1976/01/12

1976


Suite des études aux Beaux-Arts et à l'Université de Vincennes. Participation au "Salon des Réalités Nouvelles" et au "Salon de la Jeune Peinture". Approfondissement de la photographie. Création dans la Maison des Jeunes et de la Culture du sixième arrondissement à Paris l'atelier "Etre au présent" visant à une meilleure connaissance de soi à travers l'expression corporelle et la méditation. "Depuis 6 ans, je pratique le yoga et l'expression corporelle qui m'ont permis de percevoir avec une acuité de plus en plus intense la puissance et la singularité de l'instant présent. J'essaye de partager cette connaissance intuitive autour de moi, mais j'ai un peu de mal à m'exprimer de manière convaincante et à trouver des échos dans mon entourage. Je suis à l'époque attiré par l'idée de devenir moine, je passe de longues nuits à converser avec mon vieux "copain" que j'appelle, à défaut d'avoir trouvé mieux, "Dieu". C'est lui qui me convainc de ne pas rentrer dans les ordres. Ses arguments sont les suivants : "pour le développement de ta connaissance, il est essentiel que tu connaisses tous les aspects de la vie ; la plus grande ascèse ne consiste pas à se séparer des choses mais bien au contraire à rentrer en chaque chose, en restant détaché".






















TEXTE DES CAHIERS DATANT DE 1976
 

11 Janvier 1976


 Je reviens sur les termes de cette crucifixion en tant qu'ascèse. Le chemin de croix de cette crucifixion, bien qu'elle soit unique, est pour chacun de nous, différent car nous sommes chacun perdu à un point différent de la circonférence.

 

Nous avons choisi chacun, pour nous enfoncer, des pôles différents parmi les multiples contradictions de ce monde. Le chemin de retour vers la maison du père ne peut donc se faire que dans la solitude. Chacun de nos frères a infiniment à nous donner dans sa différence en tant qu'il nous remet en question et fait surgir la contradiction dont nous avions oublié un des pôles et est terriblement dangereux dans la mesure où il nous comprend. En fait, il faut aimer nos ennemis plus que nos amis car nos amis nous tuent et nos ennemis nous donnent la vie. Dans le monde formel, il ne saurait y avoir d'accord sinon mortel. Il n'y a de communion qu'au centre dans la maison du père. L'union, la communion, tout, tant que l'on n'a pas atteint ce centre, doit être vécu uniquement symboliquement Dès l'instant où elle se fait autour d'une idéologie, d'un but commun, elle devient au niveau spirituel négative, elle devient un confort comme si on était déjà arrivé.

 

Faut-il le rappeler ? Ce que nous appelons la communion est symbolisé avant tout par la mort du Christ. La distribution du pain est notre éparpillement. Nous ne communions justement que par la pleine conscience de cet éparpillement, dislocation du corps christique. Jésus ne nous laisse aucune idéologie autour de laquelle nous rassembler.

Constamment, au contraire, il réhabilite celui que l'on rejette idéologiquement : la prostituée, le samaritain, le dernier. Il rejet te ceux qui appliquent l'idéologie : le pharisien, le premier, etc…

 

Par la parabole du bon samaritain, il nous montre que notre prochain est celui qui est idéologiquement le plus éloigné de nous : celui qui nous recevra, c'est le samaritain et non le pharisien, si nous sommes de droite, c'est celui qui est à gauche, et si nous sommes à gauche, il est à droite ; et si nous sommes l'intellectuel perdu dans les nuées, celui qui fait un avec la terre. Mais en aucun cas, ce ne sera le chef de l'idéologie que nous suivons : lui nous perd si nous ne laissons pas les autres nous sauver. 

 

L'Église Catholique, je veux dire celle qui se montre aux yeux de tous, n'est que le reflet formel, et par là même déformé, du corps christique insaisissable que constituent ceux qui ont effectué une mise en croix authentique : ils nous attendent dans la joie au-delà de toutes les institutions, associations, sociétés formelles au centre de la maison du père qui est informelle. Seule notre idolâtrie de la forme nous empêche de les voir car ils sont aussi mêlés à notre vie de tous les jours que l'air que nous respirons.

 

Nous ne sommes loin d'eux que par notre laisser-aller, notre bonne conscience, notre confort. Malgré cela, plus que jamais, nous cherchons et tombons dans le confort idéologique et matériel. Nous nous y agrippons paranoïaquement, jetant de l'huile sur l'enfer. Nous préférons tuer l'autre, celui qui est différent, celui qui s'oppose plutôt que de le laisser nous réveiller et nous donner le pôle qui nous manque et qui, synthétisé avec le nôtre, nous fera dépasser la contradiction. La véritable force diabolique, c'est celle qui nous fait rester sur notre position paranoïaque, qui nous fait sentir comme agression le jaillissement même de la vie, nous faisant voir Satan alors que c'est Lucifer, le porteur de lumière qui vient à nous. Nous sommes à la fin d'un cycle : plus que jamais, l'arbre de la vie est luxuriant et nous appelle. Plus que jamais, nous chutons en voulant goûter à l’arbre de la connaissance du bien et du mal.

La connaissance qui coupe en deux le monde, le disperse. Le fruit nous fait chuter parce qu'il pose un faux problème dont la résolution obligatoirement fausse nous éloigne de la source de la vie. L'homme à travers les multiples idéologies qui se développent à l'heure actuelle, n'a jamais autant cru arriver à la connaissance du bien et du mal que maintenant et pourtant le monde n'a jamais été aussi proche de sa fin.

Celui qui dit ceci est mal et ceci est bien, celui-là chute car il goûte à la connaissance du fruit du bien et du mal. Le mal, c'est notre terrible aveuglement qui nous fait confondre l'arbre de vie avec l'arbre de la connaissance du bien et du mal. Le bien, c'est quand, au-delà de toute idéologie du bien et du mal, nous accédons à la source de la vie et arrêtons d'obscurcir l'homme par nos religions. Mais le bien, c'est aussi le jaillissement effréné de la vie par le développement de toutes nos illusions qui sont autant de possibles de Dieu.

 

Le mal, c'est aussi celui qui arrête le jaillissement effréné de toutes les illusions, qui glorifient, chacune, une facette de Dieu.

 

En vérité, il n'y a qu'un monde. Pour les morts, ce monde n'est que contradiction, putréfaction et ténèbres. Ils sont rongés par le ver de la connaissance et il leur faut apprendre la vie par ce ver, gagner leur pain à la sueur de leur front.

 

Pour les vivants, ce monde est une immense symphonie et tous sont dans la jubilation. Les morts doivent cesser de s'enterrer dans leur confort ; la bêtise, le parti pris, ils s'exténuent à rejeter la lumière en nommant Satan et par là-même, goûtent orgueilleusement aux fruits de l'arbre de la connaissance au lieu de laisser pousser en eux l'arbre de la vie. L'homme primordial est le fruit de la connaissance du bien et du mal. L'homme qui mange ce fruit au lieu de le laisser pousser en lui, chute, meurt tout simplement parce qu'il se dévore lui-même. Nous n'avons pas à juger du bien et du mal tant que nous sommes loin du centre. Et pourtant, nous avons besoin de juger du bien et du mal que tant que nous ne sommes pas au centre. Car au centre, tout est bien.

