D’Homo Sapiens… au transhumain : Qu’est-ce qu’être humains ? Le sommes-nous encore ?
Le bestseller mondial de Yuval Harari, Sapiens : une brève histoire de l’humanité, qui en 500 pages embrasse pas moins que toute l’histoire de l’humanité est effectivement un livre à la fois fascinant et accessible. Sur la scène des conférences USI, où il le résume en 40 minutes, le frêle Yuval Harari l’est tout autant.
Pourquoi sommes-nous devenus l’espèce dominante de la vie sur terre ? Comment avons-nous conquis le monde ? Il y a 100 000 ans, la terre était très différente de ce qu’elle est aujourd’hui. Les humains aussi. Homo Sapiens vivait en Afrique de l’Est. Il existait 5 autres espèces humaines. C’est quelque chose que nous avons du mal à appréhender, parce que nous ne connaissons qu’une seule espèce humaine depuis longtemps. Or, chez tous les animaux, il existe plusieurs espèces. Il y a plusieurs espèces d’ours par exemple, selon les endroits du monde où ils vivent. Mais il n’y a plus plusieurs espèces d’hommes.
Comment l’imagination a-t-elle développé notre capacité à coopérer ?
Il y a 100 000 ans, les différentes espèces humaines étaient petites en nombre et leur impact sur l’écosystème était minime, pas plus signifiant que celui des abeilles, des piverts ou des méduses aujourd’hui. Nous n’étions qu’un animal parmi d’autres. Aujourd’hui, nous sommes la seule espèce, car nos ancêtres en quittant l’Afrique de l’Est ont provoqué la disparition de toutes les autres espèces d’hominidés. “Nous nous sommes débarrassés de tous les autres”, affirme-t-il très rapidement, alors que les hypothèses sur la disparition de Néandertal notamment semblent encore un peu plus ouvertes. Avec 7 milliards d’individus, nous sommes l’un des animaux le plus importants de la planète en nombre. Nous pesons 300 millions de tonnes. Les animaux domestiques, les esclaves de nos besoins, comptent pour 700 millions de tonnes. Les animaux sauvages pour 100 millions. Quand on regarde National Geographic, le monde semble encore rempli d’animaux sauvages, mais en vérité, ils ne sont plus là. Ils représentent moins de 10% de la population totale des grands animaux et leur survie dépend entièrement de nos décisions et de nos désirs.
Comment sommes-nous passés de grands singes sans signification à des dieux sur terre ? Ce n’est pas une métaphore, insiste Harari, c’est un fait. Nous avons les capacités qui étaient l’apanage des dieux dans la mythologie. Nous savons créer la vie, créer des animaux. Depuis 4 milliards d’années, la vie a évolué selon les principes de la sélection naturelle. Mais désormais, il y a un nouveau principe, celui de la conception intelligente. Nous sommes capables de créer des formes de vie. Nous sommes devenus des dieux.
Quel est le secret de notre succès ?
Souvent, on cherche la réponse à un niveau individuel. On veut croire qu’il y a quelque chose d’unique dans l’homme, qui le rend supérieur aux autres animaux. Mais au niveau individuel, nous sommes très similaires aux chimpanzés. Seul sur une île déserte avec un chimpanzé, il aurait bien plus de chance de survivre que n’importe lequel d’entre nous. “Ce n’est pas au niveau individuel que nous sommes supérieurs aux autres. La raison qui explique notre domination repose sur le fait que nous sommes le seul animal capable de coopérer avec d’autres de manière flexible”.
Les abeilles savent bien sûr coopérer par millions. Mais chez elles, la coopération est très rigide. Les ruches s’organisent d’une seule manière. Les abeilles ne savent pas réinventer leur système de coopération sociale. Elles ne savent pas guillotiner leur reine pour mettre en place une démocratie. Le comportement social des abeilles n’est pas flexible. D’autres animaux sont plus flexibles comme les chimpanzés ou les loups. Mais ils ne savent coopérer que dans de petits groupes, car leur capacité à coopérer est liée à la connaissance intime qu’ils ont les uns des autres. Ils ne savent pas non plus coopérer avec des étrangers au groupe. Homo Sapiens est le seul animal capable de combiner la flexibilité avec de très grands groupes. Si au niveau individuel, nous ne sommes pas supérieurs aux chimpanzés, ce n’est pas le cas à un niveau collectif : si on oppose 1000 humains à 1000 chimpanzés, les humains vont gagner. 100 000 chimpanzés créent le chaos, alors qu’avec 100 000 humains on obtient des réseaux de coopération hautement sophistiqués, comme des organisations ou des Etats. Les singes ne donnent pas une conférence devant des étrangers. Je ne connais pas le pilote de l’avion qui m’a amené ici. Je ne connais pas les organisateurs de la conférence, ni les gens dont j’ai lu les livres pour écrire le mien, mais tous ont coopéré de manière efficace, explique Harari. Et c’est cela le propre de l’homme. Qu’importe si la coopération humaine nous a, à la fois, permis d’aller sur la lune comme permis de développer des centres pénitenciers.
