Je reviens sur les termes de cette crucifixion en tant qu'ascèse. Le chemin de croix de cette crucifixion, bien qu'elle soit unique, est pour chacun de nous, différent car nous sommes chacun perdu à un point différent de la circonférence.
Nous avons choisi chacun, pour nous enfoncer, des pôles différents parmi les multiples contradictions de ce monde. Le chemin de retour vers la maison du père ne peut donc se faire que dans la solitude. Chacun de nos frères a infiniment à nous donner dans sa différence en tant qu'il nous remet en question et fait surgir la contradiction dont nous avions oublié un des pôles et est terriblement dangereux dans la mesure où il nous comprend. En fait, il faut aimer nos ennemis plus que nos amis car nos amis nous tuent et nos ennemis nous donnent la vie. Dans le monde formel, il ne saurait y avoir d'accord sinon mortel. Il n'y a de communion qu'au centre dans la maison du père. L'union, la communion, tout, tant que l'on n'a pas atteint ce centre, doit être vécu uniquement symboliquement Dès l'instant où elle se fait autour d'une idéologie, d'un but commun, elle devient au niveau spirituel négative, elle devient un confort comme si on était déjà arrivé.
Faut-il le rappeler ? Ce que nous appelons la communion est symbolisé avant tout par la mort du Christ. La distribution du pain est notre éparpillement. Nous ne communions justement que par la pleine conscience de cet éparpillement, dislocation du corps christique. Jésus ne nous laisse aucune idéologie autour de laquelle nous rassembler.
Constamment, au contraire, il réhabilite celui que l'on rejette idéologiquement : la prostituée, le samaritain, le dernier. Il rejet te ceux qui appliquent l'idéologie : le pharisien, le premier, etc…
Par la parabole du bon samaritain, il nous montre que notre prochain est celui qui est idéologiquement le plus éloigné de nous : celui qui nous recevra, c'est le samaritain et non le pharisien, si nous sommes de droite, c'est celui qui est à gauche, et si nous sommes à gauche, il est à droite ; et si nous sommes l'intellectuel perdu dans les nuées, celui qui fait un avec la terre. Mais en aucun cas, ce ne sera le chef de l'idéologie que nous suivons : lui nous perd si nous ne laissons pas les autres nous sauver.
L'Église Catholique, je veux dire celle qui se montre aux yeux de tous, n'est que le reflet formel, et par là même déformé, du corps christique insaisissable que constituent ceux qui ont effectué une mise en croix authentique : ils nous attendent dans la joie au-delà de toutes les institutions, associations, sociétés formelles au centre de la maison du père qui est informelle. Seule notre idolâtrie de la forme nous empêche de les voir car ils sont aussi mêlés à notre vie de tous les jours que l'air que nous respirons.
Nous ne sommes loin d'eux que par notre laisser-aller, notre bonne conscience, notre confort. Malgré cela, plus que jamais, nous cherchons et tombons dans le confort idéologique et matériel. Nous nous y agrippons paranoïaquement, jetant de l'huile sur l'enfer. Nous préférons tuer l'autre, celui qui est différent, celui qui s'oppose plutôt que de le laisser nous réveiller et nous donner le pôle qui nous manque et qui, synthétisé avec le nôtre, nous fera dépasser la contradiction. La véritable force diabolique, c'est celle qui nous fait rester sur notre position paranoïaque, qui nous fait sentir comme agression le jaillissement même de la vie, nous faisant voir Satan alors que c'est Lucifer, le porteur de lumière qui vient à nous. Nous sommes à la fin d'un cycle : plus que jamais, l'arbre de la vie est luxuriant et nous appelle. Plus que jamais, nous chutons en voulant goûter à l’arbre de la connaissance du bien et du mal.
La connaissance qui coupe en deux le monde, le disperse. Le fruit nous fait chuter parce qu'il pose un faux problème dont la résolution obligatoirement fausse nous éloigne de la source de la vie. L'homme à travers les multiples idéologies qui se développent à l'heure actuelle, n'a jamais autant cru arriver à la connaissance du bien et du mal que maintenant et pourtant le monde n'a jamais été aussi proche de sa fin.
Celui qui dit ceci est mal et ceci est bien, celui-là chute car il goûte à la connaissance du fruit du bien et du mal. Le mal, c'est notre terrible aveuglement qui nous fait confondre l'arbre de vie avec l'arbre de la connaissance du bien et du mal. Le bien, c'est quand, au-delà de toute idéologie du bien et du mal, nous accédons à la source de la vie et arrêtons d'obscurcir l'homme par nos religions. Mais le bien, c'est aussi le jaillissement effréné de la vie par le développement de toutes nos illusions qui sont autant de possibles de Dieu.
Le mal, c'est aussi celui qui arrête le jaillissement effréné de toutes les illusions, qui glorifient, chacune, une facette de Dieu.
En vérité, il n'y a qu'un monde. Pour les morts, ce monde n'est que contradiction, putréfaction et ténèbres. Ils sont rongés par le ver de la connaissance et il leur faut apprendre la vie par ce ver, gagner leur pain à la sueur de leur front.