 

En vérité, ce qui est bon pour nous, c’est tout ce que nous rejetons et ce qui nous semble mauvais. A la fois apprendre ce qui est à faire et à aimer ce que nous rejetons. Le Christ est insaisissable parce qu'l n'est absolument rien qu'il n'est aimé. Il a aimé chaque homme et chaque femme, les vivants et les morts, la lumière que donnent les morts aux vivants, l'obscurité dans laquelle restent les vivants pour les morts. Il a tout aimé parce qu'il a tout vécu et par là-même, a tout fait. Dès l'instant où je deviens réellement créateur, je m'aperçois que ce que je construis ainsi est en absolue harmonie avec le monde.

 

Le monde se crée à mon image et je me crée à l'image du monde. Au fond de moi, il y a Dieu et au fond du monde, il y a Dieu : tout est harmonie par Dieu ; il n'y a qu'à jouir : Dieu jouit, le monde jouit, je jouis. Il n'y a que les morts pour ne pas voir ça. Ils sont la semence que produit cette jouissance déposée dans la terre pour devenir en florissant le lieu de la jouissance à venir. Les morts sont des graines appelées à se dresser et à fleurir. 

 

La chute, c'est la graine qui tombe de la fleur, c’est la fleur de la plante qu’a donnée la graine.

 

Nous sommes conscients : sous la terre, là, s'enfonce la graine, c'est en enfer. Bien peu de graines survivent. Quelques-unes grandissent et se lèvent: alors apparaît la lumière.

 

Enfin la plante fleurit et c’est la plénitude de lumière : toute la création est un symbole et montre le chemin de l’homme. Nous sommes la semence de dieu, nous devions croître, grandir, sans jamais nous arrêter en essayant de comprendre et d’aimer tout ce qui se donne à nous. Chaque évènement, les meilleurs comme les pires, sont une nourriture spirituelle que nous offre Dieu. Chaque évènement, même s'il semble concerner tous les autres, est préparé exprès pour nous ; absolument rien n'est laissé au hasard par Dieu. Il faut avoir ses sens éveillés, toute l'intelligence, tout ce que nous pouvons posséder individuellement comme qualité pour saisir les occasions. Chacun a sa chance, rien n'est déterminé bien que tout soit déjà écrit. Chacun doit se centrer sur son propre cheminement, comprendre les autres, sans pour ça rejeter son acquis, savoir que c'est celui qui lui semble le plus satanique qui a encore le plus à lui apprendre. Ne pas forcer les autres à rentrer dans le même chemin que nous, nous transformant alors en Satan pour l’autre ; dans les années qui vont venir, la majorité va faire exactement le contraire de tout cela et ce sera bien malgré que ceux qui le feront en souffriront terriblement : eux seuls seront une cause de l'enfer dans lequel ils vivront.

 

Les contradictions vont devenir de plus en plus effrayantes. L'agressivité va se généraliser car tous seront terrorisés par ces contradictions mêmes. Non contents d'être décentrés en ayant nié un terme de l'équilibre. Ils voudront détruire définitivement cet autre terme de la face de terre.

 

Pourquoi tout cela ? Parce que l'homme atteint le plus bas de sa chute le fils est très loin du père, la droite s'éloigne à droite, la gauche à gauche, le bas atteint son bas, le haut s'élève. Le monde même est crucifié : c'est une crucifixion de gloire; la crucifixion n’est déchirement qu’au niveau du monde physique, déchirement du corps du Christ, de l’humanité, déchirement de la terre ; mais ce qui est explosion au niveau du corps est implosion au niveau de l'esprit. Dans l'anarchie absolue, tout ce qui n'est pas au centre ne peut pas survivre. La putréfaction est le plus grand appel à cesser de mourir pour vivre. Rien de ce qui est formel ne peut, en dernière analyse, être bon. Seul Dieu est bon et parce que Dieu est parfaitement bon, toute la création est bonne ; mais chaque partie en soi, en tant qu'elle se sépare de Dieu, devient mauvaise.

 

L'amour de l'autre, de celui qui est le plus loin de nous, nous permet seul de comprendre, de prendre avec, le pôle qui, en nous manquant, fait que nous nous enfoncions dans l'obscurité du déséquilibre : c'est aussi la seule chose que nous puissions faire pour l'autre.

 

En effet, sentir que nous sommes aimés tels que nous sommes, crée la sécurité dans laquelle peut s'opérer la découverte de ce qui nous manque. Constamment, nous nous branchons à l'envers, nous demandons à l'autre de nous aimer en lui jetant à la figure tout ce qui lui manque. En faisant ça, nous nous fermons à l'immense amour de Dieu et nous enfonçons l'autre dans le sentiment d'insécurité qui va lui faire rejeter pour jamais ce que nous pourrions lui apporter.

 

Jeudi 15 janvier

 

Le monde est comme un fruit fait pour être dévoré et comme un fruit il est constitué d'une écorce, de la pulpe et du noyau.

 

Vendredi 16 janvier

 

L’attention qui n'est ni tournée vers l'intérieur, ni vers l'extérieur mais bien plutôt vers la vibration particulière qui émane de l’instant ; saisir cette vibration, c'est saisir le point de rencontre du monde intèrieur et du monde extérieur, leur centre présent à tous deux.

 

Dans la vie, cet état dont je parle est une manière de vivre où au lier de suivre ma volonté, mon intérêt, au lieu de réfléchir si cela est bien ou mal, je me branche totalement sur cette vibration et tente par chacune de mes actions d'y répondre le plus justement possible comme je le fais dans un poème avec chaque mot. Agir de cette manière est fascinant car au lieu que chaque geste que je fais soit subi par ma conscience, me fatigue, soit à la limite quelque chose que j'aimerais oublier, chaque geste devient alors comme une note de musique dans un orchestre.

 

J'assiste à chacun comme un homme à un opéra : le monde entier devient une scène sur laquelle je danse ; cet état est ineffable, d'une simplicité extrême; à la limite, j'ai tendance à rapidement l'oublier car durant ces instants, rien ne pouvait me heurter, me marquer. Il ne m'offre aucun point d'appui ; impossible de l'analyser, d'essayer de dire ce qui se passait en moi : il n'y avait rien : cela s'arrête à un moment ou à un autre comme c'est venu, et je me renforce dans la brume : impossible de saisir l'instant où ça s'arrête, où ça commence ; impossible de le produire. C'est aussi simple que de s'éveiller ou de s'endormir et aussi impossible à saisir.

