Quels avenirs s’offrent aux jeunes ?
La Génération Y répond à la Génération Baby-Boom
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VERSION COURTE FRANÇAISE - SHORT ENGLISH VERSIO -VERSION LONGUE FRANÇAISE
Quels avenirs
s’offrent aux jeunes ?
La Génération Y
répond à la Génération Baby-Boom
Alors que l’actualité de la COP 21 commande
de réfléchir aux conséquences des choix conjoints des Etats pour l’avenir de
l’humanité, Michel Saloff-Coste et Leslie Tourneville ont voulu confronter
leurs points de vue sous la forme d’un dialogue intergénérationnel sur les grands
enjeux planétaires actuels.
Michel Saloff-Coste
Leslie,
vous aurez en tant que membre de CliMates le statut d’observatrice et de
représentante des intérêts de la jeunesse durant la COP21. J’aimerais que nous
discutions de la façon dont vous envisagez l’avenir de votre génération face
aux défis des changements climatiques, et souhaiterais partager avec vous
quatre grands scénarios que j’ai élaborés en discutant ces dix dernières années
avec des centaines de personnes en Europe et en Amérique. Ces scénarios sont
très contrastés et ne sont pas exclusifs les uns des autres : nous
pouvons déjà les voir se concrétiser dans différentes régions de la planète.
La pénurie brutale des ressources
Le
premier scénario qui surgit à l’esprit face à l’amoncellement de risques
majeurs (réchauffement climatique, effondrement de la biodiversité, manque
de ressources et d’eau, surpopulation, migrations, raréfaction des ressources
énergétiques, etc.) est le scénario de l’effondrement civilisationnel. Il a été
largement documenté par Jared Diamond.
La pénurie progressive des ressources
Le
deuxième scénario, qu’on pourrait nommer clash des civilisations, est largement
promu par les tenants de la « real Politik » et reprend l’idée de
Huntington : les ressources venant à manquer, des blocs civilisationnels se
constitueraient de plus en plus fortement et se combattraient pour l’accès aux
ressources. Ce scénario s’appuie sur une vision traditionnelle du monde, avec
des combats à somme nulle: compte tenu de la situation planétaire actuelle, je
pense que ce scénario risque de dégénérer en scénario perdant-perdant de type
1.
La révolution technologique
Le
troisième scénario, principalement développé par les populations les plus éduquées,
notamment les technophiles de la côte Ouest américaine, consiste à imaginer que
des découvertes scientifiques majeures résoudront les problèmes auxquels nous
sommes confrontés. Certes, un certain nombre de percées scientifiques devraient
considérablement nous aider dans le futur, mais il n’est pas difficile de
montrer que les problèmes systémiques et pluridimensionnels auxquels nous faisons
face impliquent une réflexion philosophique et sociétale plus large que les
seules solutions techniques. Le danger de ce scénario est d’endormir notre
vigilance et de passer à côté de l’extraordinaire opportunité
d’aujourd’hui : repenser les bases de notre civilisation de manière plus
viable. La conceptualisation des trois piliers social, environnemental et
écologique du développement durable est un pas dans cette direction, mais la
théorie économique et politique soutenant cette approche reste à inventer.
Le changement de civilisation
Le
quatrième scénario est justement celui d’une transformation civilisationnelle :
une refondation de nos bases philosophiques et culturelles, et la
transformation de notre théorie économique et politique. Ce scénario verrait
l’avènement d’une société très différente de celle que nous avons connue, construite
sur de nouvelles bases qui restent dans une grande mesure à définir. Ce
changement de civilisation peut paraître extraordinairement utopique, au sens
propre de « lieu sans existence ». Cependant, il est déjà possible de
voir se réaliser cette métamorphose dans une multitude d’expériences en rupture
bourgeonnant dans les écosystèmes innovants de la planète, touchant le secteur
du numérique, de l’agriculture, de l’énergie, etc. et leur intégration.
Leslie, pensez-vous qu’il existe
un tropisme des jeunes en faveur de l’un ou l’autre de ces
scénarios d’avenir ?
Leslie Tourneville
Avant
de répondre à votre question, il me semble nécessaire de préciser la définition
des termes utilisés, sans quoi il est impossible d’identifier les scénarios les
plus prometteurs.
Qu’entendez-vous par un « changement de
civilisation » ?
Voyons-nous véritablement
émerger sous nos yeux des embryons de civilisation nouvelle, et avons-nous
réellement besoin de refonder les bases de notre civilisation pour résoudre les
différentes crises planétaires que vous avez citées ?
Michel Saloff-Coste
Ceci
est une très bonne question : il est rare, quand on parle de changement de
civilisation, de savoir exactement de quoi il est question.
Les refontes des bases épistémologiques de la
connaissance et des fondements de la théorie de la valeur peuvent nous conduire
à une civilisation de l’abondance.
Je
crois que nous allons vers un changement de civilisation car il va nous falloir
repenser les prémisses épistémologiques de notre connaissance. Cela peut faire
peur, mais cela s’est déjà passé par le passé de façon remarquable chaque fois
que l’activité humaine s’est modifiée en profondeur : en témoigne le
passage du chasseur/cueilleur à l’agriculture sédentaire, puis à l’ère
industrielle. Nous basculons actuellement dans une nouvelle ère où chacun est
interpelé dans sa capacité créative et où les échanges immatériels deviennent de
plus en importants et créateurs d’une nouvelle valeur sociale. En effet,
lorsque j’échange un objet, je le perds, alors qu’en échangeant des idées, je
les démultiplie.
De
manière flagrante, cela remet en cause les bases mêmes de notre économie. Si
nous sommes capables de repenser la théorie de la valeur, nous pouvons imaginer
une civilisation de l’abondance plutôt que la rareté. Cela repose de manière
nouvelle la définition du bien commun.
Leslie Tourneville
Nos
points de vue diffèrent sur la « société de l’immatériel » :
elle n’est selon moi qu’une société matérielle du partage des expériences
individuelles vécues, et non l’amorce d’une nouvelle civilisation inscrivant le
progrès humain dans les cycles naturels planétaires. La communication des idées
est matérielle : les NTIC demanderont de plus en plus d’énergie et de
ressources. De même, je ne crois pas que notre civilisation se métamorphosera
par un changement de perception sur le statut social ou par la tendance de fond
à vouloir combiner quête du plaisir et progrès social et environnemental.