Pour les vivants, ce monde est une immense symphonie et tous sont dans la jubilation. Les morts doivent cesser de s'enterrer dans leur confort ; la bêtise, le parti pris, ils s'exténuent à rejeter la lumière en nommant Satan et par là-même, goûtent orgueilleusement aux fruits de l'arbre de la connaissance au lieu de laisser pousser en eux l'arbre de la vie. L'homme primordial est le fruit de la connaissance du bien et du mal. L'homme qui mange ce fruit au lieu de le laisser pousser en lui, chute, meurt tout simplement parce qu'il se dévore lui-même. Nous n'avons pas à juger du bien et du mal tant que nous sommes loin du centre. Et pourtant, nous avons besoin de juger du bien et du mal que tant que nous ne sommes pas au centre. Car au centre, tout est bien.
En vérité, ce qui est bon pour nous, c’est tout ce que nous rejetons et ce qui nous semble mauvais. A la fois apprendre ce qui est à faire et à aimer ce que nous rejetons. Le Christ est insaisissable parce qu'l n'est absolument rien qu'il n'est aimé. Il a aimé chaque homme et chaque femme, les vivants et les morts, la lumière que donnent les morts aux vivants, l'obscurité dans laquelle restent les vivants pour les morts. Il a tout aimé parce qu'il a tout vécu et par là-même, a tout fait. Dès l'instant où je deviens réellement créateur, je m'aperçois que ce que je construis ainsi est en absolue harmonie avec le monde.
Le monde se crée à mon image et je me crée à l'image du monde. Au fond de moi, il y a Dieu et au fond du monde, il y a Dieu : tout est harmonie par Dieu ; il n'y a qu'à jouir : Dieu jouit, le monde jouit, je jouis. Il n'y a que les morts pour ne pas voir ça. Ils sont la semence que produit cette jouissance déposée dans la terre pour devenir en florissant le lieu de la jouissance à venir. Les morts sont des graines appelées à se dresser et à fleurir.
La chute, c'est la graine qui tombe de la fleur, c’est la fleur de la plante qu’a donnée la graine.
Nous sommes conscients : sous la terre, là, s'enfonce la graine, c'est en enfer. Bien peu de graines survivent. Quelques-unes grandissent et se lèvent: alors apparaît la lumière.
Enfin la plante fleurit et c’est la plénitude de lumière : toute la création est un symbole et montre le chemin de l’homme. Nous sommes la semence de dieu, nous devions croître, grandir, sans jamais nous arrêter en essayant de comprendre et d’aimer tout ce qui se donne à nous. Chaque évènement, les meilleurs comme les pires, sont une nourriture spirituelle que nous offre Dieu. Chaque évènement, même s'il semble concerner tous les autres, est préparé exprès pour nous ; absolument rien n'est laissé au hasard par Dieu. Il faut avoir ses sens éveillés, toute l'intelligence, tout ce que nous pouvons posséder individuellement comme qualité pour saisir les occasions. Chacun a sa chance, rien n'est déterminé bien que tout soit déjà écrit. Chacun doit se centrer sur son propre cheminement, comprendre les autres, sans pour ça rejeter son acquis, savoir que c'est celui qui lui semble le plus satanique qui a encore le plus à lui apprendre. Ne pas forcer les autres à rentrer dans le même chemin que nous, nous transformant alors en Satan pour l’autre; dans les années qui vont venir, la majorité va faire exactement le contraire de tout cela et ce sera bien malgré que ceux qui le feront en souffriront terriblement : eux seuls seront une cause de l'enfer dans lequel ils vivront.
Les contradictions vont devenir de plus en plus effrayantes. L'agressivité va se généraliser car tous seront terrorisés par ces contradictions mêmes. Non contents d'être décentrés en ayant nié un terme de l'équilibre. Ils voudront détruire définitivement cet autre terme de la face de terre.
Pourquoi tout cela ? Parce que l'homme atteint le plus bas de sa chute le fils est très loin du père, la droite s'éloigne à droite, la gauche à gauche, le bas atteint son bas, le haut s'élève. Le monde même est crucifié : c'est une crucifixion de gloire; la crucifixion n’est déchirement qu’au niveau du monde physique, déchirement du corps du Christ, de l’humanité , déchirement de la terre ; mais ce qui est explosion au niveau du corps est implosion au niveau de l'esprit. Dans l'anarchie absolue, tout ce qui n'est pas au centre ne peut pas survivre. La putréfaction est le plus grand appel à cesser de mourir pour vivre. Rien de ce qui est formel ne peut, en dernière analyse, être bon. Seul Dieu est bon et parce que Dieu est parfaitement bon, toute la création est bonne ; mais chaque partie en soi, en tant qu'elle se sépare de Dieu, devient mauvaise.
L'amour de l'autre, de celui qui est le plus loin de nous, nous permet seul de comprendre, de prendre avec, le pôle qui, en nous manquant, fait que nous nous enfoncions dans l'obscurité du déséquilibre : c'est aussi la seule chose que nous puissions faire pour l'autre.
En effet, sentir que nous sommes aimés tels que nous sommes, crée la sécurité dans laquelle peut s'opérer la découverte de ce qui nous manque. Constamment, nous nous branchons à l'envers, nous demandons à l'autre de nous aimer en lui jetant à la figure tout ce qui lui manque. En faisant ça, nous nous fermons à l'immense amour de Dieu et nous enfonçons l'autre dans le sentiment d'insécurité qui va lui faire rejeter pour jamais ce que nous pourrions lui apporter.
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