 % du PNB de la planète, 70 % de
l’industrie, 87 % de la recherche, 60 % des services, etc.
En plus, quand on voit ces
20 % de la population, on se dit que c’est déjà hyper concentré, mais en
fait, à l’intérieur de la population de cette triade, les gens qui maîtrisent
l’ensemble de ce système sont infiniment peu nombreux. Si vous voulez
comprendre la concentration, il faut considérer qu’il y a 20 % de la
population qui est dans cette zone de la triade et que parmi ces 20 % (à
peu près un milliard, un milliard cinq de personnes), il y a à peu près 1 %
qui maîtrisent le fond du système. On est donc dans quelque chose d’hyper
concentré.
Ce tour du monde m’a
vraiment fait prendre conscience d’une chose, c’est de l’hyper concentration du
pouvoir aujourd’hui.
Simplexité
Il est difficile de résumer
tout ce que l’on observe dans un tel voyage. Nous sommes en pleine « simplexité » :
il s’agit de résumer "l’objet" le plus complexe que l’on puisse
étudier sur la planète. C'est tout simplement étudier le million de personnes
les plus intelligentes de la planète et comment elles pensent et transforment
le monde aujourd’hui à la vitesse de la lumière ! C’est extrêmement difficile. Résumer
tout ceci est impossible !
J’ai pris le parti de faire
une liste de F ! J’avais des références. Je n’ai pas choisi cette référence par
hasard, c’est lié à Boston, à la directrice de la Havard Business School avait
déjà identifié il y a quelques années quatre F.[3] J’ai
continué la liste des F parce qu’en voyageant, j’étais toujours ramené à cette
conférence à laquelle j’avais assisté alors que j'était directeur de la
recherche d'un grand cabinet de conseil européen ! Ce n’est pas un hasard parce
que le logiciel qui est au cœur de ces écosystèmes innovants a été inventé à
cet endroit très précis dans le monde qu’est Boston. L’université de Harvard,
pour ces écosystèmes innovants, c’est la référence. La pensée qui est
construite partout dans le monde et qui anime aujourd’hui ces écosystèmes
innovants, c’est la pensée de Harvard. C’est pour cela aussi que j’ai pris ces
quatre F et que je les ai déclinés parce que ce n’était pas du tout un hasard.
C’était une manière de rendre hommage au fait que ces écosystèmes innovants
sont construits sur une idéologie, sur une pensée qui est datée, très précise,
et nait à Harvard.
Les quatre F
Flexibility, Focus, Fast, Friendship
Auxquels j’ai ajouté Future, Fun, Fantastic, Failure
Future
Il est évident que, dans ce
monde qui est en train d’avancer très vite, il faut se tourner vers le futur.
Si vous ne vous tournez pas vers le futur, vous êtes déjà dans le passé. Le
fait de vous trouver vers le futur vous permet un petit temps d'avance… C’est
comme si vous étiez sur un tapis roulant qui se déroule de plus en plus vite,
exponentiellement plus vite. Si vous ne courez pas, si vous n’êtes pas un adepte
du jogging, vous êtes de toute façon emmené très vite dans le passé. C’est ce
qui arrive à de nombreuses personnes aujourd’hui et cela pose un vrai problème.
Le phénomène des populismes aux États-Unis et dans toute l’Europe et partout
est très lié à cela. Il y a plein de personnes qui tout simplement, en restant
tranquillement chez elles, sans s’intéresser au futur, ont l’impression de
rester dans le présent, mais en fait elles sont embarquées dans le passé !