La jeunesse actuelle ne se préoccupe pas de
considérations civilisationnelles : seules l’intéressent les quatre causes
concrètes du changement climatique.
La
jeunesse n’a nullement pour objectif de réinventer la civilisation occidentale :
accuser la civilisation de notre incurie lui semble inopérant et
déresponsabilisant. Les principales causes du changement climatique sont le
système énergétique, la frilosité politique à le modifier, le droit
international des affaires et l’idéologie du PIB. Les solutions à ces problèmes
sont identifiées et connues. Les blocages principaux à leur déploiement ne sont
civilisationnels. Sont à inculper la réticence des gouvernements à réaliser
urgemment des investissements publics d’envergure maintenus sur la durée pour
la transition, et les règles de la finance et du commerce international
soumettant, notamment, à la même concurrence produits et services bénéfiques et
maléfiques pour l’environnement et les travailleurs.
Michel Saloff-Coste
Les jeunes pensent-ils qu’ils pourront faire
évoluer, maintenant et ultérieurement, l’inertie du modèle de développement à
l’origine du changement climatique ?
Comment envisagent-ils leur
action dans un scénario futur où ils ne pourraient plus inverser la trajectoire
d’un dérèglement climatique irréversible, hors de tout contrôle humain ?
Leslie Tourneville
« Il faut
imaginer Sisyphe heureux » écrit Camus. Les jeunes engagés aujourd’hui
face à des problèmes systémiques mondiaux s’appellent tous Sisyphe.
Ils
agissent avec courage et détermination pour créer un empowerment social et
personnel concret, et ainsi hisser au sommet le rocher du futur à long-terme de
la planète, tout en sachant pertinemment qu’ils n’ont pas le pouvoir à décider
de la trajectoire finale de ce rocher. Notre génération se prépare mentalement
et activement à construire sa résilience durant le XXIe siècle, par
ses campagnes sociales (comme le Divestment) et ses efforts d’inventivité
joyeuse en faveur d’une société plus juste. Les jeunes savent aussi que les
bonnes surprises et les révolutions ne sont jamais à exclure du champ des
possibles ! Ces quatre grands scénarios du futur sont le fruit de ce
raisonnement.
La généralisation du système D et de l’innovation
frugale
Un
premier scénario d’avenir est celui du « système D comme art de
vivre », par l’adaptation perpétuelle aux changements climatiques limités
et à la raréfaction des ressources grâce à un esprit d’innovation sans cesse
sollicité. Dans les Etats développés, l’éducation créative, les infrastructures
en place et la valorisation sociale de l’ingéniosité collective permettent
d’éviter les chocs trop brutaux. Au niveau mondial, des techniques de
résilience simples et peu chères, inspirées de l’innovation frugale, se
diffusent partout sur la planète.
La vengeance des peuples contre les Etats
Le
deuxième scénario, beaucoup plus sombre, est celui de « la vengeance
des peuples » contre leur propre Etat et les États développés, dans un
contexte de détérioration abrupte et insoutenable des conditions de vie à
grande échelle. Au delà des scénarios de guerres du climat développés par
Harald Welzer, entrainant instabilité politique, coups d’Etats, Etats faillis
et migrations massives, il est possible d’imaginer la constitution de groupes
infraétatiques potentiellement transnationaux utilisant le terrorisme et la
guérilla par désir de vengeance contre les Etats et les populations jugées
responsables de l’irrémédiable. Ces groupes pourraient exiger des transferts
financiers massifs ou l’ouverture des frontières pour l’accueil des populations
réfugiées.
Des
procès de justice demandant réparation auprès de larges administrations
étatiques ou de multinationales pourraient également voir le jour[1].
La rupture technologique motrice d’un retour à la
centralisation et la régulation
Le troisième scénario de la rupture
technologique n’est ni un espoir ni une solution pour de nombreux jeunes.
Toutefois, je ne crois pas qu’il doive être exclu du champ des possibles. Une
« solution miracle » pourrait susciter un soutien politique puissant
et une modification du droit du commerce international afin de massifier son
expansion, ainsi qu’un désinvestissement massif du secteur des hydrocarbures à
son profit, à condition toutefois d’être développée par un ou plusieurs Etats
parmi les plus puissants de la planète et de posséder une forte « licence
to operate ».
En
revanche, ce scénario doit se concrétiser au plus tard d’ici vingt ans ans pour
avoir une chance importante de limiter le changement climatique.
Le rééquilibrage perpétuel entre besoins,
production, et ressources disponibles, grâce la quasi-gratuité
Un
quatrième scénario possible est celui de « l’étalon de l’Indicateur de
Progrès véritable[2] et de la
systématisation du presque-gratuit ». Ce futur verrait l’avènement d’une
nouvelle revendication politique prenant sa source dans les débats popularisés
par Jeremy Ryfkin et les promoteurs du revenu de base : tout ce qui est
considéré comme vital à l’épanouissement des personnes – se nourrir, se loger,
se déplacer, se soigner, se former – peut et doit être accessible à tous quasi-gratuitement.
La libération de l’obligation du travail rémunéré, la baisse des prix après
amortissement, et le don sont le cœur battant de la société.
Ce
scénario implique quatre éléments : une éducation intégrée holistique des
citoyens, une économie reposant sur des entreprises ne priorisant pas le profit
net, la domination des énergies renouvelables combinant obligation de sobriété et
quasi-gratuité de l’énergie, et la définition de politiques publiques entièrement
centrées sur l’économie de l’usage.
Les
concepts de société de la rareté et de l’abondance seraient dépassés :
cette société serait celle de « l’adéquation » entre les besoins
des citoyens, la production, et les ressources de la planète.
SHORT ENGLISH VERSION
What futures for future generations?
Baby-Boom and Y answer.
Number of signs: 11 658
The coming COP21 obliges us to consider the future of humanity and the
answers to the numerous present and coming threats given so-far by the
international community. Michel Saloff Coste and Leslie Tourneville wanted to
compare their points of view on today's major global challenges in the form of
an intergenerational dialogue.
Michel Saloff Coste
Leslie, as a member of Climates you will have the chance to have an
observer statuts during the COP21 in order to represent the youth interests in
these negotiations. I would like to discuss with you about how you see the
future of your generation in face of the climate challenge. I also would like
to share with you four scenarios that I have developed after discussing with
hundreds of people in Europe and America during the past decade. These
scenarios are highly contrasted and are not exclusive of each other: we can
already see them materialize in different regions of the planet.