 

Le monde, sous prétexte d'unité, va de plus en plus vers un totalitarisme qu'il soit de droite ou de gauche. Cette unité n'est que rassemblement d'êtres dés individués à coups de bourrage de crâne, coups de briques consommés d'aboutissements, amours sirupeux, tortures.... Une spiritualité à rebours se développe un peu partout pour fonder à grand renfort de moyens matériels cette unité. A côté de cette tendance qui va amener à donner tous pouvoirs sur ce monde à l'essence de la putréfaction, surgissent, un peu partout, les êtres révoltés qui sentant bien qu'ils font i mauvais rêve, sont prêts à mourir pour s'éveiller. Repoussant la contre initiation et la néo spiritualité, ils font leur mise en croix dans la solitude au risque de leur vie. Tels ont été Rimbaud et plus près de ne Artaud. Il nous faut se servir de leur témoignage pour pousser l'aventure toujours plus loin. Plus que jamais, il ne peut y avoir d'accord forme : qui ne soit mortel. Plus que jamais, dès leurs manifestations, les idée s'oxydent, plus que jamais, l'or devient plomb, mais celui qui restitue le verbe à la chair doit surtout témoigner de la chair à travers le verbe. C'est le seul moyen que notre progression solitaire vers la mort puisse mener d'autres à la vie. Nous n'avons nul besoin de nous réunir en partis, associations, organisations pour nous reconnaître et pour avoir une action.

 

L'association, au contraire, cela nous nuirait en notre démarche en nous installant dans la vanité qui sous-tend cette sorte d'affrontement. Nous émanons du jaillissement de la vie et comme la source de la vie, nous sommes informels et par là-même inexpugnables. Celui qui nous tue nous fait vivre : le soleil et la nuit agissent pour nous, les fleurs sont notre gloire, les oiseaux parlent de nous, les plus grands artistes nous racontent et notre rêve est d'être digne de vous servir.

 

Dimanche 18 janvier

 

Au fonds, tout, absolument tout, peut être à la fois un moyen d'éveil ou un prétexte à rester dans l'obscurité. Je connais des ascètes plus installés dans leur ascèse que des bourgeois dans leur fauteuil. Je connais des alcooliques plus sages que dix mille végétariens.

 

Notre époque est par excellence l'époque de ce genre d'inversion. Les gens cherchent dans l'ésotérisme un réconfort et l'Église fait de l'idéologie. Des gourous partout se lèvent et s'organisent massivement pout jeter tout le monde en enfer. On n'a jamais parlé autant de liberté alors que du chef d'État à l'O.S., tout le monde est asservi, d'égalité, alors que les deux tiers de l'humanité crèvent de faim, qu'un tiers s'empiffre à devenir idiot et une petite minorité prend plaisir à dilapider à chaque instant pour son plaisir ce que d'autres accumulent par des milliers d'heures de travail dans les pires conditions.

Ce que je dois apprendre avant tout, c'est à cueillir en toute plénitude les fleurs de ce monde. Apprendre à m'aimer et à aimer le monde : les deux phases d'un même amour ; apprendre à danser, chanter, écrire le surgissement de la vie. Vivre l'anarchie purificatrice qui ramène tout à l'unité du jaillissement de la vie. Danser au rythme de la vibration cosmique, épanouir la pulpe de mon être. Il faut aussi apprendre à ne plus avoir peur de la violence venue de l'intérieur, venue de l'extérieur. La violence intérieure et extérieure nous casse, nous brise, casse et brise en nous ce qui doit être brisé.

 

Si nous avons su développer en nous ce qui dans son unité informelle est imbrisable, alors nous sommes vainqueurs, alors même que l'on nous tue. La peur de la violence en nous, qui surgit à un certain moment des profondeurs de nos gouffres intérieurs, est de celle qui émane de plus en plus des êtres qui forment la lie de l'humanité, cette peur que deviendra de plus en plus l'obsession majeure du plus grand nombre, montre simplement suivant son importance, si l'on est capable de boire la coupe jusqu'à la lie ou non.

 

19 janvier

 

Exposer l'idée que le monde moderne serait en lui-même initiatique, l'ésotérisme formel, c'est-à-dire le monde de la pulpe, serait lui-même en décomposition. Le monde des causes doit d'abord chuter pour que le monde des effets sa chute. Il n'y aurait plus d'initiation qui ne soit pas de contre initiation. Le seul chemin possible, ce serait de vivre le monde moderne avec toutes ses contradiction ces contradictions étant elles-mêmes initiatiques.

 

L'amour que prône Jésus-Christ prend alors une toute autre dimension. Non seulement aimer l'autre est finalement la seule chose irrécupérable que nous pouvons faire dans un monde qui détourne tout, mais l'amour de l'autre comme nous-mêmes, implique une compréhension de l'autre, une communication avec l'autre alors que plus que jamais nous nous opposons les uns aux autres. Cette recherche de la compréhension de l'autre, de chaque autre est en elle-même une ascèse hautement initiatique, car de quoi s'agit-il finalement dans toute initiation ; il s'agit de révéler l'individu à lui-même, en lui cassant ses habitudes et en lui faisant faire ce à quoi il est le plus opposé. L'initiation commence avant tout par la destruction de tous les petits conforts matériels et spirituels qui voilent la conscience. On a souvent dit que l'Évangile n'était jamais viable dans la pratique contrairement aux autres religions qui même lorsque c'est par des lois très dures, tentent d'aménager la vie courante. L'Évangile n'est pas viable dans la vie courante car son seul but est de nous donner une voie pour la dépasser. Jésus savait que la vie courante allait devenir de plus en plus un enfer; cet enfer, c'est l'homme qui le crée par sa vanité et son aveuglement et il est en même temps la condition de son éveil suprême : aimer l'autre, le comprendre, le prendre avec nous, le porter en nous comme on porte un enfant, et cela avec chaque autre qui survient et surtout le prochain, le samaritain, celui que notre idéologie rejette; voilà ce qu'il y a de plus difficile à faire à notre époque. Cela sous-entend un effritement progressif de tout confort intérieur et extérieur. Cela sous-entend devenir comme une cruche, vide comme celle de TAO TE KING. Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés : Jésus insiste, c'est cela son message, son unique message. Tendez la deuxième joue, voilà l'impossible qui rend tout possible.

 

20 janvier 

 

L'œuf de tous les possibles se polarise en une partie féminine, l'éthique et masculine, l'esprit, pour se manifester. Plus la manifestation se développe, plus la polarité augmente. Plus la polarité augmente, plus la vibration discursive augmente. Plus la vibration discursive augmente, plus tout ce qui est périphérique devient non viable. Plus tout ce qui est périphérique meurt, plus ce qui est du noyau est délectionné.

Ainsi le noyau se polarise pour se manifester et les deux pôles font l'amour de plus en plus intensément dans la manifestation jusqu'à l'orgasme d'où jaillit le germe. Le germe est à son tour noyau qui de nouveau se polarise. Le monde est ainsi une sorte d'immense orgasme qui n'arrête pas de se multiplier, d'exploser à l'infini. L'homme habituel est la semence de cet orgasme. A lui de se perdre en restant bêtement à l'état de graine ou de semence ou de grandir et de fleurir et de devenir ainsi celui par qui l'orgasme cosmique arrive.

 

L’infrahumain et le surhumain ne sont que des projections de l’homme. L’homme dans sa simplicité est le centre du monde, le centre de cet orgasme frénétique. Pour atteindre l’orgasme, om faut s’éveiller, sortir de son mauvais rêve, c’est tout. La religion l’ésotérisme, tout ce que peut inventer l’homme pour l’éveiller est ridicule par rapport à la simplicité de ce que l’homme à effectuer.