C’est notre imagination qui nous a permis de coopérer de manière souple… C’est elle qui nous permet de contrôler le monde, de faire croire aux fictions qui nous permettent d’obéir aux mêmes règles pour coopérer de manière efficace, estime Yuval Harari avec juste ce qu’il faut de cynisme. Comme les animaux, les êtres humains utilisent le langage pour décrire la réalité, mais nous, on l’utilise aussi pour créer des fictions, des mythes. “On sait faire croire à nos histoires pour coopérer de façon efficace, alors que le chimpanzé, lui, ne vous donnera jamais sa banane en échange de la promesse qu’il ira au Paradis”. Seuls les humains sont capables de croire à ces histoires. La coopération, comme la religion ou la politique est basée sur la fiction, que ce soit celle de Dieu comme celle de la Nation. Les droits de l’homme comme les religions sont basées sur des récits puissants. Pourtant, si on dissèque un être humain, on n’y trouvera ni les droits de l’homme ni Dieu. Dans le domaine économique également on a invité des entités fictionnelles, comme les entreprises, ces “personnes morales”. Un tremblement de terre peut détruire une usine, mais pas une entreprise. Celle-ci n’est pas seulement limitée à ceux qui y travaillent. Si on la délocalise, elle continue à exister. Les entreprises cherchent à faire de l’argent, qui est également une entité fictive. On ne peut ni manger ni boire un billet de 100 euros et aucun singe ne vous l’échangera contre 10 bananes. “L’argent est l’une des histoires les plus réussies que nous ayons imaginé. C’est la seule à laquelle tout le monde croit”. Plus que Dieu, la Nation ou les droits de l’homme. Même Daesh croit en l’argent, même aux dollars américains… Le roi dollar est la meilleure histoire du monde.
Reste qu’il demeure difficile de convaincre les gens de croire aux mêmes fictions. Les guerres et les conflits émanent des difficultés à faire consensus. Alors que les animaux se battent surtout pour des questions de nourriture ou de territoire, nous nous battons surtout et avant tout par rapport à ces histoires fictives. Les habitants de l’Europe n’ont cessé de se faire la guerre, jusqu’à ce qu’ils inventent un récit européen, une identité commune qui génère de la paix.
“Contrairement aux animaux qui vivent dans une réalité objective, les humains vivent dans une double réalité, objective et fictionnelle”. Les forces les plus puissantes du monde reposent désormais sur des entités fictives et la survie de la réalité objective elle-même dépend désormais des décisions liées aux entités fictives que nous avons imaginées, que ce soit Google ou la Banque européenne.
Aujourd’hui, nous avons des décisions très importantes à prendre sur l’avenir de la vie, qui nous demandent de nous rappeler la distinction entre les fictions et les réalités. Pour nous y aider, la bonne question à se poser est de se demander si les entités dont nous parlons peuvent souffrir. Un pays ne peut pas souffrir : quand on emploie cette expression, on utilise une métaphore. Une entreprise non plus. Si on brûle une église, Dieu ne souffre pas. Quand une entreprise fait faillite, lorsqu’un temple est brûlé, des gens souffrent, oui. Seul le test de réalité nous rappelle qu’une poule est plus réelle que l’Union européenne, conclut avec une belle ironie Yuval Harari.
Répondant aux questions qui l’assaillent, Yuval Harari remarque qu’on ne sait pas très bien d’où nous vient cette capacité à créer des histoires qui a favorisé nos modes de coopération et permis de nous distinguer. On sait que d’autres espèces humaines avaient des cerveaux de la même taille qu’Homo Sapiens. Les hommes de Néandertal en avaient même de plus grands, mais on n’a pas trouvé chez eux de peinture rupestre (mais les découvertes très récentes de la grotte de Bruniquelpourraient venir mettre à mal cette thèse). Pour Yuval Harari, une théorie voudrait que cette différence s’explique par un changement dans la structure interne de notre cerveau qui aurait donné naissance à des capacités cognitives nouvelles. Mais nous n’avons pas la réponse.