Focus
La meilleure manière de vous
expliquer Focus, c’est très simple et
cela en dit long : dans ces écosystèmes innovants, les rendez-vous durent typiquement
quinze minutes. Vous pouvez avoir des rendez-vous avec n’importe qui parce que
tout le monde est très ouvert et tout le monde est très « friendly », mais cela dure trois
minutes pour dire bonjour et il faut aller au fait et faire la différence, dire
quelque chose d’extraordinaire parce que c’est cela qui va vous permettre
d’avoir un peu plus de temps et de pouvoir rencontrer à nouveau la personne en
question. Vous ne pouvez pas acheter du temps, vous pouvez être milliardaire,
cela ne change rien parce que l’argent devient secondaire puisque de toute
façon, ce n’est plus l’argent, le facteur de production, c’est l’information,
dans cet univers. Donc c’est votre capacité, en cinq minutes, à donner une
information significative à votre interlocuteur qui va faire qu’il va vous
trouver intéressant et va vous donner une information utile lui aussi. Et là,
le dialogue s’engage.
Votre capacité à être clair
et net, à être précis dans ce que vous dites devient donc essentielle. C’est l’art
du "pitch". Il faut être
capable de « pitcher », de
dire quelque chose de très précis, de très significatif, en cinq minutes. Cela
parfois des effets pervers. Les salariés de chez Apple était transis de se
retrouver dans l’ascenseur avec Steve Jobs parce qu’il avait l’habitude de demander
à ces personnes ce qu’elles faisaient chez Apple. Au deuxième étage, la pauvre
personne bredouillait et elle était virée ! C’est dire qu’il faut savoir pitcher
! Il faut être capable de dire ce que je fais ici, maintenant, pourquoi je suis
là. Quelle valeur suis-je en train de créer.
Quand on passe des
écosystèmes les plus innovants au monde aux écosystèmes un peu moins innovants jusqu'au
écosystèmes plus du tout innovants, on sent que la capacité à "pitcher"
s’affaiblit très rapidement et donne une bonne idée de la performance ambiante
!
Flexibility
La notion de flexibilité,
c’est presque un gros mot en France !
Dans ces écosystèmes
innovants nous sommes dans un univers extraordinairement mouvant. Le patron d’Intel
l’a très bien décrit, seuls les paranoïaques survivent : il faut être en
veille sur ce qui est en train de se passer, se remettre constamment en cause.
L’université de Stanford, qui est la deuxième université au monde en termes de
technologies, est la première en termes de sociologie. L’essence de la réussite
des GAFA, c’est une capacité à écouter le monde, à écouter le client, d’instant
en instant. La force de cela : c’est l’évolution de seconde en seconde. Il
y a constamment des boucles de rétroaction. Il y a peut-être mille personnes
qui étudient à chaque instant votre usage de l’outil utilisé et cherchent
comment l’améliorer.
Chez Intel, je visite le
service de la stratégie, en tant que consultant, je sais que le directeur de la
stratégie est toujours parano, toujours très complexé parce que tous les autres
directeurs dirigent 10 000 personnes et lui, c’est la seule personne qui dirige
dix personnes dans l’entreprise. Il est toujours un peu paniqué quand on va
voir son service parce qu’il est un peu complexé par rapport aux nombres.
J’arrive chez Intel et je rencontre le directeur de la stratégie. Je lui dis
que je suis habitué à ce "complexe" des directeurs de la stratégie et
je lui dis que nous allons rencontrer ses quelques collaborateurs. Et en fait,
il me dit que le service de stratégie, c’est tout le building… Je lui demande
combien de personnes il y a. Il me dit qu’il y a mille personnes environ ! En
fait, cette capacité d’écouter sans cesse, se remettre en question, c’est ce
que faisait ce service de la stratégie. Donc, la flexibilité, c’est cette
capacité à se remettre en cause, à s’adapter constamment.
Fast
J'ai déjà parlé, de cette
dimension de vitesse qui est essentielle, à la fois pour simplement se
maintenir dans la course, mais essentielle aussi pour participer à la course. On
est sélectionné par sa capacité de vitesse.
Friendship
Produit cool, facile
d'usage. "High Tech High Touch
!"
