2015/03/01

Le ratio « espoir/déluge » pour modèle LE MONDE ECONOMIE Par Robert Bell Brooklyn College, City University de New-York

Le ratio « espoir/déluge » pour modèle
LE MONDE ECONOMIE | 24.02.2015 à 11h43 • Mis à jour le 24.02.2015 à 16h52 |Par Robert Bell (Brooklyn College, City University de New-York)
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Bien que les défenseurs de l’énergie verte aient fait d’importants progrès, les défenseurs des énergies fossiles ont fait bien mieux. Pour chaque dollar investi dans les énergies renouvelables, les défenseurs des énergies fossiles ont en effet injecté 4 dollars dans leurs activités. Cela en dépit d’un accablant consensus scientifique attestant que nous n’avons plus que vingt ans de marge de manœuvre pour maintenir le réchauffement climatique dans une limite tolérable.
Les investissements mondiaux dans les énergies renouvelables ont baissé en 2013 pour la deuxième année consécutive, tombant à 254 milliards de dollars (222,7 milliards d’euros), selon le Financial Times du 25 juin 2014. En revanche, les investissements pour les énergies fossiles ont augmenté depuis 2011, approchant 1 000 milliards de dollars en 2013, selon les données de l’Agence internationale de l’énergie (AIE).
Ainsi, pour chaque dollar misé sur l’espérance d’un monde protégé des catastrophes climatiques et économiques, ce sont 4 dollars qui sont misés selon le principe « après moi, le déluge ». Appelons donc cela le « ratio espoir/déluge » (« hope/doom ratio », en anglais).
Il est facile à calculer, à partir de données communément émises et admises par l’industrie des énergies fossiles comme par les gouvernements auxquels elle est liée.
Sans surprise, l’actuel ratio espoir-déluge reflète le rôle moteur du réchauffement climatique, et cela depuis longtemps : « La part des énergies fossiles dans le mix énergétique primaire mondial d’aujourd’hui – 82 %, selon les données de l’AIE – est exactement la même qu’il y a vingt-cinq ans », remarque l’AIE dans son rapport World Energy Outlook 2014.
Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), lui, nous prescrit une réduction des émissions de gaz à effet de serre de 70 % par rapport au niveau de 2010 pour nous maintenir sous le fameux seuil critique des 2 °C.
Multiplier les investissements
Il n’est pas certain que l’actuel effondrement des prix du pétrole change considérablement le ratio espoir-déluge. Bien que l’investissement dans les énergies renouvelables ait légèrement augmenté ces derniers mois, nous ne pouvons pas espérer que cela continue, ni espérer que l’investissement dans les énergies fossiles diminue.
Le 15 décembre 2014, quand le coût du pétrole était encore à 60 dollars le baril, le Financial Times a rapporté que Goldman Sachs estimait que cette chute du prix du pétrole se traduirait sur les dix prochaines années par la disparition de 1 000 milliards de dollars de valeur dans l’exploration et le développement pétroliers. Cela offrira aux grandes compagnies pétrolières – Total, Shell, Exxon, etc. – l’opportunité de racheter les prospections des compagnies pétrolières les moins chanceuses, afin de les stocker pour plus tard.
La seule manière possible de sauver le climat sans revenir à des modes de vie comparables à ceux de l’époque de Louis XV, à qui l’on prête les mots « après moi, le déluge », serait d’inverser le ratio espoir-déluge. Selon l’AIE, les investissements en énergies renouvelables et en efficacité énergétique doivent, pour sauver le climat, être multipliés par quatre par rapport à leur taille actuelle, pour atteindre 1 000 milliards de dollars par an d’ici à 2030. En d’autres termes, le ratio espoir-déluge actuel, de 1 à 4, doit être inversé pour parvenir au moins à 4 pour 1.
Une telle métrique financière permet de mettre l’accent sur l’aspect positif des investissements. Elle se situe ainsi à l’opposé du message négatif de la taxe carbone, politiquement irréalisable, ou du marché d’échanges de droits à polluer, largement discrédité.
Taxer ou détaxer ?
Dans leur projet d’impôt sur les émissions de gaz à effet de serre, les anciens premiers ministres Alain Juppé et Michel Rocard avaient proposé une taxe de 30 euros par tonne de C02. L’ex-président de la République, Nicolas Sarkozy, avait dû l’abandonner face à une levée de boucliers, bien qu’il ait proposé de diminuer ce montant de moitié. L’actuel gouvernement français a également abandonné la taxe du gouvernement Sarkozy sur les poids lourds, face à une forte opposition locale.
Pourquoi, au lieu de taxer les émissions, les gouvernements ne taxeraient-ils pas directement les producteurs de pétrole et de gaz naturel, dont les revenus de l’extraction sont déjà connus et déclarés au titre de l’impôt sur les sociétés ou des redevances payées aux gouvernements ? Sachant qu’une tonne de CO2 équivaut à peu près à brûler 3 barils de pétrole, une taxe de 10 euros par baril reviendrait aux 30 euros envisagés au départ. Et cela résoudrait la question politique de la résistance à l’impôt, puisque cette taxe serait bien sûr répercutée par les pétroliers et gaziers sur leurs clients…
Inversement, les gouvernements pourraient détaxer tous les bénéfices des investissements dans les énergies renouvelables, afin d’encourager l’innovation et le développement de cette industrie. Et comme les situations d’urgence ne durent pas éternellement, le ratio espoir-déluge pourrait aussi être la formule permettant de décider à quel moment il sera à nouveau possible de taxer les bénéfices des énergies renouvelables comme ceux de toutes les autres industries, par exemple lorsque ce ratio atteindra dans quelques années 4 pour 1, à la place de l’actuel 1 pour 4.
Ainsi, la finance pourrait œuvrer à nous guérir du réchauffement de la planète au lieu de nous pousser vers le Déluge (traduit de l’anglais américain par Angelina Colombani, Planetworkshops).
Robert Bell est l’auteur de La Bulle verte. La ruée vers l’or des énergies renouvelables (Editions Scali, 2007).
§  Robert Bell (Brooklyn College, City University de New-York) 



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