The sudden
shortage of resources
The first scenario that comes to mind, considering all the major risks that
we face (climate change, biodiversity collapse, lack of resources and water,
overpopulation, migration, scarcity of energy resources, etc.) is the scenario
of civilizational collapse. It has been widely documented by Jared Diamond.
The progressive
shortage of resources
The second scenario, which might be called clash of civilizations, is
widely promoted by advocates of the "Real Politik" and is inspired by
Huntington’s theory: as resources come to an end, civilizational blocs strongly
grow and start fighting for the access to resources. This scenario is based on
a traditional view of the world, with zero-sum games (win-lose): given the
current global situation, I think that this scenario could degenerate into
lose-lose type 1 scenario.
The
technological revolution
The third scenario is mainly developed by the most educated people, and is
particularly spread among the techies of the American West Coast: major
scientific breakthroughs will solve the problems we face. For sure, future
scientific breakthroughs should considerably help us in the future.
Nevertheless, it is not difficult to show that the systemic and
multidimensional problems we face involves a much larger philosophical and
societal brainwork than the only suggestion of technical solutions. The danger
of this scenario is to lull our vigilance and to miss our contemporary
extraordinary opportunity: rethink more viable foundations of our civilization.
The conceptualization of sustainability’s three pillars – social, environmental
and ecological – is a first step in this direction. Yet, the economic and
political theory behind this approach remains to be invented.
The change
of civilization
The fourth scenario is precisely about a civilizational transformation: it
consists in an overhaul of our philosophical and cultural foundations,
including the transformation of our economic and political theory. This
scenario would see the advent of a very different society from the one we have
known, built on new foundations that remain largely to be built. This change of
civilization may seem extraordinarily utopian in the literal sense of
"place without existence." However, it is already possible to see
this metamorphosis happen in a multitude of social experiments, budding out in
innovative ecosystems on the planet, affecting the digital sector, agriculture,
energy, etc. and integration.
Leslie, do you think that there is a tropism of young people in favor of
either of these future scenarios?
Leslie Tourneville
Before answering your question, it seems necessary to clarify the
definition of the terms used, otherwise it is impossible to identify the most
promising scenarios.
What do you
mean by a "change of civilization"?
Do we truly see emerging the embryos of a new civilization before our eyes,
and do we really need to rebuild the foundations of our civilization to address
the various global crises that you mentioned?
Michel Saloff Coste
That is a very good question: indeed, it is rare to know exactly what we
are talking about when a change of civilization is mentioned.
The revision
of the epistemological foundations of knowledge and the reconsideration of our
theory on value can lead us to a civilization of abundance.
I think that we are moving towards a change of civilization, because we
will have to rethink the epistemological premises of our knowledge. This can look
scary, but it has already happened in a dramatic way whenever human activity changed
in depth: look at the transition from hunters/trappers to settled agriculture
and the industrial era. We are currently entering into a new era in which
everyone has to highlight his/her creative capacity: intangible and
“immaterial” exchanges are becoming more and more important as creators of new
social values. Indeed, when I exchange an item I lose it, while in exchanging
ideas, I multiply them. Blatantly, this questions the very foundations of our
economy. If we succeed in rethinking the theory of value, we can imagine a
civilization of abundance rather than scarcity. These new values also question the
definition of the common good.
Leslie Tourneville
Our views differ on the "immaterial society": in my opinion,
it is rather a material society full of digital sharing of individual
experiences, and not the beginning of a new civilization in which human
progress is fully embodied global natural cycles. The communication of ideas is
material: the NICTs will ask for more and more energy and resources. Similarly,
I do not think that our civilization will be transformed by a change in
perception on social status, or by the long-term trend consisting for
individuals to try to combine pleasure with social and environmental progress.
Today's youth
does not care at all about civilizational change: we are only concerned about
the four concrete causes of climate change.
Youth does not aim at reinventing the Western civilization: making
“civilization” responsible for our carelessness seems to young people inoperative
and disempowering. The main causes of climate change are known: the
carbon-intensive energy system, the political reluctance to change it, the
international business law and the GDP ideology. Solutions to these problems have
been identified and are well-known. The main obstacles to deployment are not
civilizational: they consist in the reluctance of some governments to urgently
carry out large-scale public investment, maintained over time, for the
ecological transition, plus the rules of international trade and finance that
impose the same competition between products that are beneficial or evil to the
environment and the workers.
Michel Saloff Coste
Do young
people think that they can move, now or/and later, the inertia of the
development model causing climate change?
How do they consider their potential action in a future scenario where
they could not reverse the trajectory of an irreversible climate change, beyond
any human control?
Leslie Tourneville
"We
must imagine Sisyphus happy" Camus wrote. The young people committed to
facing global challenges like climate change can be called Sisyphus.
They act with courage and determination to create social and personal
empowerment, and thus rise this big rock – the long-term future of the planet –
to the top, knowing perfectly well that they have no power to decide on the
final trajectory of this rock. Our generation is mentally and actively
preparing to build its resilience during the twenty-first century, with all its
social successful campaigns – as the Divestment campaign, initiated by
students, show – and its cheerful inventiveness efforts for a fairer society.
Young people also know that surprises and revolutions are never to be excluded
from the range of possibilities! These four future scenarios are the result of
this reasoning.
The
generalization of resourcefulness and frugal innovation
A first future scenario can be called “resourcefulness as a way of life":
it consists in the perpetual adaptation to climate change and resources’ scarcity
through a constantly solicited innovative spirit. In developed countries,
creative education, infrastructures and social valuation of collective
ingenuity can help avoid too brutal shocks. Globally, simple and cheap
resilience techniques, inspired by frugal innovation, are spreading across the
globe.
The revenge
of peoples against states
The second much darker scenario shows the "revenge of the peoples"
against their own state and developed states, in a context of large-scale
sharply deteriorating living conditions. Beyond the climate wars scenarios
developed by Harald Welzer, causing political instability, coups, failed states
and mass migrations, it is possible to imagine the formation of potentially
transnational sub-state groups using terrorism and guerrilla warfare led by
desire for revenge against states and peoples held responsible for irremediable
climate change. These groups may ask for massive financial transfers or open
borders for the reception of refugees. Courts seeking damages from large multinationals
or state governments through trials could also emerge[3].[LT1]
The technological
breakthrough driving a return to centralization and regulation
The third scenario of technological breakthrough is neither a solution
nor a hope for many young people. However, I do not think that it should be
excluded from the range of possibilities. A "quick fix" could create
a powerful political support and some modifications in the international trade
law to expand it massively, as well as a massive disinvestment from the
hydrocarbons sector to its advantage. Nevertheless, this can only happen under
certain conditions: this solution should be developed by one or more states
among the most powerful ones in the world, and have a strong social
"license to operate". Anyway, this scenario should materialize at the
latest within two decades to have a significant chance of limiting climate
change.