Capacité d’accueil, de
bienveillance, de gentillesse des gens. Quand on est dans ces écosystèmes, on
est écouté, on s’intéresse à vous. En même temps, nous verrons la part noire :
on s’intéresse à vous tant que vous êtes « intéressant ». Mais il y a
en tous cas une ouverture d’esprit qui fait qu’on a une qualité d’être amicale,
qui est exceptionnelle. Et c’est très fort dans la Silicon Valley, par exemple.
Mais c’est vrai aussi ailleurs comme à New York, à Munich, etc.
Fun
C’est la « gamification ». Lorsque l’on arrive
sur les campus de Google, c’est le grand fun ! Tout est coloré, c’est un
Lunapark. Tout est en train de se transformer en jeu. Pourquoi le jeu ? Parce
qu’on apprend beaucoup mieux en jouant qu’en travaillant et que donc, comme
c’est un monde où apprendre devient essentiel, où on apprend d’instant en instant,
il faut tout transformer en jeu pour que tout le monde apprenne très vite. Et
ce sont tous des gens qui jouent ! Steve
Jobs était multi milliardaire à tente ans, il pouvait s’arrêter ! Pourquoi
a-t-il continué ? Parce qu’il était complètement « accro » à son jeu,
à Apple, qu’il jouait à quelque chose de fantastique !
On n’est pas du tout dans le
monde du travail, on est dans un monde où les gens jouent et ils jouent 24
heures sur 24. Il faut se rendre compte que, quand on parle des 35 heures en France,
et surtout de gens qui travaillent…on est loin de ce monde là ! On est dans un
monde de gens qui jouent 24 heures sur 24, et qui jouent intensément. Donc, si
vous, vous êtes dans un paradigme où vous travaillez 35 heures dans la semaine,
vous êtes déjà mal partis… Vous êtes vraiment complètement à côté de la plaque,
vous ne jouez pas du tout au même jeu et en plus vous n’avez aucune chance de
gagner… C’est comme si vous aviez une distanciation… Vous faites du sur place
et vous avez des gens qui ont des fusées pour bouger.
Fantastic
L’autre chose, qui m’a
beaucoup surpris parce que c’est plus récent, qui est maintenant devenu
omniprésente un peu partout, c’est le "Moon
shot ": une sorte de surenchère sur le "fantastique". Regardez le projet de Google, qui est de « tuer la mort ». Tuer la mort, c’est
énorme !!!!
Prenez les Chinois :
c’est tout simplement améliorer l’intelligence moyenne des Chinois de 30 %
par la modification génétique ! On peut discuter cela philosophiquement, mais c’est
juste complètement incroyable !
Ou la Route de la Soie :
les Chinois vont faire tout simplement le plus grand projet d'infrastructure
public-privé de l’histoire de l’humanité, qui va relier Pékin à Paris. C’est
juste énorme, et cela va prendre un siècle. Mais de toute façon, un siècle,
pour eux, ce n’est rien, ils vont y aller et réussir parce qu’ils ont le temps
!
Vous avez donc des gens qui
prennent des positions radicales : Aller
sur Mars, Tuer la mort…
Nous avons créé un nouveau groupe
de recherche sur le transhumanisme dans l’université parce que cette idéologie
de l'extrême pose de multiples questions philosophique et éthique.
Si on n’a pas un projet
fantastique…on n'existe pas ! Je me souviens, il y a un an et demi lorsque le
musée LVMH a ouvert dans le bois de Boulogne, cela m’a semblé tout petit ! Par
rapport aux projets qui se font dans le monde entier, on a l’impression d’un
petit truc confidentiel. Par rapport à une marque comme cela, il aurait pu être
dix fois plus gros, cela aurait dû être beaucoup plus impressionnant si on se
place à l’échelle planétaire.
Failure
Et enfin, dans ce monde
d’évolution extraordinairement rapide, évidemment, il y a une chose qui change
complètement, c’est que, dans la Silicon Valley, si on n’a pas fait faillite
déjà trois fois, on ne s’intéresse pas à vous. Neuf projets sur dix échouent.