 

La première chose pour s'éveiller est de ne pas prendre au sérieux son rêve et tout ce qui s'y passe. L'homme non éveillé doit savoir que tout ce qui l'entoure, tout ce qu'il lit, tout ce qu'on lui dit, tout ce qu'il fait, cette phrase elle-même, tout ce qui lui arrive, est illusion et vanité. Il doit prendre toutes ces choses comme un défi, comprendre ce défi et saisir pourquoi c'est un mensonge. Pour comprendre ce mensonge, tout peut servir : devenir végétarien ou devenir alcoolique, entrer dans l'ordre religieux ou vivre dans la débauche, le confort comme l'inconfort. Il faut apprendre à jouer avec des contraires comme un musicien avec ses dix notes et créer une musique qui sonne nous-mêmes.

 

Pour dire la vérité, il faudrait que chaque mot soit en même temps son contraire. Alors une phrase serait aussi limpide ou obscure que la vie même. Mais qu'avons-nous besoin de cette vérité, puisque la vie elle-même nous la dit. Il suffit de naître à la vie.

 

Étudions plus précisément les moyens d'union du conscient avec l’inconscient : Il faut mener deux tâches contradictoires à la fois. Harmoniser le conscient, l'épurer, le sécuriser pour le mettre en position d'accepter l'inconscient, d'autre part, casser le conscient pour laisser surgir l'inconscient. Pour montrer à quel point les deux tâches sont contradictoires, il sera bon que l'individu s'arrête de fumer s'il a l'habitude et ce sera même la première chose à faire du point de vue, mais d'un autre côté, l'usage contrôlé de drogue sera bon d'un point de vue.

 

Quoi qu'il en soit, la première chose à acquérir est la forme physique. Que peut-on faire pour nettoyer le conscient, le préparer, le sécuriser ? C'est difficile car le conscient est à la fois le soignant et le malade. Autant dire que cela crée de terribles cercles vicieux.

 

Le conscient devra inventer des ruses pour se saisir sans que cela ne  tourne à la folie, ce qui est très difficile lorsque le conscient es déjà loin dans le raccordissement comme chez la plupart d'entre nous. Non seulement nous refoulons notre inconscient, mais en plus, notre conscient ne veut même pas prendre conscience de lui-même. Nous allons jusqu'à refouler ce qui en nous refoule.

 

Inutile de dire pourquoi la vie devient un enfer. Le conscient doit donc, petit à petit, apprendre à se demander pourquoi il fait telle ou telle chose, pourquoi il refuse ça : il doit se remettre en question pour pouvoir se rapprocher de lui-même. Dans cette remise en question, le conscient va voir toutes ses certitudes s'écrouler.

 

Cette première remise en question amène l'être qui l'effectue à une vie chaotique, souvent aux dépens de sa santé. Il risque de s'en sortir, il risque de se perdre : on n'a rien sans rien. Le conscient inventera de multiples bases a priori temporaires ; il pourra les détruire les unes après les autres. Ce n'est que par un long travail de destruction que le conscient peut détruire les fausses valeurs qui le font repousser l'inconscient. Ce n'est que par ce travail que l'individu peut apprendre à reconnaître et à détailler les vraies valeurs, qui, étant inexpugnables, n'ont absolument pas peur du monstre de l'inconscient. A mesure que le moi, le sur moi se sécurisent et se nettoient en appliquant ces vraies valeurs, il va être de plus en plus capable de découvrir son inconscient, de le révéler, de l'épouser et finalement de s'unir à lui.

 

Seul un homme qui a dépassé la scission conscient-inconscient, a découvert la plénitude d'un moi libéré du combat et par la-même en totale vacuité, est capable d'aimer les autres. Il faut que nous sachions que tant que nous n'avons pas atteint cet état qui est extrêmement difficile à atteindre totalement, vouloir dire la vérité, être bon, vouloir produire quelque chose de bon n'est que le produit de la vanité du sur moi et cherche ainsi des moyens pour mieux se démontrer à lui-même qu'il a raison et ainsi perpétuer sa scission avec l'inconscient.

 

Ce n'est cependant pas une raison pour faire le mal, mentir ou s'enlaidir. Nous devons savoir aussi que le dépassement de cette scission engage toute la vie et ne trouve son aboutissement que dans l'éternel présent qui est un état d'inconditionnalité totale ou tout, absolument tout devient possible.

Il ne s'agit donc pas de s'arrêter en chemin à un stade ou à un autre pour profiter de ce qu'il nous apporte et nous endormir à nouveau. Il y a de multiples stades entre l'état de mort et de vie absolue. A chaque stade, nous prenons conscience de l'opposition conscient et inconscient à un degré différent. La première chose est, comme je l'ai dit de dépasser l'état d'inconscience de son moi, de nous apercevoir que le conscient refoule, de découvrir les vraies valeurs. La connaissance des vraies valeurs constitue la connaissance de la vérité. Cette vérité n'est nul part exprimée dans sa simplicité. Chacun doit la découvrir au plus profond de son cœur en remettant en question par une remise en question expérimentale des fausses valeurs. Une fois qu'il connait les vraies valeurs, il lui faut les mettre en pratique pour se nettoyer, ranger, sécuriser son conscient. Une fois que ces vraies valeurs ont cessé d'être seulement une connaissance, mais sont amenées dans le corps, l'ont purifié, tonifié, une fois que la connaissance a cessé d'être quelque chose d'extérieur à l'être et de devenir intérieure, l'homme peut alors commencer à casser le monde formel, la réalité qui correspond au sur moi, et à découvrir le monde fluide de l'inconscient. Mais le monde de puissance immense qu'il va découvrir en atteignant richesse du monde fluide qui correspond à la pulpe est encore illusion. Le monde fluide de la pulpe est encore un monde formel, même si ce monde est insaisissable pour l'homme de l'illusion. La source ultime de la vie et son aboutissement n'est pas dans le monde de la pulpe, aussi riche soit-il. L'aboutissement ultime est l'état d'inconditionnalité totale. Au-delà de Dieu, au centre de l'orgasme effréné de l'éther et de l'esprit dont les mondes ne sont que la semence. Ce point est à la fois l'aboutissement et le commencement de tout. Mais du point de vue du monde, il est le zéro absolu. La manifestation entière et négative en face de lui, il est en quelque sorte le tréfonds de l'inconscient que seul connaît celui qui est totalement conscient.

 

Ce qu'il faut saisir clairement, c'est que plus la manifestation se développe, plus les contradictions apparaissent ; plus les contradictions apparaissent, plus l'homme a tendance à chercher la sécurité ; plus il cherche la sécurité, plus il tend à rejeter la réalité pour ne s'accrocher à des symboles ; plus il développe des symboles , plus le sur moi intérieur et extérieur devient paranoïaque et oppressif. Dans la mesure où la majorité des hommes préfèrent de beaucoup se laisser aller que d'essayer par tous les moyens de revenir au centre d'eux-mêmes, et par là même au centre de l'univers, au-delà de toute idéologie, religion ou dogme, dans cette mesure exacte, nous allons irrémédiablement, que la politique soit de droite ou de gauche vers un état de rassemblement autoritaire autour d'un état paranoïaque et par là-même destructeur.