The
perpetual balance between needs, production, and resources available through
the virtually free
A fourth possible scenario could be called "the standard of the
Genuine Progress Indicator[4][LT2] and the systematization of nearly-free." It would see the arousal of
a new political claim taking its root in the debates popularized by Jeremy
Ryfkin and the proponents of universal garanteed income: everything considered
vital to people’s fulfillment - food, shelter, transportation, health, training
– can and must be accessible to all, so (almost) free. Gifts as well as the
release from the perpetual obligation of paid work, and lowering final prices
after amortization, are the beating heart of society. This scenario involves
four elements: a holistic and integrated education of citizens, an economy
based on self-organized groups made of inventive volunteers not prioritizing profit,
the domination of renewables that forces to combine sobriety with access to
nearly-free energy, and the definition of public policies entirely centered on the
“sharing economy”. The former concepts of scarcity and abundance would be outdated:
this society would know an adjusted "balance" between the needs of
citizens, production, and the planet's resources.
Leslie
Tourneville
Directrice Ressources Humaines
et Formation du think-and-do-tank CliMates
Observatrice des négociations de
la CCNUCC depuis 2014 en tant qu’accréditée au sein de YOUNGO
Consultante indépendante en RSE,
compétente en prospective
Community and Skills Management
Director of CliMates
YOUNGO representative in the
UNFCCC – Observer during COP21
CSR Consultant, trained on
foresight
Biographie (français)
Leslie Tourneville est consultante indépendante spécialisée en
responsabilité sociale et environnementale d'entreprise et compétente en
matière d'études prospectives. Diplômée de SciencesPo. Paris et titulaire du
Master II Développement durable de la Paris School of International Affairs,
ses spécialités d’études touchent aux différentes méthodes de capture,
séquestration et transport du dioxyde de carbone, ainsi qu’aux enjeux
socio-économiques, politiques et philosophiques de la neutralité carbone. Elle
étudie également les liens entre trajectoires de développement, transitions
énergétiques et sécurité internationale.
Actuellement Directrice RH et Formations de CliMates,
think-and-do tank international d'étudiants et jeunes professionnels engagés
sur les défis climatiques, elle participe aux négociations onusiennes de la
CCNUCC depuis octobre 2014 en tant que membre de YOUNGO.
Biography (english)
Leslie Tourneville is a policy analyst consultant specialised in
sustainability foresight, impact analysis and corporate social responsibility.
She holds a Master’s Degree in International Affairs and Sustainability
Policies at the University of SciencesPo, Paris. Her area of concentration
concerns emerging technologies of CO2 absorption and sequestration and carbon
neutrality. Her other areas of interest are the social impacts of energy
transition policies and their links with international security and conflict
transformation studies.
Member of YOUNGO, the youth constituency of the UNFCCC, and
observer of the UNFCCC negotiations since october 2014, she is currently the
Community and Skills Management Director of the international youth-led
think-and-do tank CliMates.
Description
de CliMates (français)
Créée en 2011, CliMates est un think & do tank international regroupant environ 150
étudiants, jeunes professionnels et chercheurs bénévoles dans plus de 40 pays.
L’association est observatrice officielle des
sessions de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements
climatiques (CCNUCC). Elle fut classée 60e du classement des 100
think-tanks internationaux spécialisés sur le climat en 2013 par
l’International Center for Climate governance.
CliMates a trois principaux objectifs :
- créer des outils et des idées
innovantes pour répondre au défi climatique de manière interdisciplinaire,
collaborative et internationale, en combinant recherche et action ;
- former les prochaines générations de décideurs à devenir des
acteurs du changement pour catalyser une transition vers un modèle de société
bas-carbone, en leur donnant les outils de compréhension, d’actions et de mobilisation autour des
enjeux climatiques ;
-
former les professionnels actuels aux
enjeux énergie-climat via des outils pédagogiques innovants de type serious
games.
Description
de CliMates (français)
Créée en 2011, CliMates est un think & do tank international regroupant environ 150
étudiants, jeunes professionnels et chercheurs bénévoles dans plus de 40 pays.
L’association est observatrice officielle des
sessions de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements
climatiques (CCNUCC). Elle fut classée 60e du classement des 100
think-tanks internationaux spécialisés sur le climat en 2013 par
l’International Center for Climate governance.
CliMates a trois principaux objectifs :
- créer des outils et des idées
innovantes pour répondre au défi climatique de manière interdisciplinaire,
collaborative et internationale, en combinant recherche et action ;
- former les prochaines générations de décideurs à devenir des
acteurs du changement pour catalyser une transition vers un modèle de société
bas-carbone, en leur donnant les outils de compréhension, d’actions et de mobilisation autour des
enjeux climatiques ;
-
former les professionnels actuels aux
enjeux énergie-climat via des outils pédagogiques innovants de type serious
games.
Pour plus d’informations : www.studentclimates.org
Description
CliMates (anglais)
Founded in 2011, CliMates is a international think
and do tank entirely led by students and young researchers and professionals, composed
of 150 members in 40 countries. The association is an official observer of the
United Nations Framework Convention on Climate changes’ sessions (UNFCCC). In
2013, it was ranked 60th among 100 international think tanks
dedicated to climate change by the International Center for Climate governance.
CliMates has three main objectives:
-
create
innovative tools and ideas to face climate change challenges in a
interdisciplinary, international and collaborative way, combining research and
action ;
-
train tomorrow
changemakers to help young people create a resilience zero-carbon society, by
giving them knowledge, action and mobilization kits on climate issues ;
-
train
professionals on climatic and energy issues through innovative pedagogical
tools, like serious games.
For more informations: www.studentclimates.org
VERSION LONGUE EN FRANCAIS
Quels avenirs
s’offrent aux jeunes ?
La Génération Y
répond à la Génération Baby-Boom
Alors que l’actualité de la
Conférence des Parties 21 commande de réfléchir aux conséquences des choix
conjoints des Etats pour l’avenir de l’humanité, Michel Saloff-Coste et Leslie
Tourneville ont voulu confronter leurs points de vue sous la forme d’un
dialogue intergénérationnel sur les grands enjeux planétaires actuels.