Si l’on veut en avoir un qui réussit, il faut que l’on encourage les gens à
échouer neuf fois ! Et qu’on les félicite chaque fois qu’ils échouent. C’est une
modification totale de la manière de représenter l’échec et la réussite.
Et cela change aussi des
choses au niveau légal. Un des grands enjeux dont il faut se rendre compte,
c’est qu’il faut à tout prix pouvoir financer ces neuf échecs. Il faut aussi que
la personne qui gagne, le jour où elle gagne, au bout de dix fois, puisse
elle-même devenir un vecteur et investir sur des échecs. Cela modifie
complètement le rapport entre le privé et le public et la législation, et le
rapport à l’argent également, ce qui est très peu pensé, aujourd’hui.
Mais il y a aussi des faces terriblement sombres
Quand on présente cela, on
se dit que c’est un "Lunapark", cela a l’air magnifique ! Mais il y a
des faces terriblement sombres.
Que faites-vous avec les
gens perdus dans le passé ? Comment gérer les externalités négatives,
c’est-à-dire l’écologie, le social ? Dans ce monde hyper concentré où
l’information, la richesse sont en train de concentrer de manière
exponentielle, que faites-vous avec tous ceux qui ne sont pas là dedans et qui
sont très loin d’en être ?
Flexibilité, mais si vous
n’avez pas envie d’être flexible ? Parce que c’est fatigant, d’être flexible.
Vous avez des tas de gens qui revendiquent aujourd’hui une slow life. Et je les comprends très bien. Je n’ai d’ailleurs qu’une
envie, c’est de prendre ma retraite et de pouvoir enfin ralentir !
Friendship
Dans ce monde, tout le monde
est cool, tout le monde est souriant, tout le monde est bronzé et en même temps
…. il y a le bruit de fond du
terrorisme.
De temps en temps, il y a un
terroriste qui écrase des gens en plein milieu des écosystèmes créatifs.
Fun dans la Silicon Valley ? J’arrive
dans une école secondaire et je demande ce que sont ces filets dans les escaliers.
On me répond que c’est pour empêcher les étudiants de se suicider. C’était le
grand lycée de la Silicon Valley. Je demande pourquoi. « Vous savez, tout
le monde veut être à Stanford et quand ils ratent leur entrée à Stanford, ils
se suicident… » Il y a une telle surenchère des parents dans ces
écosystèmes innovants pour que les enfants réussissent, deviennent le futur
Steve Jobs, la pression sociale est incroyable. C’est compliqué. Les milliards,
cela se transfère, mais l’intelligence… Vous pouvez avoir deux parents très
brillants et vous, être un peu moins intelligent. Comment survivez-vous dans ce
monde-là ? Y compris quand vous avez fait Stanford !
Fantastic, but not sustainable ? C’est la grande question. Ces écosystèmes
innovants sont-ils en train de prendre le tournant de la survie planétaire par
rapport au réchauffement climatique, par rapport à aux clivages sociaux ?
Au cœur même de ces
écosystèmes, il y a le Forum de Davos, et au cœur même de Davos les plus
grandes fortunes disent que ce n’est pas possible, qu’on ne peut pas rester
comme ça, avec des clivages structuraux de cet ordre-là. Ils sont les premiers
à s’en rendre compte. C'est le grand sujet du forum de Davos, aujourd’hui !
Quand j’ai commencé il y a trente ans, lancer une
start-up, c’était une aventure
Aujourd’hui, lancer une
start-up, ce n’est plus du tout une aventure comme il y a trente ans. C’est un process. C’est un process pratiquement aussi étudié dans le monde que le process de la fabrication d’une voiture.
Ce n’est plus du tout une aventure. C’est toute une série d’étapes, une logique
de financement étape par étape, etc. Autour des start-up s'est développer un
véritable savoir extraordinairement élaboré. Notamment dans la Silicon Valley.