 

Mon ultime liberté sera de partir sans rien sous le soleil étoilé pour me confier à la lune.

 

Hier soir, à un moment donné, je me suis demandé pourquoi ne pas partir sans rien sur les routes, arrêter systématiquement ces ultimes alibis à ne pas vivre que sont la peinture et le fait d'écrire. Je me voyais déjà errant dans les magnifiques paysages du Massif Central et de tous les coins du monde, sans passeport bien sûr, totalement abandonné à la providence. Pourquoi ne pas partir tout de suite, là ?

Il y avait de l'hésitation et la tentation de me plonger dans le gouffre, quelque chose de magnifique, une sorte d'immense chaleur au fond de moi. Et c'est cette sorte d'excitation intérieure, de passion, qui m'a mis la puce à l'oreille : j'ai pensé à la tentation de Satan devant Jésus-Christ : " Saute dans ce gouffre, les anges te sauveront" Il réplique : "Tu ne tenteras pas le Seigneur, ton Dieu".

 

La tentation de sauter dans le gouffre est toujours euphorisante, donne l'impression de sainteté intérieure, mais elle sous-entend finalement un faux détachement : l'homme qui saute, a peur, terriblement peur? C'est de cette peur, que naît son exaltation intérieure et en même temps, en se jetant dans le gouffre, il abandonne le vrai combat puisqu'il dit en gros : "adieu, je me jette, à Toi de me sauver".

Il tente le Seigneur car c'est le petit moi qui crève de peur en sautant qui demande à être sauvé et abandonne son chemin de croix pour aller se précipiter dans le vide et le Seigneur, dans sa très grande sagesse, résistera à la tentation. Le petit moi ira s'écraser au bas de la falaise et l'inconscient se dissoudra avant d'avoir connu un autre monde que le monde fantasmagorique du petit moi.

 

Cette tentation vient en troisième dans l'Évangile car c'est vraiment la plus diabolique. Elle peut être la plus difficile à repousser car alors la tentation prend une certaine couleur de sainteté.

« Doute-toi de l'amour du Père, allez, vas-y, abandonne-toi, si tu t'abandonnes". Dieu, dans sa très grande puissance, te sauvera ». Satan joue sur la mauvaise conscience de l'individu en inversant les termes il sous-entend : "Si tu ne te jettes pas dans le gouffre, c'est que tu ne crois pas au Père".

 

Hier j'avais tendance à penser cela lorsque je refusais de partir : « alors, jette-toi, jette-toi ». En fait, c’est parce que je connais l’amour qui émane de tout que je ne me jette pas dans le gouffre. En me jetant dans le gouffre, j'inverse les rôles et met au défi l'amour de Dieu. Quelle suprême vanité ! C'est l'amour de Dieu qui es un défi à mon amour et inverser les rôles, c'est réellement être satanique.

 

Dans l'histoire de pouvoir, le summum de l’initiation consiste à se jeter dans le gouffre : le gouffre physique d'une falaise, le gouffre spirituel du Noyhol. 

 

Mais l'homme alors s'y jette en pleine connaissance de cause. Ce n'est nullement un défi à Dieu qu'il lance, ce n'est que grâce à sa propre puissance qu'il se sauve. Loin de se laisser aller à Dieu, c'est un défi à soi-même, défi totalement contrôlé, longuement préparé, afin que l'individu ait tout pour gagner. C'est cette longue préparation qui rend libre l'individu dans l’épreuve ; alors il est absolument responsable de sa victoire ou de sa perte. Lorsque nous nous jetons dans le gouffre, sans y être préparé, loin de tenter l’amour de Dieu qui, de toute façon, ne lèvera pas le petit doigt pour attenter à notre liberté en nous sauvant, nous tentons Satan qui, lui, est capable de nous sauver au prix de notre âme. Il ne s'agit pas de se jeter dans le gouffre sans y être préparé, il s'agit par contre de constamment s'y préparer pour l'assumer. Le gouffre de tous les gouffres c'est la mort, le suicide, c'est la tentation du gouffre. Lorsque j'ai voulu quitter l'école à Pâques 74, c'était la tentation du gouffre car en fait, il n'était pas encore temps. Quand il a été temps, je me suis jeté sans exaltation, sans peur, avec toutes les armes pour combattre, responsable.

 

De même, cette idée de tout quitter, de partir, quitter comme de vie les chemises ces illusions de liberté que je trouve en écrivant et en peignant. Cette illusion qui m'étreint plus que tout autre consiste à vouloir dire leur mort aux morts en leur montrant la vie par des objets morts que sont un livre ou un tableau. Je m’épuise à cette tâche au lieu de naître réellement moi à la vie ! L'ultime confort : pressentir la vie et passer son temps à en parler ou à la peindre au lieu de la vivre, l'ultime vanité aussi qui empêche de pénétrer réellement cette vie, qui déchire l'individu, le rend de plus en plus esclave de son mode d'expression, l'accroche à son stylo, à ses pinceaux comme un bagnard à son boulet, transforme cet être d'amour qu'est l'artiste en un grand égoïste.

 

Après tout, si nous n'aimions pas la musique, la peinture, la littérature, peut-être serions-nous infiniment plus capables d'aller à la source, de nous fondre à elle au lieu de rester là à nous abreuver à la bouche d'un autre. L'artiste est le messager des dieux mais une sorte de messager dégénéré, une sorte de borgne au royaume des aveugles et encore je parle des vrais artistes, Picasso, Rembrandt, Léonard de Vinci.

 

Car l'infra humain, dans notre monde inversé, finit par être considéré comme artistique. L'Art, s'il est le médiateur, est finalement l’ultime confort aussi bien pour l'artiste que pour celui qui le reçoit.

 

Évidemment, il y a en lui une puissance qui n'est pas seulement confortable comme dans la plupart des objets de consommation et cela dans la mesure exacte où il est plus près du centre de gravité universelle. Mais que de gens tout près de ce centre préfèrent se délecter de symboles ou créer eux-mêmes que d'accepter d'abandonner leur petit moi avide de sensations et atteindre la lumière elle-même. 

 

L'Art n'est bénéfique que dans la mesure où, loin d'être une fin en soi, il est un défi. Il ne s'agit pas de se dire : je ne serai jamais Rimbaud, Picasso, Léonard de Vinci, il s'agit de recevoir le message comme un défi à l'intérieur de nous pour dépasser la personnalité anecdotique de l'artiste et atteindre la source de son inspiration. Les plus grands artistes ne sont que de pâles reflets de ce que nous sommes amenés à devenir. Les voix qui nous appellent à travers l'art de tous les temps ne sont pas celles des artistes en eux-mêmes, mais les voix de ceux qui dépassant l'art, la science et la religion, sont les joyaux de ce monde.

