La nouvelle avant-garde : Vers un changement de culture de Michel Saloff-coste, Alain Gauthier et Carine Dartiguepeyrou (30 mai 2013)
La nouvelle Avant-garde n'est pas seulement une pensée : c'est une culture, une communauté de valeurs et de quête, le fruit d'une intuition collective qui rassemble des personnes de tous horizons autour d'un respect profond pour le vivant, de la conscience que nous ne connaissons qu'une part infime de l'univers.
MICHEL SALOFF COSTE
« Quand on considère cette incroyable aventure du passé,
comment penser que l'aventure du futur serait moins incroyable ? Quand on pense
qu'à chaque étape de ce passé l'étape suivante était inconcevable, impossible à
imaginer comme à prédire, comment ne pas penser qu'il en ira de même pour notre
futur ? » Edgar Morin
Pourquoi y a-t-il
quelque chose plutôt que rien ?
Le monde est-il donné une fois pour toutes ou au
contraire est-il en évolution ?
Quelle est la place de l'homme et son rôle dans le
cadre de cette évolution ?
Le changement et l'histoire sont-ils purement
hasardeux et chaotiques ou ont-ils un sens ?
Autant de questions qui, de tout temps, ont enflammé les
esprits des hommes, alimenté les débats philosophiques et structuré les
croyances religieuses.
Des cultures entières, des civilisations, sont nées,
se sont développées et effondrées en fonction de leur réponses, plus ou moins
pertinentes, à ces questions.
Des positions inconciliables, parfois totalitaires,
ont débouché sur des inquisitions, des persécutions, des guerres.
Des millions d'êtres humains continuent de croire
aveuglément encore en des représentations depuis longtemps invalidées et cela
même dans les pays les plus "modernes" comme le montre le débat sur le
créationnisme en Amérique.[1]
Pourtant, pour la première fois dans l'histoire de
l'humanité, le développement et l'élargissement extraordinaires de nos moyens
d'observations scientifiques dans le temps et l'espace nous donnent des
réponses nouvelles !
Le destin de l'humanité et du monde apparaît
aujourd'hui sous des angles inattendus.
L'identité de l'humanité en sort profondément
transformée. Paradoxalement cette métamorphose se fait dans le plus grand
silence médiatique, comme si ces changements étaient tellement immenses que
personne ne puisse en parler !
Une bonne
nouvelle venue du cosmos
Pour la première fois nous sommes capables aujourd'hui
de reconstituer en détail l'évolution de notre univers : "big bang",
vaste nuage d'hydrogène, première génération d'étoiles avec des composés
relativement simples ; deuxième génération d'étoiles avec des composés plus
complexes comme le carbone ; apparition d'organismes unicellulaires ; développement
et diversification des organismes multicellulaires. Finalement, après plusieurs
effondrements massifs de la biodiversité, émergence et expansion de la
conscience à travers des formes de vie de plus en plus complexes et apparition
de la conscience de la conscience avec l'homme !
Quelle créativité !
La découverte du big bang nous invite aussi à penser
au-delà de notre horizon d'observation et dans le cadre d'un cosmos infini. Le
big bang de notre univers n’en constitue sans doute qu'un parmi une infinité de
big bangs et donc d'univers possiblement différents les un des autres, se
déployant chronologiquement dans le temps et parallèlement dans l'espace[2].
Par contraste, lorsque je suis né, il était habituel
de penser que notre univers était éternel, immuable et donné une fois pour
toute comme une sorte de toile de fond minéral aux espèces vivantes et à
l'homme "moderne", seul capable d'évoluer et de progresser !
Une bonne nouvelle "radicale" me semble
avoir totalement transformé notre vision du monde : notre univers et au sens
large le cosmos est infiniment créatif, évolutif et porteur de sens. Il est
capable à partir d'un vaste nuage d'hydrogène de donner naissance à des girafes
et des tapirs mais aussi à Shakespeare et à Mozart et cela sans doute, de
manière différente et infiniment créative, dans des milliards de galaxies et
d'univers.
Le spectacle que nous révèlent pour la première fois
nos télescopes géants est non seulement esthétiquement magnifique mais aussi
grandiose en termes d'échelle, de temps, d'espace ! Le soleil ne représente
qu'un grain de sable à l'échelle de la voix lactée de notre galaxie qui elle-même
ne représente qu'une poussière à l'échelle de l'univers. Nos croyances et nos
rêves les plus fous se révèlent bien étriqués face à la réalité que nous révèle
notre découverte de l'univers.
Le fait que l'univers tout entier montre une constante
évolution créative vers plus de complexité et d'intelligence nous laisse
supposer que de nombreuses autres formes de vie et d'intelligence soient en train
d'évoluer dans les milliards d'autres galaxies.
Philosophiquement il nous faut sans doute penser le
cosmos comme espace et temps infini, création et évolution infinie non
seulement de la matière et de l'énergie mais aussi de l'information et de la
conscience[3] !
La possibilité du
jaillissement de la vie et de la conscience partout dans l'univers et cela bien
au-delà des limites et des contraintes terrestres et humaines, constitue sans
doute l'information la plus importante que l'homme doit intégrer aujourd'hui.