On dit toujours qu’on va
faire la Silicon Valley chez nous… Mais il faut savoir qu’aux États-Unis, tout
le monde a voulu faire la Silicon Valley. Aucun pays, aucune région autre que
la Silicon Valley, même aux États-Unis, n’est arrivé à refaire la Silicon
Valley. Et de quoi parlons-nous ? Nous parlons simplement de l’endroit de la
planète qui produit à lui tout seul plus de 50 % de "l’exit value"[4],
de l’ensemble des écosystèmes de la planète. On a là l’extrême de la
concentration de la concentration.
On est dans à peu près un
kilomètre carré, et on a 50 % de "l’exit
value" de la création planétaire qui sont produits là. Le deuxième
endroit, qui vient tout de suite après, c’était Londres et maintenant depuis
deux ans New York. New York a dépensé des millions en tant qu’écosystème pour
se remettre à flot. New York se vivait elle-même comme le premier écosystème de
la planète le siècle dernier et n’a pas du tout supporté la montée de la
Silicon Valley. Ils ont donc investi des centaines de millions pour remonter et
ils sont arrivés en deuxième position, devant Londres, qui était devenu le
deuxième. New York ne représente, elle, que 10 %. Vous voyez le fossé qui
existe. Ensuite, vous prenez les dix suivants, qui représentent environ 40 %
et après, on est dans des pourcentages infimes.
Paris est vingtième. Il faut
se mettre cela dans la tête, à quel point nous sommes dans quelque chose de
concentré et à quel point la France est encore très très loin derrière ! Quelque
part, la France est sortie du jeu, alors qu’il y a un siècle, au moment où
Albert Kahn habitait cette maison, elle était l'un des tout premier sinon le
premier écosystème de la planète ; il faut le rappeler !
Les meilleurs projets sont des alliances planétaires des
meilleurs savoir-faire locaux
Autre point important.
Chaque projet, suivant sa nature, va pouvoir (c’est très similaire à la terre
et à la graine) s’épanouir plus ou moins bien dans tel ou tel écosystème. L'important,
c’est la capacité, à un instant t, à
réunir autour d’un projet, les meilleures personnes de la planète, quelles que
soient leurs origines. C’est cela, la clé. Les meilleurs projets sont des
alliances planétaires des meilleurs savoir-faire locaux.
Ce téléphone mobile, par
exemple, n’est pas américain. Il est planétaire. C’est 150 brevets. C’est un
laboratoire de recherche à Taïwan. Pourquoi à Taïwan ? Pourquoi Apple a-t-il
ouvert un laboratoire de recherche à Taïwan ? Parce que là-bas, il y a des
savoir-faire très particuliers touchant l’écran. Mon interface entre cet objet
et moi, c’est l’écran. Cet écran est non seulement tactile, mais suivant la
pression, si j’appuie plus ou moins fort, il répond différemment. J’ai visité
les laboratoires de recherche sur les écrans, sur les puces qui sont derrière,
qui gèrent cela, c’est de l’hyper complexité. Pour arriver à cette simplicité
d’usage, on est sur des technologies, des nanotechnologies d’une sophistication
absolument incroyable. Juste pour l’interface, il y a un milliard investi en
recherche.
Je vous ai brossé le tableau
global. Ensuite, il y a des singularités extrêmement fortes.
L’Amérique du Nord
L’Amérique du Nord, a une
stratégie qui a été pensée au plus haut niveau par la Rand Corporation, par la
Maison-Blanche, etc., cela a été de se dire que, compte tenu du fait que
l’élément clé dans la société de l’information, c’est l’information, ils allaient
se concentrer pour avoir le monopole de l’information planétaire.
Comme ils ont les services
de renseignement les plus importants de la planète, leur système d’information
sur la planète est considérable! Tous ces téléphones enregistrent tout ce que vous
dites, non seulement quand vous parlez dedans, mais même quand ils sont fermés.