 

Si nous avions des yeux pour voir, nous nous apercevrions que toute la manifestation n'est qu'un vaste orchestre sur lequel ils dansent. Ils n'ont que faire de parler, de diriger, de faire de l’art ; le contenu de l'art de tous les temps n'est qu'un reflet de l'œuvre d'art absolue que constitue chacun dans son harmonie à l'univers. Nous sommes tous appelés à nous éveiller et à devenir nous-mêmes la mesure de cet orgasme cosmique. L'art est un défi à atteindre ce noyau central où l'art cesse de s'opposer au monde. Les artistes meurent de la vanité de revendiquer en propre leur message. Les plus grands artistes savent qu'ils ne font que clouer une vérité qui est présente à chaque instant dans la vie et l'homme de l'illusion par une inversion burlesque, essaye de trouver dans l'art ce qui s'offre à chaque instant de la vie.

 

C'est là le côté narcissique et néfaste de l'art. D'un autre côté, l'homme de l'illusion est tellement loin de la vraie vie que l'art peut avoir l'effet bénéfique d'un bon verre d'eau fraîche. L'art est souvent un moyen que trouve le conscient pour récupérer ce qu'il a acquis à certains moments où il s'est oublié.

 

Le conscient, dit-on alors, a son propre compte qui le dépasse. Il se gonfle de cela même qu'il ne lui appartient pas jusqu'au jour où il éclate. Si beaucoup d'artistes deviennent fous, c'est uniquement par que leur conscient, au lieu d'abdiquer, abdiquer purement et simplement revendique encore cela même qu'il est absolument incapable de soutenir. Le Conscient veut profiter de la connaissance que l'artiste acquiert certains moments, où il s'ouvre à sa personne. Il veut à tout prix transmettre, il veut absolument en parler. A la limite, le conscient se dit qu'ainsi il connaîtra la gloire, la richesse, ce qui est encore pire car non seulement le conscient s'empare de ce qui ne lui appartient pas, mais pousse l'individu à s'éloigner de la source même de son inspiration en se perdant dans la recherche de confort, de biens matériels.

 

Bien sûr, l'artiste n'est comme cela que dans le monde dégénéré dans lequel nous vivons. L'artiste primordial sait qu'il est totalement anonyme, qu'il n'est que messager. Tels sont aussi les hommes qui après s'être fondus à la source, se manifestent à nouveau comme artistes.

 

Le fondement de notre culture émane souvent de tels artistes. Leur art n'est pas inspiré comme celui de nos artistes modernes. Car loin de devoir s'inspirer, ils sont fondus à la source de toute inspiration. Ils bâtissent leur œuvre avec autant de désinvolture que s’il s'agissait d'un jeu. Ce qu'ils laissent, leur tâche finie, ce qui été pour eux qu’une dernière mort avant le grand jour, constitué pour nous malheureux, le sel de notre existence.

 

Or il me semble qu'il va bientôt venir un temps où même ce sel sera devenu insipide. Peut-être l'est-il déjà dans une grande mesure. Il n’y a pas plus maudit que ces pauvres inspirés modernes qui s'attachent artistiquement à la forme.

 

Bien au contraire, il s'agit de remonter envers et contre la dégénérescence de toute forme à la source de la vie, Le totalitarisme, qu'il reste à notre droite comme à notre gauche.

 

La troisième guerre mondiale donnera toutes puissances à l'un des deux pour rassembler en une parodie d'unité l'humanité qu'il se complaît à rouler dans sa propre merde. Le monde s'achemine comme un mécanisme bien huilé, vers cette parodie de l'ordre que sera l'ultime aboutissement du désordre, le point zéro, où totalement rendu à lui-même, il s'effondrera pour un temps dans son propre néant. En temps de dégénérescence, tout accord formel participe de la merde. Seule la source informelle dont jaillit toute forme est inexprimable. C'est là que les vivants, au-delà de toute organisation formelle, se retrouvent. En eux est le germe insaisissable d'un nouveau temps. Il sera la semence de leur orgasme et leur orgasme c'est maintenant, cet instant éternellement.

 

22 janvier

 

La manifestation toute entière ne peut avoir lieu que dès lors que zéro, l'œuvre de tous les possibles, se polarise en 1 et 2.

Mais la manifestation ainsi virtuellement créée est parfaite. Car 1 2 en font qu'un en 3. L'esprit 1 est l'époux parfait de l'épouse parfaite qu'ils étaient à deux. Tous deux assument chacun leur rôle particulier dans la plénitude de la complémentarité en 3. Ils forment la source informelle zéro dont émane toute forme. Le monde formel n'apparait que dès que 3 se polarise en 4, énergie, et 5, volonté. L'énergie est la matière, matrice primordiale de toute chose de ce fonds ultime que la science moderne est en train d'atteindre. L'énergie est puissance de tout, est toute puissance. Tout ce qui est manifesté surgit d'elle, et reviendra à elle.

 

Volonté est au contraire l'impulsion directrice qui en s'unissant à la puissance indifférenciée d'énergie va en développer les virtualités infinies.

 

4 février (suite) 

 

J'ai longtemps haï toute formalité parce que, autour de moi, on tentait de me contraindre à des formules qui m'ont toujours parue grossières en tant qu'elles voilaient les profondeurs par une clarté de pacotille.

 

On m'a toujours accusé d'être vague, de mal formuler. J'ai toujours trouvé que ceux-là qui m'accusaient, formulaient peut-être, mais n'avaient rien à dire.

 

Cette haine des multiples formules de Prisunic, leur agressivité, a failli me faire rejeter finalement tout essai de formulation quelque qu’elle soit.

 

Cependant, dans la mesure exacte où nous sommes formels, il faut petit à petit travailler notre matière, La Matière, pour la rendre transparente à ce que nous pressentons comme étant son essence. Seule cette transparence, qui ne peut être acquise que par un long travail formel, peut nous libérer de la nécessité de cette dernière. Ce travail peut consister à façonner une œuvre, mais en dernier lieu il consiste à nous façonner nous-mêmes.

 

Dans les deux cas, le produit manifesté aussi magnifique soit-il, surtout s'il est magnifique, est totalement insignifiant en face de l'absolution auquel aboutit un travail authentique. Matière, la forme est le moyen unique de ce travail, même si pour le plus grand nombre elle est l'obstacle éternel.

 

Jeudi 11 mars

 

L'intoxication physique par absorption de drogue, café, thé, tabac, alcool, hallucinogènes, n'apparaît que lorsque l'individu est intoxiqué psychologiquement par des contraintes et un travail qui l'éloignent du vécu de l'instant présent. Les drogues physiques servent alors à raser les préoccupations et intoxications psychologiques, à se libérer, retrouver le présent. Ainsi une société qui organise une intoxication psychologique, organise l'intoxication physique qui apparaît alors comme une bienfaitrice, libératrice. Fausse liberté car l'utilisation de drogues physiques, parallèlement à la libération à cours terme qu'elles permettent, rongent à long terme le corps, la volonté et l'énergie, enchaînant plus que jamais l'individu à la société qui l'entoure et par là-même à l'intoxication psychologique qu'elle se crée.

 

Le mal doit être pris à la racine ; l'intoxication psychologique de habitudes, soucis, travaux idiots auxquels est contrainte la société moderne doit être supprimée petit à petit et nous devons nous désintoxiquer psychologiquement.