Quand on lui demande en quoi cette histoire éclaire notre avenir, il estime que Homo Sapiens a encore peut-être un ou deux siècles à vivre. “Nous écrivons les derniers chapitres de notre histoire”. Cela ne signifie pas forcément que nous allons disparaître, mais nous devrions nous transformer en quelque chose de différent, d’une manière plus radicale encore que l’a été la différence entre Homo Sapiens et Néandertal. Notre avenir va se jouer entre notre extinction ou notre augmentation. Pour lui, il est peu probable qu’on arrive à coloniser l’espace – mais ça ne nous empêchera pas d’essayer, même si l’univers se passerait certainement très bien de nous -, notamment parce qu’on ne sait pas survivre ailleurs dans l’univers. Il est peu probable qu’on voit un jour des humains dans l’univers, mais nos créations certainement. Le numérique, lui, nous a déjà transformé, comme il le soulignait d’ailleurs dans une surprenante interview sur InaGlobal. Il développe notre capacité de coopération à une échelle sans précédent. En tant qu’individus, nous dépendons de plus en plus de ce réseau. Pas que de celui-ci d’ailleurs : nous ne savons plus produire la nourriture que nous mangeons. Nous ressemblons de plus en plus à des fourmis… et demain, nous ne saurons pas survivre sans être reliés aux autres. Son prochain livre qui paraîtra en septembre, Homo Deus, s’intéressera d’ailleurs à l’avenir, non pas tant pour le prédire que pour tenter d’en cartographier les possibilités. Il est à parier que le surprenant Yuval Harari nous racontera notre avenir d’une manière férocement originale.
La sélection non naturelle est-elle l’avenir de l’homme ?
Juan Enriquez (@evolvingjuan, Wikipédia) qui lui succède plus tard sur la scène d’USI, s’intéresse lui à l’avenir de l’homme. Pas sûr que ce soit sous le même angle que l’aurait fait Harari… Chercheur, investisseur, Juan Enriquez est le directeur d’Excel Venture Management. Il est a été l’un des fondateurs de Genomics Inc. avec Craig Venter. Il est notamment le co-auteur d’un récent bestseller, Evolving Ourselves.
Dans le film Le Lauréat, Benjamin Braddock, l’étudiant joué par Dustin Hoffman, reçoit un conseil pour son avenir : travailler dans le secteur du silicone. “C’était un mauvais conseil”, ironise l’investisseur. “On aurait dû lui conseiller le silicium. Et ce d’autant que la Silicon Valley commençait à se développer cette époque. Aujourd’hui, si j’avais à donner un conseil à un jeune étudiant comme Benjamin Braddock, je lui dirais de se tourner vers les biotechnologies”, estime l’un de ses plus éminents spécialistes. Le “code de la vie” consistant à apprendre à lire, copier, modifier le code de tous les êtres vivants va être le moteur de la richesse des 40 prochaines années, prédit-il.
Voilà longtemps que l’homme modifie la vie pour satisfaire ses besoins, rappelle Juan Enriquez. Si on enlève les fleurs de la moutarde, on obtient le brocoli. Si on en enlève les feuilles, on obtient des choux. Ces légumes qui appartiennent à la même famille sont des créations humaines. Voilà longtemps qu’on sait ce qu’il se passe quand on réalise des croisements génétiques. On écrit avec les gènes comme on écrit en anglais… “On intervient”. “La biologie est passée d’une science de l’observation à une science de l’intervention. Nous sommes entrés dans l’ère du design intelligent.”La maîtrise du code de la vie est le plus puissant des super pouvoirs que n’a jamais eus l’homme. C’est un droit de vie et de mort sur toute la planète. On peut avoir l’impression que cette maîtrise n’est pas naturelle, mais c’est oublier trop vite que l’état normal de l’humanité est d’être confronté à des épidémies, qu’éliminer les maladies n’est pas naturel. Pourtant, la médecine nous a permis de doubler l’espérance de vie. La génétique nous permet de nourrir 7 milliards d’individus.