Tout ce que je suis en train de dire est en train d’être transmis à la NSA à
cet instant même, en temps réel. Et cela dans le monde entier. Évidemment, il
n’y a pas suffisamment d’Américains pour écouter chaque personne de la planète,
mais ensuite, c’est traité dans des bases d’information.
Les Nord-Américains se sont
donc concentrés sur l'information et le domaine qui concentre l’information,
c’est-à-dire la finance. L’économie mondiale passe par la finance et donc
l’information de la finance était une clé, par ailleurs le "consulting", les grands cabinets
mondiaux sont tous américains. Ce n’est pas un hasard, le consulting est le moyen de capter l’information de la planète.
En France ou en Europe, on
considère le consulting comme une
activité secondaire. Non ! C’est une activité stratégique essentielle puisque
c’est là que réside toute l’information. Même si c’est une toute petite part dans
l’économie mondiale, quand on maîtrise les plus grands cabinets de conseil de
la planète, on maîtrise l’information de la planète, et c’est cela essentiel.
Concernant l’informatique,
c’est l'un des seuls secteurs où l'Amérique du Nord a considéré comme une
priorité nationale de maîtriser la chaîne de la valeur, des puces aux logiciels,
et jusqu'à la fabrication des ordinateurs.
De fait ils ont une position
de superpuissance absolument exceptionnelle jusqu’à maintenant, en sachant que
tout est en train d’être modifié par la montée de la Chine. Ils ont à eux seuls
50 % des budgets de défense de la planète. Il faut savoir que la Silicon
Valley, c’est 70 % de financement par la Défense américaine. Après, quand
vous voulez dire que vous allez refaire la Silicon Valley ailleurs, il faut
déjà comprendre aussi ce lien entre le privé et le public dans une société où
les start-up et le monde libéral sont valorisés, avec en même temps un soutien
extraordinaire du public. Sinon, on ne peut pas comprendre.
Évidemment, le problème de l’Amérique
du Nord, c’est le déficit. Les Américains vivent sur un déficit de la nation,
un déficit des budgets de l’État et un déficit de chacun. C’est une machine à
faire du déficit. Et ce déficit, d’ailleurs, est massivement acheté, par
milliards, par l’Asie (on en est à peu près à mille milliards). Il faut bien
comprendre ce balancement, sinon, on ne comprend pas le jeu qui se déroule.
L’Europe occidentale
Notre espace stratégique est
très subtil. Avec les Américains et les Asiatiques, nous avons en face de nous
des grands stratèges. Les Chinois sont des stratèges extraordinaires. Les
Américains, s’ils sont devenus la puissance qu’ils sont, ont une stratégie,
même si elle n'est pas parfois vraiment si explicite ! L’Europe elle est molle!
Elle n’est souvent pas consciente d’elle-même et de son potentiel. L'Europe est
un ventre mou! Il est très important de réfléchir stratégiquement au
positionnement de l’Europe aujourd’hui.
L’Europe, sa réussite,
depuis très longtemps, c’est une capacité très particulière à intégrer
verticalement des métiers à forte valeur ajoutée. Qu’est-ce qui fait notre
compétitivité aujourd’hui ? Ce sont les entreprises qui sont des fleurons
mondiaux, comme L’Oréal, Benetton, Hermès, qui incarne ceci de manière caricaturale.
Il faut aller visiter Hermès. Cela donne une idée de ce qu’est l’avantage concurrentiel
européen. Allez visiter BMW à Munich, c’est passionnant, fascinant. Ce sont des
gens qui vont se concentrer sur un métier, verticalement, et le faire exceptionnellement
bien. Parce qu’ils maîtrisent chacun des processus verticaux, qui font la
valeur ajoutée.
Le cas extraordinaire, c’est
Hermès. Hermès élève ses autruches. Pour avoir les meilleures peaux d’autruche,
Hermès va leur donner un grain bio avec une coloration particulière qui va
faire que la peau va avoir une douceur très particulière, etc. Il n’y a pas
d’autres fournisseurs que Hermès pour ces peaux. Donc vous avez des produits
exceptionnels, uniques au monde.
