Le rapport alarmant sur le financement des start-up en France
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Un rapport, remis jeudi matin à Manuel Valls et rédigé notamment par le prix Nobel Jean Tirole, dessine de nouvelles pistes pour renforcer le capital-risque et diriger l'épargne des Français vers les nouvelles entreprises.
C'est un rapport qui ressemble à s'y méprendre à un appel au secours. Intitulé «Renforcer le dynamisme du capital-risque français», le document, dont Le Figaroa eu connaissance, doit être remis à Manuel Valls jeudi matin. Il a été rédigé conjointement par Marie Ekeland, cofondatrice du fonds d'investissement Daphni et vice-présidente de l'association France Digitale qui rassemble start-up et investisseurs, le prix Nobel d'économie Jean Tirole et l'économiste universitaire Augustin Landier. Il dresse un constat alarmant des filières d'investissement dont bénéficient les petites entreprises françaises, et plus particulièrement les start-up.
Principale préoccupation du secteur: le manque d'attractivité de la France en matière d'investissement. La France bénéficie certes d'un capital-risque, c'est-à-dire d'une chaîne de financement des start-up et PME, dynamique, qui investit même à l'étranger. Mais la réciproque n'est pas vraie, les entreprises françaises peinant à attirer les faveurs des investisseurs étrangers. Cette situation est d'autant plus dommageable pour nos fleurons nationaux que les montants investis par les investisseurs français, fonds ou business angels, sont bien plus modestes qu'au Royaume-Uni ou en Allemagne.
La fiscalité française rebute les investisseurs étrangers
Le rapport édicte trois préconisations pour pallier cette difficulté. D'abord, la nécessité de rapprocher le régime fiscal français de ceux de nos concurrents, Royaume-Uni en tête. «Dans un écosystème extrêmement mobile, des différentiels de fiscalité importants se retournent contre le pays à forte fiscalité», préviennent les auteurs, qui soulignent que le régime français le plus favorable en matière de taxation des plus-values, grâce à des exonérations, correspond au niveau de taxation le plus élevé au Royaume-Uni. De quoi encourager les entrepreneurs à franchir la Manche, plutôt que de réinvestir leur capital dans l'écosystème des start-up.
Car c'est bien là l'un des principaux enjeux de la rétention des plus riches. «Un point commun des écosystèmes entrepreneuriaux les plus réputés est que les entrepreneurs à succès ou les salariés des start-up à succès contribuent à la fois financièrement et opérationnellement à la création ou l'accompagnement de la génération suivante d'entrepreneurs», note le rapport. Afin d'encourager ce cercle vertueux, le rapport souligne la nécessité de mettre en place «le compte entrepreneur-investisseur», déjà à l'étude à Bercy. Il permettrait de répondre aux besoins d'investissement des start-up, mais surtout aux envies d'investissement sans contrainte des entrepreneurs à succès. Il prendrait la forme d'un «compte déplafonné de réinvestissement, limité dans le temps, dans les PME de moins de 10 ans, y compris les start-up, ou dans les fonds de capital-risque investissant majoritairement dans les PME de moins de 10 ans».
Faire le ménage dans les niches fiscales
La dernière recommandation peut surprendre. Les auteurs du rapport encouragent en effet le gouvernement à «évaluer l'efficacité de l'ensemble des politiques publiques autour du capital-risque». Derrière ce conseil qui semble relever du bon sens se cachent à la fois la tentation de faire le ménage parmi la myriade de niches fiscales et une critique en filigrane de l'action de bpifrance.
Si les auteurs du rapport insistent sur la nécessité «d'encourager l'investissement des épargnants français dans le capital-risque», ils s'interrogent sur l'efficacité de certains dispositifs, comme les FCPI et FIP, souscrits auprès de particuliers, et déjà épinglés par l'inspection des finances et la Cour des comptes. Le rapport préconise tout simplement de supprimer les dispositifs jugés inefficaces, ou pas assez efficaces par rapport à la dépense publique consentie.
Bpifrance victime de son succès
L'action de bpifrance est elle aussi questionnée. Les auteurs du rapport ne critiquent pas le dynamisme de l'investissement public, pour l'instant nécessaire au regard de la faiblesse des investissements privés, mais s'interrogent sur son articulation avec les circuits de financement privé. «Le débat économique ne porte pas tant sur l'utilité des interventions publiques que sur leurs modalités, leur calibrage et surtout leur capacité à stimuler l'initiative privée», avertissent les auteurs, qui énoncent pas moins de trois recommandations concernant la banque publique d'investissement.
Ils souhaitent ainsi que bpifrance recoure à des experts extérieurs à l'institution, voire étrangers, pour diriger ses interventions en matière industrielle. «L'État n'a pas de compétences particulières pour sélectionner et accompagner les futures licornes», tranche le rapport, qui préconise d'utiliser «une expertise indépendante et qualifiée pour choisir les projets et récipiendaires de fonds publics» ainsi que «d'associer fortement le secteur privé à la prise de risque».
La France peut bénéficier du Brexit
Une critique à peine voilée de l'omniprésence de bpifrance dans la chaîne de financement des start-up... qui réside paradoxalement dans son succès. «Parce qu'elle joue un rôle clé d'instruction des dossiers et de coordination des acteurs privés, bpifrance porte en elle le risque, par effet d'éviction, de bloquer l'émergence d'un écosystème autonome [privé]». Les auteurs regrettent que les acteurs privés «se reposent» sur le travail de bpifrance, alors que les écosystèmes de financement public et privé devraient être complémentaires.
Enfin, le rapport rappelle qu'en tant que structure publique, bpifrance n'est pas à l'abri «d'une capture par le monde politique», qui pourrait s'en servir comme d'un outil de propagande à l'aune de l'élection présidentielle l'année prochaine. Les auteurs suggèrent d'augmenter la présence dans les conseils d'administration d'administrateurs indépendants «pour limiter les éventuelles tentations d'instrumentalisation par le monde politique».
La proximité de la prochaine échéance électorale pourrait néanmoins jouer en faveur des start-up et des investisseurs. Selon nos informations, Manuel Valls et Emmanuel Macron souhaiteraient faire avancer le dossier au plus vite. Et le temps presse, comme en atteste la conclusion du rapport: «l'enjeu est considérable: la France a la possibilité de combler son retard, notamment si la perspective se confirmait d'une sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne».
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