Michel Saloff-Coste
Leslie,
vous aurez en tant que membre de CliMates le statut d’observatrice et de
représentante des intérêts de la jeunesse durant la COP21. J’aimerais que nous discutions de la façon
dont vous envisagez l’avenir de votre génération face aux défis des changements
climatiques, et souhaiterais partager avec vous quatre grands scénarios que
j’ai élaborés en discutant ces dix dernières années avec des centaines de
personnes en Europe et en Amérique. Ces scénarios sont très contrastés, et ont
pour objectif de couvrir de manière globale les transformations planétaires
auxquels nous sommes confrontés. Comprenez bien qu’ils ne sont pas
exclusifs les uns des autres : nous pouvons déjà les voir se
concrétiser dans différentes régions de la planète.
La pénurie brutale des ressources
Le
premier scénario qui surgit dans l’esprit de chacun face à l’amoncellement de
risques majeurs (réchauffement climatique, effondrement de la
biodiversité, manque de ressources et d’eau, surpopulation, migrations,
raréfaction des ressources énergétiques, etc.) est le scénario du crash
civilisationnel. Il a été largement documenté par Jared Diamond.
La pénurie progressive des ressources
Le
deuxième scénario, que nous pourrions nommer clash des civilisations, est
largement promu par les tenants de la « real Politik » et reprend
l’idée de Huntington : les ressources venant à manquer, des blocs
civilisationnels se constitueraient de plus en plus fortement et se
combattraient pour l’accès aux ressources. Ce scénario est souvent évoqué par
les militaires, dont le rôle traditionnel est de protéger les territoires et
d’en assurer l’approvisionnement en ressources diverses. Ce scénario s’appuie sur
une vision traditionnelle du monde, avec des combats à somme nulle
(perdant-gagnant) : compte tenu de la situation planétaire actuelle, je
pense que ce scénario risque de dégénérer en scénario perdant-perdant de type
1 : le clash civilisationnel se muerait en crash.
La révolution technologique
Le
troisième scénario, principalement développé par les populations les plus
éduquées et bercées de pensées scientifiques, notamment chez les technophiles
de la côte Ouest américaine, consiste à imaginer que des percées scientifiques
majeures résoudront les problèmes auxquels nous sommes confrontés. Certes, un
certain nombre de percées scientifiques devraient considérablement nous aider
dans le futur, mais il n’est pas difficile de montrer que les problèmes systémiques
et pluridimensionnels auxquels nous faisons face impliquent une réflexion
philosophique et sociétale plus large que les seules solutions techniques. Le
danger de ce scénario est d’endormir notre vigilance et de passer à côté de
l’extraordinaire opportunité d’aujourd’hui : repenser les bases de notre
civilisation de manière plus viable. La conceptualisation des trois piliers
social, environnemental et écologique du développement durable est un pas dans
cette direction, mais la théorie économique et politique soutenant cette
approche reste à inventer.
Le changement de civilisation
Le
quatrième scénario est justement celui d’une transformation
civilisationnelle : une refondation de nos bases philosophiques et
culturelles, et la transformation de notre théorie économique et politique. Ce
scénario verrait l’avènement d’une société très différente de celle que nous
avons connue, construite sur de nouvelles bases qui restent dans une grande
mesure à définir. Ce changement de civilisation peut paraître
extraordinairement utopique, au sens propre de « lieu sans existence ».
Cependant, il est déjà possible de voir se réaliser cette métamorphose dans une
multitude d’expériences en rupture bourgeonnant dans les écosystèmes innovants
de la planète, touchant le secteur du numérique, de l’agriculture, de
l’énergie, etc. et leur intégration.
Leslie, pensez-vous qu’il existe
un tropisme des jeunes en faveur de l’un ou l’autre de ces scénarios d’avenir
?
Leslie Tourneville
Avant
de répondre à votre question, il me semble nécessaire de préciser la définition
des termes utilisés, sans quoi il est impossible d’identifier les scénarios les
plus prometteurs.
Qu’entendez-vous par un « changement de
civilisation » ?
Voyons-nous véritablement
émerger sous nos yeux des embryons de civilisation nouvelle, et avons-nous
réellement besoin de refonder les bases de notre civilisation pour résoudre les
différentes crises planétaires que vous avez citées ?
Michel Saloff-Coste
Ceci
est une très bonne question : il est rare, quand on parle de changement de
civilisation, de savoir exactement de quoi il est question.
Les refontes des bases épistémologiques de la
connaissance et des fondements de la théorie de la valeur peuvent nous conduire
à une civilisation de l’abondance.
Je
crois que nous allons vers un changement de civilisation car il va nous falloir
repenser les prémisses épistémologiques de notre connaissance. Cela peut faire
peur, mais cela s’est déjà passé par le passé de façon remarquable chaque fois
que l’activité humaine s’est modifiée en profondeur : en témoigne le
passage du chasseur/cueilleur à l’agriculture sédentaire, puis à l’ère
industrielle. Nous basculons actuellement dans une nouvelle ère où chacun est
interpelé dans sa capacité créative et où les échanges immatériels deviennent de
plus en importants et créateurs d’une nouvelle valeur sociale. En effet, lorsque
j’échange un objet, je le perds, alors qu’en échangeant des idées, je les
démultiplie.
De
manière flagrante, cela remet en cause les bases mêmes de notre économie. Si
nous sommes capables de repenser la théorie de la valeur, nous pouvons imaginer
une civilisation de l’abondance plutôt que la rareté. Cela repose de manière
nouvelle la définition du bien commun. Certes, à cheval entre deux
civilisations, les paradoxes se multiplient : abondance, extrême rareté et
montée des extrêmes.
Leslie Tourneville
J’aimerais
exposer ici une aporie majeure du discours du passage de la société de
production à la société de l’information : la communication des idées n’est
jamais immatérielle. La croissance actuelle des NTIC nécessite de plus en plus
d’énergie et de métaux rares, et est productrice de déchets.
La société de l’immatériel est une société
matérielle du partage des expériences vécues : la jeunesse croit à la responsabilisation
des individus, à l’épicurisme en tant que quête du plaisir en dehors du
surplus, et à l’enrichissement personnel par la quête du Bien.