“Regardez les fleurs sauvages. Elles sont souvent petites. N’ont pas d’odeurs. Ne se conservent pas. Les bouquets de roses qui sentent bon et qui durent longtemps ne sont pas naturels, ils sont issus des modifications que nous avons fait subir à ces espèces”. Même vivre dans la nature ne nous est plus si naturel, s’amuse le chercheur, en évoquant l’émission de téléréalité Naked and afraid, consistant à laisser vivre deux personnes nues sur une plage pendant 3 semaines. Ce que montre l’émission, c’est que même pour des gens qui se considèrent proches de la nature comme le sont les candidats, “l’état de nature” n’est pas agréable.
Dans le domaine de l’évolution, notre survie a longtemps reposé sur la sélection naturelle et la mutation aléatoire. Mais elle dépend bien plus désormais des mutations non aléatoires et des sélections non naturelles. Si la sélection naturelle produit le loup, la sélection humaine, elle, a produit le chien, dans toute sa diversité. Les champs de blé ou de maïs, qui nous semblent la principale expression de la nature, sont l’environnement le moins naturel du monde. Dans la jungle, la forêt ou la savane, aucune plante ne pousse de manière ordonnée, rappelle Enriquez. La mutation aléatoire, c’est celle qui a doté le lanceur de baseball Antonio Alfonseca de 6 doigts à chacune de ses mains. La mutation non naturelle, c’est également Crispr, la technologie de manipulation du génome. Pour Juan Enriquez, Crispr est un traitement de texte pour la vie. Ce n’est pas la seule technologie qui permet de modifier la vie. Les principaux médicaments que nous consommons ne sont plus produits de manière chimique, mais à partir de cellules modifiées, reprogrammées, estime le spécialiste.
Alors oui, “le code de la vie est puissant. Si puissant qu’il nous faut des principes pour le réglementer. Nous devons assumer nos responsabilités. Si nous modifions les cellules du maïs ou des hommes, nous devons l’assumer”, prêche-t-il. Pour Juan Enriquez, nous sommes proches de notre propre extinction. On trouve plus de diversité génétique dans une cinquantaine de chimpanzés que dans 7 milliards d’êtres humains, souligne-t-il, sans expliquer pourquoi l’absence de diversité génétique nous menace directement.
Reste que nous sommes confrontés à des débats qui s’annoncent difficiles. On doit respecter le choix des gens. Certains ne voudront rien changer à la vie. D’autres voudront changer leur code génétique ou améliorer leur génome. Pourtant, la réalité n’est déjà plus aussi simples que celle d’une égalité. On s’est rendu compte par exemple que les athlètes de haut niveau ont déjà des gènes spécifiques, explique trop rapidement Juan Enriquez en faisant référence aux variantes du gène ACTN3 (assez bien expliquées ici, mais l’on renverra surtout au livre de David Epstein, Le gène du sport ou à l’analyse des limites du sujet notamment ici). Faudra-t-il demain faire des JO différents pour ceux qui ont le gène, ceux qui ne l’ont pas et ceux qui ont fait modifier leur génome ?
Pour Juan Enriquez, les êtres humains ne sont pas tous semblables. Leurs différences nous font peur, sont controversées, mais ce n’est pas pour autant que nous ne devons pas nous en préoccuper. Pour lui, notamment, les femmes sont différentes des hommes de par le fait qu’elles aient des chromosomes sexuels différents. Mais cela semble avoir d’autres conséquences. Selon plusieurs études, les hommes et les femmes ne sont pas affectés de la même manière par les maladies cardiaques par exemple. Cela signifie que les tests de médicaments doivent être regardés différemment sur les hommes et les femmes, que les chercheurs doivent savoir d’où proviennent les cellules qu’ils utilisent. On sait que certains médicaments affectent différemment des personnes différentes. Cela signifie qu’il faut reconnaître ces différences et les prendre en compte ?