 

Il faut trouver un moyen de gagner un minimum vital par un travail enrichissant et sans préoccupations idiotes, plutôt que beaucoup avec tout ce que cela comporte de contraintes et soucis complètement idiots, et refuser petit à petit systématiquement toute préoccupation, habitude, travail, sauf ceux qui participent de l'amoureux travail de la substance, vers la conscience de l'orgasme du dynamisme universel.

 

A partir du moment où l'individu a mis en marche ce travail de désintoxication psychologique, les drogues physiques peuvent être des adjuvent précieux pour faire sauter le gros déblocage dû à l'intoxication psychologique; cependant, si la désintoxication psychologique est effective et authentique, l'individu doit ressentir de plus en plus clairement le clinquant de pacotille de la présence que produit la drogue physique et petit à petit les délaisser comme des cannes pour enfants handicapés.

 

Samedi 13 mars

 

Il y en a qui doivent apprendre l'efficacité par l'action, d'autres qui étant efficaces, se complaisent dans l'action superficielle et il faut les inviter à une connaissance plus profonde. Certains goûtent à la profondeur du monde, mais leur inefficacité dans l'action les déséquilibre, les empêche de sourire à l'orgasme de l'univers. D'autres goûtent au plaisir de l'efficacité dans l'action mais un manque de connaissance des profondeurs les enferme dans des plaisirs superficiels. Ceux des profondeurs doivent remonter et agir, organiser et construire pour apprendre l'efficacité. Ceux de l'efficacité doivent faire sauter leur superficialité, s'enfoncer, faire surgir ce que leur efficacité même refoule.

 

Sur l’écorce règne ceux d’une profondeur déséquilibrante ceux d’une efficacité autodestructrice.

 

Pourquoi ? Parce que plus on s'enfonce dans les profondeurs, plus il est difficile d'extérioriser ces profondeurs et d'agir conséquemment à ce que l'on a connu.

 

Ainsi l'homme des profondeurs a tendance à se refermer sur son monde se couper de la vie réelle, s'enfermer dans la recherche artistique philosophique ou scientifique, transmettant sa profondeur à travers des formes tellement sophistiquées qu'elles ne peuvent plus toucher que celui qui est atteint du même déséquilibre que lui. Il se momifie dans l'abstraction pour tout le temps d'une vie, qui est souvent aussi long que sa mort.

 

Pour l'homme efficace, c'est le phénomène inverse : l'efficacité même dont il jouit dans la vie réelle, la réussite, lui fait refuser systématiquement, par peur de perdre cette efficacité, toute remise en question; sans s'en rendre compte, il met alors son efficacité au service des plus grossiers mécanismes d'autodestructions, à l'intérieur de lui et dans la société.

 

L'homme des profondeurs inefficace et celui de l'efficacité superficielle règne sur tous les autres hommes de l'écorce qui sont à la fois inefficaces et superficiels. Le premier type d'hommes donne de grands penseurs de l’humanité ; le deuxième, les grands hommes d'action.

 

Ils sont en quelque sorte les borgnes dans ce monde d'aveugles.

 

Dans les mesures exactes où les hommes de l'efficacité se remettent de moins en moins en question et mettent à la légère leur efficacité au service des mécanismes de l'autodestruction et que d'autre part les hommes des profondeurs s'enfoncent dans des productions de plus en plus sophistiquées et desséchées, les hommes de l'écorce sont en train d'allumer leur bûcher.

 

14 mars

 

La manifestation, l'action quelque qu’elle soit, cesse d’être réactive, négative, dès l'instant où l'on se détache de son produit extérieur pour ne saisir cette manifestation que comme le moyen d'un assouplissement intérieur.

 

L'efficacité demande en effet la vacuité de la présence tandis qu'au présent, tout est là, et le produit de l'efficacité n'ajoute rien à rien. Il n'y a que nous, enfermés dans les carcans de nos illusions et de la vanité, de nos faux problèmes et de nos jouissances de pacotille, qui ne sommes pas là.

La manifestation, l'action, ne sont que des moyens pour casser ces carcans et découvrir le présent.

 

La continuité du temps et de l'espace cesse alors de nous enfermer dans la contrainte de son illusion. Nous voici sur Vénus, demain je serai dans une autre galaxie ; cet arbre m'irrigue que de sa sève, le soleil irradie mon plexus, la lune me baigne de sa laiteuse puissance. Il est midi à l'horloge arrêtée et voici qu'il est Samedi à Paris tandis que je me promène au bord de la mer à l'aurore d'un jour inconnu, diaphane transparente de mon corps : il suffit de le transporter et il explose en tous sens. La conscience participe au bourgeonnement des milliards d'arbres, dans des milliards de galaxies, des milliards de temps et des milliards d'espaces différents ? Tout grandit, jaillit, se transforme, explose, revient, s'unit dans la conscience de l'orgasme universel : semence lactée des mondes en tourbillon, blancheur éblouissante de la virginité de l’éther, puissance fulgurante de la conscience de l’esprit.

 

 

Les mondes peuplent la terre ; les rêves idéaux qui s'envolent en tourbillon noirs dans les édens de pacotille.

 

Mais déjà tout est là au présent ; il suffit de quitter ses vêtements d'enlever ses chaussures, alors la scène de l'univers s'ouvre et le grand opéra du monde commence : les chevaux volent en multitude et nous emportent partout en même temps. Nous sommes traversés de mille fils lumineux qui irradient l'incandescence orgasmique de l'univers. Nous jouons avec eux comme avec des lianes pour passer d'arbre en arbre, de monde en monde, d'espace en espace. Cela explose comme un rire fou, un jeu continuel ; les yeux deviennent de vastes océans où l’on se baigne, mais les océans sont des regards éternels jetés vers le ciel.

 

Il est temps d'un nouveau temps, l'humanité crucifiée sera ressuscitée dans son corps de lumière. Le figuier est mûr et son fruit le plus pulpeux s'ouvre. Heureux ceux qui le goûteront pleinement, malheureux ceux qui y mordront sans faire attention car elle fera exploser la terre.

 

Dimanche 14 mars (suite)

 

L'œuvre consiste à donner à la substance la transparence de la conscience et à la conscience la profondeur de la substance. Ainsi de toute éternité, l'esprit et l'éther s'unissent ; ainsi nous deux) nous gravissons l'échelle entre le corps et l'esprit et devenons nous-mêmes médiateurs.

 

De semence inconsciente enfermée dans l'écorce, nous sommes appelés à œuvrer dans la plénitude de la pulpe pour enfin naître à la conscience du noyau.

 

Nous avons chacun une œuvre à effectuer, un témoignage à porter : celui de notre vie.

 

La scission entre le monde intérieur et le monde extérieur est une illusion. 

 

La conscience de la substance et la substance de la conscience sont unies. A la conscience de l'écorce correspond la substance de l'écorce, le corps. A une conscience de la pulpe correspond la substance de la pulpe, l'âme. A la conscience du noyau correspond la substance du noyau, l'esprit.