Derrière
l’importance accrue de « l’immatériel », plus matériel qu’il n’y
paraît, se cachent deux tendances de long terme, qui sont toutefois loin, selon
moi, de redéfinir la civilisation : le statut social se fonde de moins en moins
sur la position hiérarchique et l’argent per
se – ne nous attendons toutefois pas à ce que ces attributs disparaissent –
et de plus en plus sur l’intensité des expériences vécues et le partage
social de cette richesse de vie. Une autre tendance portée par les jeunes est
celle de l’importance donnée à la dimension immatérielle du progrès humain
: s’ils considèrent qu’il est naturel aux animaux sociaux que nous sommes
d’avoir soif de « toujours plus », ils considèrent qu’il est tout
aussi naturel de vouloir « toujours mieux ». La question de savoir
comment combiner quête du plaisir et progression sociale et environnementale se
généralise, réveille l’envie d’entreprendre, et stimule la création de nombreuses
innovations incrémentales qui se veulent bénéfique pour tous.
Ces
deux tendances n’induiront toutefois pas à elles-seules la décorrélation nette
et nécessaire entre pollution et production de biens et services dont le monde
a besoin pour ne pas sombrer dans le dérèglement climatique : de nombreux
cadres d’action doivent être entièrement révisés pour faire du développement
durable une réalité et non un vain mot.
Les
jeunes engagés d’aujourd’hui sont des réalistes idéalistes non-idéologues. Ils
aspirent au confort tout en étant lucides sur les difficultés futures que leur
promet à coup sûr le business as usual, et ils veulent ré-enchanter leur monde, autant qu’ils le peuvent, à
leur échelle : non par les grands discours, mais uniquement par leurs actions,
qu’ils ne souhaitent pas déléguer aux « élites » censées les diriger
ou les représenter.
Michel Saloff-Coste
Ne souhaitent-ils pas réinventer
la civilisation alors, ainsi que je l’évoque dans mon quatrième scénario ?
Leslie Tourneville
Absolument
pas.
La jeunesse se fiche de réinventer la civilisation occidentale,
car la civilisation n’est pas pensée comme responsable des problèmes auxquels
nous devons faire face.
Les
jeunes, par lucidité sur la nature et l’avènement des changements sociaux, ne
veulent pas du tout changer la civilisation occidentale. Je posais précédemment
la question de la définition de la civilisation car selon moi, parler d’un
désir et d’un besoin de changement de civilisation est intrinsèquement inopérant
et déresponsabilisant : la majorité des jeunes ne pense pas qu’il nous
faille remonter aux fondements historiques, religieux, politiques et
épistémologiques de nos diverses cultures nationales pour construire un futur
décarboné et/ou résilient aux changements climatiques.
D’abord
parce qu’une si titanesque transformation n’est pas un objectif opérationnel,
réalisable durant le temps d’une vie, dont la réussite se décide : aucun chef
d’Etat ni aucun peuple ne peut décider de changer de civilisation. Est-ce donc
pertinent d’y aspirer ?
De
plus, accuser la civilisation est déresponsabilisant car cela pointe du doigt
les fondements de notre culture et de nos modes de pensées comme coupables de
notre incurie actuelle, alors que nous savons aujourd’hui concrètement quels
sont les secteurs d’activité et les actions responsables les plus émetteurs
auxquels il faut s’attaquer en priorité. Nous avons déjà à disposition, au sein
des fondements épistémologiques de notre civilisation judéo-chrétienne,
légaliste, rationaliste et techniciste, ancrée dans les Droits de l’Homme, l’Etat-Nation,
l’économie de marché (l’invention du capitalisme étant très récente dans
l’histoire de notre civilisation) et les innovations technologiques, les moyens
de déployer toutes les solutions nécessaires pour répondre au problème du
réchauffement climatique. J’applique ce raisonnement a fortiori à toutes civilisations
et cultures existantes, qui ont chacune leurs armes pour s’adresser sur leur
territoire aux causes du changement climatique.
Les quatre principales causes du changement
climatique sont le système énergétique, la frilosité politique à le modifier,
le droit international des affaires et l’idéologie du PIB.
La
responsabilité du système de production industriel basé sur les hydrocarbures
(très récent dans l’histoire plurimillénaire de la civilisation occidentale, et
adopté aujourd’hui par toutes les civilisations du globe) est évidente :
or, nous savons aujourd’hui que faire pour adopter de nouveaux mix énergétiques
décarbonés, en conjuguant efficacité énergétique, énergies renouvelables,
intelligence des réseaux et sobriété, sans entamer matériellement le confort de
vie et en améliorant la santé et le bien-être des individus.
Sont
également responsables du changement climatique l’immense réticence et
frilosité de la majorité des gouvernements à réaliser des investissements
publics d’envergure maintenus sur la durée pour la transition écologique. Ce
manque d’ambition - qui s’explique notamment par « l’impératif
catégorique » de réduire l’endettement pour pouvoir continuer d’emprunter
sur les marchés, en limitant les dépenses et investissements - est couplé à une
peur quasi panique d’un ralentissement de la croissance du PIB à court-terme et
de la perte d’emplois au sein de certains secteurs d’activité émetteurs, que
provoqueraient l’implantation de nouvelles normes fiscales et réglementaires
appropriées. Or, de nombreuses études économiques invalident la peur de la
récession à un niveau macro-économique ; certains pays développés et
en développement montrent l’exemple en prenant des mesures extrêmement
ambitieuses tout en affichant la croissance de leur PIB ; et les
principaux syndicats des travailleurs concernés réclament eux-mêmes une aide à
la « transition juste » de leurs emplois vers les nouveaux secteurs
de la transition écologique, en cas de mesures impactant leurs métiers.
Les
règles du droit international actuellement en vigueur, relatives à la finance
et au libre-échange mondiaux, empêchent – pour ne citer que cela – la mise en
place au niveau national ou régional de normes commerciales et financières
favorisant l’accès aux marchés de biens n’impactant pas l’environnement. Bien
que les propositions de réponses à ces enjeux existent et que certaines
réformes soient timidement amorcées, aucune puissance hégémonique – pour ne pas
citer les Etats-Unis – ne semble vouloir entrainer les autres dans une telle
refonte du système économique mondial : les initiatives ad hoc des pouvoirs publics sont donc
actuellement risquées et soumises à l’offensive des pays dont les entreprises
seraient lésées.