Chez BMW, ils font de la
même manière avec les voitures, d’où leur succès mondial. Mercedes fait pareil.
Toute l’industrie allemande et la réussite de l’industrie allemande, c’est
d’avoir compris cela. Ils prennent des petites zones d’activités, ils les
maîtrisent totalement verticalement, de la matière première jusqu’à la sortie
de l’usine, ils sont les meilleurs du monde dans ce produit-là, et ensuite, ils
inondent le monde. C’est comme cela qu’ils créent de la valeur.
Cette capacité à intégrer
verticalement des produits à très forte valeur ajoutée, il est essentiel pour
l’Europe de comprendre que c’est là son créneau et qu’elle doit se positionner
à ce niveau.
Le cas que James Royer va
nous présenter un parfait exemple de la réussite française à un niveau mondial,
celui du champagne! Vous avez les huit F. Cette région du Champagne est une des
rares à avoir compris, sur un produit très vertical, très précis, comment s’insérer
dans le monde entier et faire de celui-ci un succès mondial "fantastique".
Asie Orientale
En Asie, on a l’usine du
monde qui fait de la croissance, qui fait du bénéfice, qui capitalise, et qui
fait de l’innovation productive incrémentale. Ce sont des milliers de petites
innovations incrémentales qui font la force de l'Asie. Et aujourd’hui, les
Américains ne sont plus capables de produire l’iPhone, même si c’est eux qui
l’ont "designé". Ils ne
savent plus le produire parce qu’il y a plein de petites innovations infimes, des
savoir-faire dans la fabrication que maîtrisent les Asiatiques dans la chaîne
de fabrication. Tout est fabriqué en Asie, et on ne peut pas le rapatrier.
Mais alors, évidemment, ma
première question en allant en Chine était: sont-ils prêts à sortir de
l’innovation productive incrémentale ? Est-ce que l’Asie, notamment la Chine,
est capable d'innover par des ruptures et des positionnements verticaux comme
le fait l'Amérique du Nord et l'Europe Occidental ?
Pour un ingénieur américain qui sort d’une université, il y en a dix qui sortent en Chine. En Chine, on
commence à voir se multiplier partout des produits innovants nouveaux. La Chine
est en train de devenir la première puissance mondiale, le nouveau centre du monde
où la science, l'art et la philosophie du futur sont en train d'être réinventés
comme à New York dans les années 50.
Il faut faire attention parce que c’est une vue monde
complètement biaisée
In fine, voilà tous les endroits où je suis allé : Copenhague, Fribourg,
Lausanne, Lille, Munich, Palo Alto, Paris, San Fransisco, Seattle, Stockholm,
Boston, Fribourg, Innsbruck, Kyoto, Munich, New York, Paris, Singapour, Stockholm,
Taipei, Tokyo, Kyoto, Washington, Pekin.
Je le rappelle parce que
c’est très "partiel", je n’ai vu qu’une petite partie du monde, je
suis entré dans le monde des 1 %. Il faut faire attention parce que c’est
une vue du monde complètement biaisée. Je suis en train de préparer pour 2020
le tour du monde de l’inverse, c’est-à-dire l’hémisphère sud, les pays
émergents, les zones les plus déshéritées de la planète et les forêts vierges.
Je vais faire le tour du monde de l’inverse l'autre face du monde et ça
m’intéresse beaucoup !
Collaboration
On peut déduire de cela de
nouveaux outils. Premièrement, partout dans le monde, aujourd’hui, la question
de tous les écosystèmes innovants, c’est la collaboration.
La collaboration est devenue
très importante. Il faut collaborer, cocréer. Ce téléphone ne sort pas de la
tête d’un inventeur, ce n’est pas
possible. Il y a mille personnes géniales qui l’ont créé, des milliers. Il y a
des millions d’ingénieurs qui travaillent sur toutes les applications. C’est un gigantesque écosystème, avec des centaines
de milliers de génies qui participent à la dynamique.