 

Lorsqu’intérieurement, nous nous assouplissons à voir le monde extérieur s’ouvre sur de nouvelles possibilités, lorsqu’intérieurement nous sommes bons, beaux et vrais, le monde extérieur nous enveloppe de bonté, beauté, vérité. Ainsi chaque instant de la vie quotidienne devient un livre ouvert où nous lisons en toute clarté la vérité éternelle : une harmonie fabuleuse qui bat au rythme de notre cœur alimente l'orgasme d'amour.

 

A chacun de choisir ; le présent est un enfer pour ceux qui s'enchainent, un paradis pour ceux qui s'assouplissent, s'ouvrent et se libèrent. Celui qui s'enchaine devient rigide et cassant comme du bois sec : il sera jeté au feu. Celui qui se libère devient souple, créateur et léger et ainsi il peut s'envoler dans les airs.

La laideur, la méchanceté et les mensonges des autres ne nous touchent que dans l'exacte mesure où nous sommes nous-mêmes mauvais, laids et mensongers. Tout le mal que peut faire l'homme n'est qu’une larme dans l'océan de bonté universelle. Le mal n'est qu'une impuissance chronique, un néant dans le néant.

 

Le bien s'éxpanse dans l'orgasme infini de l'être universel. Participer à la destruction, c'est participer à son autodestruction ; tuer l’autre, c'est être déjà mort soi-même, tromper les autres, c'est se tromper soi-même, et inversement, s'autodétruire, se tuer, se tromper c'est détruire, tuer, tromper les autres.

 

Nous sommes le seul responsable de notre mort : l'homme rigide n'a de cesse que d'avoir plus d'argent afin de pouvoir se conforter dans ses habitudes, l'homme souple d'être plus pauvre afin de cesser de compter.

 

Samedi 3 avril

 

J'étais dans un endroit très tranquille, peuplé d'arbres noirs, qui viraient au rouge. Derrière les collines glissaient les nuages aux arborescences vertes. Le tout était échelonné en coteaux multicolores. La terre avait un goût de genièvre, le temps était tranquille, des licornes montées par de jeunes enfants nus, enfonçaient leurs cornes dans les collines.

 

De temps à autre, un chat traversait la scène.

Des jeunes femmes nues éclairaient de leurs seins la moiteur de leur pubis. Un jeune homme assis par terre, tenait un verre entre ses deux mains. Elles s'élevaient dans le ciel et s'enfonçaient en lui.

 

Autour couraient des femmes ; leurs seins étaient comme la houle et leur sexe et leurs lèvres formaient une croix de rougeur dont pleuvait la nuit du ciel.

 

Cela dura longtemps puis on apporta des verres et chacun but la lie d'incandescence.

 

Quelle importance ?

 

Le disque déroule son ellipse en dévoilant les notes insalubres de ma mort. Je suis la réincarnation de Jésus-Christ et le bouddha est un de mes rêves anciens.

 

Mais finalement, quelle importance devant l'oscillation divinatoire de la tête du cobra ? Les nébuleuses des étoiles animent le rythme de mes rêves, la terre coule en moi, l'eau ravage les profondeurs et l'été rallume mon cœur de brûlures salées. Cela fait des mélanges qui ressemblent à quelque drogue ancienne et je ne sais plus en quoi je rêve et en quoi je suis éveillé.

 

Des visages ravagent mes rivages. Je ne sais que faire devant cet inconnu au charme destructeur : tout l'or me coule entre les doigts d'une fluidité universelle et lorsque je veux retenir, cela me dévore les doigts et ronge mon cœur

.

Alors jaillissons partout vers les horizons, sans valise et sans passion. Mais je ne sais comment faire et quel moyen de transport employer.

 

Te voilà sacrée magicienne du sabbat sacré de mon cœur. C'est comme si j'étais planté sur ton sein gauche et devais souffrir par un affreux sortilège, la cascade de tes rêves sur les rochers noirs de la vie.

 

Il y a des êtres dont le cœur ressemble trop au mien pour que des éclairs immatériels en jaillissent et me foudroient même à l'insu de ceux-là qui en sont les porteurs. Que je sois incapable de vaincre : désir frénétique de me fondre alors à l'autre et que l'autre soit incapable de comprendre l'élan qui n'étreint, se pose comme une évidence aussi douloureuse que de s'écraser le nez sur une baie vitrée. Le jeu de glace multiplie le supplice à l'infini. Car tandis que je m'écrase le nez sur ton moi, image reflet, tu es dans le même instant en train de t'écraser le nez sur l'envers.

 

Dimanche 28 mars

 

C'est comme si petit à petit, tout s'écoulait en noir, comme du sang vieilli qui sortirait d'un arbre sombre. Il y a tellement de temps que je sonde ce gouffre.

 

Cela ravage mes entrailles et serre ma poitrine comme un sanglot. Je suis seul dans un champ aride, peuplé de vierges aux seins écarlates.

 

J'aurais aimé avoir une compagne, mais seul je suis poussé par une épée dans le rein : cela vire au violet et je me repens le disperser : dans une infinité d'émotions sentimentales.

 

Des arbres poussent partout, me remplissent, me transpercent, me défigurent : un foisonnement végétatif, une putréfaction féconde.

 

Je meurs tendrement ; mon cœur bat à rebours du temps : j'ai du mal à rester dans non corps, à jaillir dans tous les sens comme je n'arriverai pas à trouver autant d'amour déchirant qui marque mon cœur au fer rouge que cette vie s'écoule comme autant de visages qui me défigurent.

 

Les noms ont peu d'importance sinon par leur résonnance translucide Je suis ensorcelé à un amour qui me donnerait des coups de couteau par tout le corps et cela ferait des fontaines de sang, du sang qui coule à flot mélangé à de l'eau dans des océans de rêve.

 

Je chavire et s'accroche désespérément à celui ou à celle qui voient dissoudre le reste de la terre noire de mes illusions ; et celui-là ou celle-là secoue son bras pour se débarrasser de cette épave gluante. Alors il ne me reste plus que le flux noir des marées de l'océan furieux de mon sang. Cela forme des limbes où tourbillonnent des amazones qui bandent des arcs aux flèches à serrer dans mon cœur et la cible, des crépitements de grêle sur le macadam, du coca-cola mousser à la barbe à papa, des jarretelles sur des jambes d'adolescentes aux frénétiques rêves.

 

Et hier soir, j'étais dans mon lit et j'avais soif. Je me suis alors transformé en un verre dans lequel on versait de l'eau. Puis, je suis devenu celui qui avait versé de l’eau ; j'ai saisi le verre et je me suis désaltéré : cela m'a paru bizarre et j'ai recommencé. C'est extrêmement agréable d'être un verre dans lequel on verse de l'eau, merveilleux de devenir ensuite celui qui l'a versée et de boire ainsi cette eau. Quand j’ai fait cela, je n’étais pas encore endormi, c’était juste avant de m’endormir, lorsque j’ai été désaltéré de ces deux verres d’eau, je me suis endormi.

 

La conscience de l'esprit, l'orgasme de l'âme, la substance du corps. La conscience doit travailler la substance, le corps s'ouvrire à l'esprit, l'esprit pénétrer le corps pour petit à petit s'éveiller, naître à l'orgasme de la conscience, substance universelle de l'âme.

 

 
















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