Enfin,
la cause du réchauffement climatique est idéologique, dans le sens où il nous
est encore très difficile d’imaginer la croissance de l’emploi et le bonheur
des individus s’épanouissant dans le respect de limites à leur liberté de
consommer et de jeter toujours plus. La relocalisation des monnaies
alternatives et de l’économie du partage, la co-élaboration croissante de la
richesse, et des nouvelles formes de gouvernance démocratique incarnées par
certains groupements de citoyens comme le mouvement des Villes en transition ou
partis politiques comme Podemos, tentent de tracer des voies avec l’humilité de
l’expérimentation et de la progression à petits pas, avec les succès parfois
fulgurants que nous leur connaissons.
Toutes
les solutions sont donc à portée de main, déjà écloses, et d’autres s’apprêtent
certainement à naître : mais les jeunes engagés sur ces questions
constatent chaque jour que les évolutions sociétales de cette ampleur, si elles
ne reçoivent pas l’aide d’un ample braquage de gouvernail des institutions
politiques nationales ou internationales, prennent nécessairement du temps,
alors que le pic des émissions de gaz à effets de serre (GES) et leur réduction
brutale doivent être amorcés d’ici à peine quelques années au niveau mondial.
Michel Saloff-Coste
Si les jeunes sont conscients de
la potentielle inertie du système sociétal qui entretient le changement
climatique alors que les solutions sont à portée de main, que pensent-ils qu’il
adviendra du monde dont eux-mêmes et leurs enfants hériteront ? Comment
envisagent-ils leur action, une fois parvenus aux postes de pouvoir, dans un
scénario où ils ne pourraient plus inverser la trajectoire d’un dérèglement
climatique irréversible hors de tout contrôle humain ?
Les jeunes pensent-ils qu’ils pourront faire
évoluer, maintenant et ultérieurement, l’inertie de quatre causes du changement
climatique ?
Leslie Tourneville
Faut-il
rappeler que les succès de la campagne de « divestment », qui font
réagir aujourd’hui toutes les entreprises privées pétrolières et cesser des
investissements qui se comptaient en millions en dollars, ont été initiés par
des étudiants ? Mais faut-il rappeler également que plus de 75 % des
réserves de brut de pétrole sont contrôlées par des entreprises d’Etat et ne
peuvent donc que très difficilement être touchées par cette campagne désinvestissement ?
Faut-il
rappeler que, selon le GIEC, en l’état actuel des connaissances, les émissions
de GES devront être nulles en 2050, soit d’ici seulement 35 ans, pour avoir 85
% de chances de rester sous le seuil des 2°C d’augmentation moyenne des
températures mondiales d’ici 2100 ? Dit autrement, nous aurions toujours
plus d’une chance sur 10 de dépasser ce dangereux seuil des 2°C malgré tous nos
efforts pour décarboner entièrement notre économie dans un temps relativement
court.
N’oublions jamais que la nature, de même que le
futur, restent foncièrement imprévisible : un réchauffement climatique incontrôlable
pourrait advenir malgré l’inflexion de nos sociétés.
Je
tiens à dire que la jeunesse actuelle sait que son avenir n’est pas
entièrement entre ses mains : tout en militant et en créant les conditions
d’une nouvelle ère, elle sait qu’elle doit se préparer à construire sa
résilience face à l’imprévisible et au pire.
« Il
faut imaginer Sysiphe heureux » écrit Camus : les jeunes engagés d’aujourd’hui
sont autant de Sysiphes. Ils agissent en conscience avec toute leur bonne
volonté par des actions concrètes d’empowerment social et personnel, tout en
sachant qu’ils n’ont pas le pouvoir de dessiner le futur à long-terme de la
planète. Cette relative impuissance est autant due à l’inertie des systèmes
climatiques et océaniques qu’au fait qu’ils ne peuvent pas prendre les
décisions politiques de court-terme d’infléchissement de la courbe des émissions
des GES dans le laps de temps où tout se joue : leurs parents et grands-parents
le font actuellement à leur place. Le fonctionnement de la Terre se chargera du
reste.
Ils
doivent donc se tenir prêts à tout vivre durant ce prochain siècle : ils
s’y préparent mentalement, par les difficultés et les crises qu’ils vivent et/ou
constatent déjà au quotidien, et activement, par les campagnes sociales et les
efforts d’inventivité joyeuse qu’ils déploient pour créer les conditions d’une
société plus juste et résiliente. Ils savent aussi que les bonnes surprises et
les révolutions ne sont jamais à exclure du champ des possibles !
Ces
quatre grands scénarios du futur, contrastés et nuancés, sont le fruit de ce
raisonnement.
La généralisation du système D et de l’innovation
frugale
Un
premier scénario que j’envisage pour l’avenir est celui du « système D
comme art de vivre », par l’adaptation perpétuelle aux changements
climatiques et la raréfaction des ressources rendue possible grâce à un esprit
d’innovation sans cesse sollicité. Il faudrait la chute d’un astéroïde
géant pour assister au crash civilisationnel de l’Occident : les Etats
développés détiennent à la fois l’éducation, les richesses monétaires, les
infrastructures en place et la philosophie de l’innovation nécessaires pour éviter
les chocs trop brutaux et permettre à leur population de continuer à vivre « relativement »
bien, même si les ressources productives venaient à manquer du fait d’une
faible anticipation des problèmes. Au niveau mondial, ce scénario conduit à
imaginer la diffusion de techniques de résilience simples et peu chères,
inspirées de l’innovation frugale, partout sur la planète.
La vengeance des peuples contre les Etats
Le
deuxième scénario, beaucoup plus sombre, est celui de « la vengeance
des peuples » contre leur propre Etat et les États développés, dans un
contexte de détérioration insoutenable des conditions de vie à grande échelle.
Les jeunes générations, majoritairement pacifistes dans l’âme, n’imaginent pas
la constitution de blocs civilisationnels – sur quelles bases, et
pourquoi faire ? – et ne veulent pas d’une « guerre des
civilisations ». En revanche, les limites à l’adaptation au changement
climatique existent : il est tout à fait possible que des millions d’êtres
humains en Amérique du Sud et centrale, en Asie et en Afrique, soient poussés à
l’exil interne et international en cas de dérèglement climatique et
océanique particulièrement graves et de ruptures brutales d’approvisionnement
en ressources.