Mais les évolutions de l’homme ne sont pas que génétiques. Elles sont également physiques. Les prothèses sont devenues courantes. Beaucoup de gens ont des genoux ou des hanches artificielles. Au MIT, des chercheurs travaillent sur des modèles de plus en plus avancés et exotiques de prothèses. Hugh Herr, le responsable du laboratoire de Biomécatronique, qui a lui-même perdu ses jambes, montre dans ces travaux combien le rapport à la prothèse change. D’accessoires nécessaires, ils deviennent des outils qui transforment l’homme : Herr a réalisé des escalades plus difficiles avec ses prothèses qu’avant, alors qu’il était considéré comme l’un des meilleurs grimpeurs des Etats-Unis. Le domaine des prothèses est en pleine transformation estime Enriquez. Les aides auditives (comme celles de Phonak ou d’Advanced Bionics) révolutionnent la vie des patients. Bientôt, elles permettront de trier certaines fréquences et donc d’éteindre certains sons, ou de “zoomer” phoniquement… Ceux qui ont un handicap auront demain des avantages tant et si bien que va se poser la question pour les gens “normaux” d’obtenir ce qui va tenir de l’avantage. Au MIT encore, Ed Boyden, qui pilote le groupe de recherche en neurobiologie synthétique travaille à relier directement les prothèses au muscle et au cerveau. Ces recherches impliquent qu’on pourrait à l’avenir, par exemple, accélérer la réaction musculaire… La possibilité d’éviter une balle devient alors de l’ordre de l’envisageable.
Tous ces exemples nous emmènent vers une “conception évolutionnaire” de l’homme. Un peu comme le propose le projet Dreamcatcher d’Autodesk, un logiciel de design orienté par la solution, qui génère des milliers de formes différentes pour optimiser un objet à son but. Pour Juan Enriquez, ces perspectives nous permettent d’envisager de nouvelles formes d’évolutions pour l’homme, permettant de trouver des solutions plus fonctionnelles… Ouvrir l’éventail des prothèses possibles pour l’homme nous permet d’envisager un homme très différent de celui que l’on connaît. A quoi ressembleront les humains dans un siècle ou deux ? Difficile de le dire, tant les modalités d’interventions qui s’ouvrent à nous sont multiples. On peut intervenir au niveau cellulaire, au niveau génétique, au niveau de l’environnement, au niveau fonctionnel…
Anthony Atala, spécialiste de médecine régénérative, travaille à apprendre à notre corps, à nos cellules elles-mêmes, à reconstruire un rein, une vessie, un genou, des dents ou des oreilles… Il travaille sur plus de 30 parties différentes du corps humain selon le principe que si votre corps a su construire des organes une fois, il devrait être capable de les reconstruire au besoin. Une autre façon d’intervenir sur le code de la vie consiste à suivre les travaux de Craig Venter de séquençage du génome. Synthetic Genomics cherche à programmer les cellules pour créer de l’énergie, des processus chimiques inédits, de nouvelles espèces, stocker de l’information… Rendre programmable la vie elle-même, c’est ce à quoi travaille Angela Belcher au groupe sur les matériaux biomoléculaires du MIT, en travaillant notamment au développement de micro-batteries à partir de virus, et qui a rejoint le Cancer Center du MIT pour y travailler sur des nanomédicaments et faire se rejoindre la physique quantique et l’ingénierie génétique. Juan Enriquez évoque encore George Church, l’auteur de Regenesis et ses travaux sur la programmation cellulaire et la thérapie géniquequi pose des questions sur ce qu’est l’altération elle-même…
Ce que montrent ces innovations, c’est que rien ne va plus changer dans les années à venir que “la capacité à éditer la vie elle-même”. Nous allons devoir, chacun et ensemble, poser la question de ce que l’on veut faire de l’humanité. Cela nécessite que nous comprenions tous les implications de la lecture et de l’écriture du code de la vie, conclut Juan Enriquez.
Reste à savoir le degré de libre arbitre que nous aurons sur l’évolution de ces questions, comme le pointe très bien la première question que le chercheur reçoit. Si on altère son propre génome, on altère donc celui de ses enfants à venir. Cela ne signifie-t-il pas que l’on choisit pour eux ? Juan Enriquez a beau essayer d’expliquer que les motivations peuvent être différentes, plus ou moins morales, ça ne change rien aux conséquences de ces choix. Lors des premières naissances in vitro, la plupart des gens y étaient opposés. Aujourd’hui, le regard que nous portons sur les modes de procréation assistée a beaucoup évolué, répond-il. Est-ce que cela signifie en fait que notre seul choix est d’accepter ce qui se prépare ? Comment mettre des barrières ? Lesquelles ? Où ? Il se dévoile d’ailleurs en raillant le principe de précaution qui pourrait demain nous empêcher de construire un escalier, de proposer du sel ou du sucre… Juan Enriquez nous parle de choix et de liberté… peut-être seulement parce que le discours qui les nierait serait absolument inacceptable.
Hubert Guillaud
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