Singularité
Il faut être singulier,
sinon on ne crée aucune valeur, on n’arrive même plus à exister, Il faut être
unique, extraordinairement unique.
Il faut être capable de se
projeter dans le futur.
Tout ce que l’on a appris au
siècle dernier est en train d’être un peu dépassé, tout ce qu’on apprend dans
les écoles de commerce aujourd’hui, c’est l’économie, le rationnel, le court
terme, l’organisation scientifique du travail, etc. Alors qu’une énorme partie
de la valeur est sociale, émotionnelle et à moyen terme. On voit bien monter
maintenant : l’éthique, l’écologie et le long terme.
On passe d’une entreprise extrêmement
étriquée, d’une vision de l’entreprise réduite, rationnelle, où il s’agit
d’argent, de bonne gestion, etc., à une situation beaucoup plus vaste, où tout
le monde parle de parties prenantes, et on peut se poser d’ailleurs la question
de savoir si Google, vu la place qu’elle a prise dans l’histoire de l’humanité,
est encore une entreprise privée, même si elle est effectivement privée, ou si
ce n’est pas un bien commun de l’humanité ?
Il y a une sorte
d’élargissement de la conscience et des questions qui devient considérable.
C’est vrai pour les entreprises, pour les individus. Un individu aujourd’hui, s’il
est enfermé dans sa petite sphère, il est complètement perdu. C’est vrai aussi
pour une région. Beaucoup de régions, de départements, d’administrations, de
pays, sont encore très enfermés dans des visions très étriquées de leur destin.
Il faut ouvrir tout cela, élargir tout cela.
Stratégie créative
Enfin, c’est une chose qui a
été mon fer de lance pendant ces vingt dernières années, mais aujourd’hui,
voyager dans le monde n’a fait que renforcer ma conviction. C’est la stratégie
créative. Encore une fois, ce n’est que par une fantastique créativité, une
différenciation que l’on peut créer de la valeur. Ce n’est pas simplement en
étant plus flexible, mieux organisé, comme dans les années 1950, ou en
étant plus gros, comme dans les années 1900. On est complètement passé dans un
autre monde, où l’innovation et la créativité, la créativité et l’innovation
sont la clé du succès.
Comment pouvons-nous mieux faire ?
À travers un nouveau regard,
un regard de la complexité, un regard systémique, un regard intégral. Les deux
marmites, les ressources internes et les ressources externes, tous ces
écosystèmes ont une fantastique capacité à valoriser les talents internes et à
valoriser les talents de la planète.
Comment créer un écosystème
à l’intérieur de mon entreprise, de mon administration, et comment me connecter
à l’ensemble de la planète ?
Post-scriptum
J’ai fait tout au long de ma
vie un énorme effort de travail de documentation et de publication, plus de
vingt livres. Et aussi des publications plus récentes, par exemple ce colloque
que nous avons organisé à l’Université catholique de Lille sur « Prospective,
penser l’avenir », qui consistait à reprendre un travail développé il y a
25 ans au ministère de la Recherche, avec 700 chercheurs, le plus grand travail
de prospective jamais effectué sur la planète terre. Nous venions revisiter ce
travail 25 ans après pour voir ce qui s’était transformé.
Des sites, des vidéos, il y
a 300 vidéos, à voir sur notre centre de vidéos sur l’innovation : https://www.youtube.com/channel/UC
[1] Global Startup Ecosystem
Report 2017
[2] On doit à l'économiste japonais Kenichi Ohmae la vulgarisation du terme triade.
[3] Rosabeth Moss Kanter est professeur
en management
des entreprises à la Harvard Business School, où elle
est titulaire de la chaire « Ernest L. Arbuckle ».. Elle
est en outre directrice du programme Harvard University Advanced Leadership Initiative (Wikipedia)
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