Au
delà des scénarios de guerres du climat développés par Harald Welzer,
entrainant instabilité politique, coups d’Etats, Etats faillis migrations
massives, je pense que nous pourrions voir se généraliser une violence visant
les Etats et ayant pour motif principal la dégradation environnementale. Elle
verrait la constitution de groupes infraétatiques potentiellement
transnationaux, issus des populations les plus impactées, informés sur les
causes des changements climatiques, recourir à la violence armée du terrorisme
et de la guérilla, aux frontières ainsi qu’à l’intérieur de certains pays
déclarés « responsables ». Ces groupes agiraient aussi bien par désir
de vengeance contre les Etats et populations jugées responsables de
l’irrémédiable, que pour exiger des transferts financiers massifs ou
l’ouverture des frontières pour l’accueil des populations réfugiées.
Des
procès de justice de juridictions nationales demandant réparation pourraient
également voir le jour, basée sur le préjudice environnemental et
l’identification d’acteurs institutionnels étatiques et de grandes entreprises
responsables.
La rupture technologique moteur d’un retour à la
centralisation et la régulation
Le
troisième scénario de la rupture technologique n’est ni un espoir ni une
solution pour de nombreux jeunes. Je pense toutefois qu’il ne doit pas pour
autant être exclu du champ des possibles. Une telle « solution
miracle » pourrait susciter un soutien politique puissant et une
modification du droit du commerce international afin de massifier son
expansion, ainsi qu’un désinvestissement massif du secteur des hydrocarbures à
son profit, à condition d’être développée par un ou plusieurs Etats parmi les
plus puissants de la planète et de posséder une forte « licence to
operate » auprès des populations.
En
revanche, ce scénario doit se concrétiser au plus tard d’ici vingt ans ans pour
avoir une chance importante de limiter le changement climatique.
Le rééquilibrage perpétuel entre besoins, production,
et ressources disponibles, grâce la gratuité
Un
quatrième scénario possible est celui de « l’étalon du Bonheur national
brut et la systématisation du gratuit ». Les réflexions actuelles portées
notamment par Jérémy Ryfkin sur le revenu de base, l’économie du don, la
décentralisation de la production des énergies renouvelables, les nouvelles
technologies à coût marginal quasi nul, ainsi que les usages des générations
internet baignées dans la culture de la gratuité et de l’horizontalité,
invitent à imaginer l’avènement d’une nouvelle revendication politique :
tout ce qui est considéré comme vital à l’épanouissement des personnes – se
nourrir, se loger, se déplacer, se former – doit être accessible à tous, donc
(quasi) gratuit. La libération de l’obligation du travail rémunéré et le don sont
le cœur battant de la société.
En
matière d’énergie, cette fourniture gratuite rend a priori impossible la
prévention de l’effet-rebond et la diminution de la quantité totale d’énergie
consommée ; en matière de fourniture de biens et services, la (quasi)
gratuité est contradictoire avec les impératifs de la production de masse à
faible coût, qui demande impérativement un retour sur investissement des
capitaux ayant été déboursés pour permettre les économies d’échelle nécessaires
à la massification. Comment les jeunes surmontent-ils ces deux
contradictions ? En introduisant quatre éléments :
- une éducation intégrée
holistique de tous les citoyens, conciliant la maîtrise de savoirs, savoir-être
et savoir-faire pratiques, ainsi que l’encouragement de l’entraide dès
l’enfance ;
- la multiplication de groupes de
volontaires inventifs auto-organisés, utilisant les nouvelles technologies et
une économie circulaire localisée pour offrir au public la majorité des biens
et services demandés à très faible coût ;
- la domination des énergies
renouvelables dans le mix énergétique, combinant l’obligation de sobriété de la
consommation à la gratuité de l’énergie ;
- et la définition de projets
politiques mettant la fraternité et le développement d’une économie de l’usage
au cœur des politiques publiques.
Les Etats comme le secteur privé
se verraient clairement attribués le rôle de favoriser la diffusion de la
quasi-gratuité. Les concepts de société de la rareté et de l’abondance seraient
dépassés : cette société serait celle de « l’adéquation » entre
les besoins des citoyens, la production, la consommation et les ressources de
la planète.
La jeunesse fait entrevoir le monde futur
souhaité sur le long-terme : mais ne peut à elle-seule, par définition, le
faire advenir à court-terme. Bientôt, sa première préoccupation sera de
s’adapter au monde qui sera advenu.
Quel
scénario du futur est le plus probable selon les jeunes ? Celui de tenter
de vivre heureux quelles que soient les difficultés et les crises à venir ;
sachant que le bonheur est impossible sans cohérence avec ses convictions et
ses aspirations. Le fatalisme ouvert à l’imprévu – attitude lucide devant le
problème du réchauffement climatique soumis aux inerties sociales et naturelles
– oblige à penser selon la philosophie cynique de Diogène, en valorisant les
initiatives perturbatrices, en faisant fi des discours abscons, en négligeant
la vanité matérielle, et en vivant au milieu de la cité selon sa propre sagesse,
sans vouloir nécessairement imposer son mode de vie à autrui. Au regard de la
nature de la menace climatique, alors qu’un nombre croissant de Cassandre ne
cesse depuis des décennies de lancer l’alerte, une telle position permet de
rester sain d’esprit. La jeunesse que je côtoie a fait sienne la prière de la
Sérénité : « Que me sois donnée la
sérénité d’accepter les choses que je ne peux pas changer, le courage de
changer les choses que je peux, et la sagesse d’en connaître la
différence. » Comment demander à la jeunesse d’être absolument sereine ?
En revanche, je pense que ma génération ne manque ni de courage ni de
sagesse.
[1] Dans la continuité du premier procès au monde sur la question de la
responsabilité en matière de changement climatique, qui a vu la décision en
juin 2015 d’un tribunal néerlandais ordonnant au gouvernement national d’améliorer
sa stratégie de réduction des émissions de gaz à effets de serre. La notion de
préjudice environnemental s’étendrait au changement climatique.
[2] D’autres indicateurs intégrés
existent, comme l’Indice de bien-être durable, la Bonheur national brut, etc.
L’objectif est ici de montrer la fin de la suprématie du PIB.
[3] In the continuity of the
world’s first climate liability suit, as a Dutch court ruling ordered the Dutch
government in June 2015 to cut its emission reduction targets. The notion of
environmental damage would expand to climate change.
[4] Other integrated indicators
than GPI (Genuine Progress Indicator) exist, like the Index of Sustainable
economic welfare, Gross National Happiness, etc. The objective is to show the
end of the GDP supremacy.
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