Cela remet en cause l'homo-centrisme qui préside à nos philosophies et
religions. Mais cela nous donne aussi l'immense espoir que nos aspirations vers
plus de sens et de conscience puissent être portées bien au-delà de nos limites
terrestres et humaines.
Cela est une
extraordinaire bonne nouvelle !
L'humanité n'est
plus isolée dans son aventure vers plus de conscience et de sens, perdue au
milieu d'un vaste univers inerte et minéral. Au contraire, des milliers d’autres
formes de vies et de consciences, sans doute encore plus évoluées, existent et
assurent, au-delà des limites terrestres et humaines, la pérennité de
l'aventure de la vie et de la conscience.
Notre conscience dont nous nous montrons si fiers ne
représente sans doute qu'une des formes intermédiaires parmi une multitude de
formes de conscience, plus ou moins larges et complexes. D'une certaine manière
le Cosmos lui-même peut être considéré "conscience" comme nous invite
à le penser les Upanishads, un des textes les plus anciens de l'humanité :
« As
is the human mind, so is the cosmic mind. As is the microcosm, so is the macrocosm. As is the atom, so is the
universe! »-
Upanishads
Nos aspirations
et nos rêves les plus grandioses d'expansion de la vie et de la conscience ne
constituent sans doute que des reflets bien ternes et limités de formes de vie
actuellement en développement dans notre galaxie et dans les milliards d'autres
galaxies.
La tête dans les étoiles
C'est une
véritable révolution, encore plus profonde que celle de Copernic. Non seulement
nous ne sommes plus le centre du monde topographiquement, mais nous sommes
aussi obligés de remettre en cause notre "homo-centrisme", notre
centralité ontologique en tant que seuls êtres "pensants" et
"conscients de la conscience" dans l'univers.
Cette thématique
alimente la littérature dite de "science-fiction" qui apparaît comme
une tentative humaine parfois maladroite, mais souvent aussi originale, de
penser notre nouvelle identité au milieu de formes de consciences différentes.
D'une certaine
manière nous sommes enfin déchargés de la responsabilité immense, et sans doute
démesuré pour nos fragiles épaules, de porter le monde.
D'autres points
de lumières existent même si nous disparaissons. Même si nous nous égarons,
d'autres formes de vie et de conscience pourront trouver le chemin. Bien plus
profondément l'aventure humaine avec la conscience qui la caractérise et qui
nous tient tant à cœur, semble en quelque sorte inscrite au cœur même du cosmos
dans son devenir le plus intime, encore, encore et encore !
Cependant à
l'échelle humaine nous sommes bien loin de pouvoir franchir physiquement les
espaces et les temps dans lesquelles s'opère le "jeu" cosmique. La
fantastique danse des galaxies que nous révèlent nos télescopes s'effectue sur
des distances infranchissables et sur des échelles de temps où une vie humaine
est aussi insignifiante qu'éphémère. Nos frères et sœurs de conscience
apparaissent dispersés sur des espaces immenses et inatteignables dans le cadre
étroit de nos vies humaines.
Pourtant nous
languissons tant de "les" connaître que nous croyons déjà les voir
partout, venus d'ailleurs, dans de fulgurantes soucoupes volantes
paradoxalement aussi insaisissables que populaires !
Les échelles de
temps et d'espace de l'évolution cosmique nous obligent à beaucoup de modestie,
y compris sur Terre. De même que nous n'avons pas connu la grande majorité des
espèces terrestres passées et notamment les glorieux dinosaures qui ont dominé
la Terre pendant des millions d'années, il nous est bien difficile d'imaginer
et de connaître dans quelques millions d'années les espèces qui nous
remplaceront un jour sur cette Terre et qui nous surpasserons sans doute en
intelligence.
L'infiniment
grand nous renvoie en miroir aux limites étroites de nos vies : infiniment
courtes et infiniment immobiles. Nos rêves de pouvoir, notre agitation
perpétuelle, nos guerres fratricides et absurdes apparaissent aussi sympathiques
et insignifiantes que l'agitation multicolore des poissons exotiques et
amnésiques tournant en rond dans le petit aquarium d'une chambre d'enfant.
De même que
l'histoire de l'univers se dévoile à nous, nous découvrons mieux que jamais nos
origines préhistoriques et tous les détails de l'évolution humaine sur Terre.
Nous disposons désormais de suffisamment de données quantitatives pour dépasser
l'histoire purement événementielle, aléatoire et anecdotique. Nous pouvons
comprendre les grandes étapes de notre passé sous l'angle d'une évolution
structurelle et logique. Cela nous permet de parvenir à une bien meilleure compréhension
de notre futur et de ses enjeux[4].
L'histoire humaine s'accélère
Il y a environ un
million d'années nous apparaissons en tant qu'espèce dans la famille des grands
mammifères. Nous nous distinguons par le volume de notre cerveau, par notre capacité
à sortir de notre niche écologique et à explorer la planète, à nous adapter à
tous les climats, à chasser en bande, à inventer des pièges, des outils et des
signes. Par notre habileté à la chasse et à la cueillette il semble que, dès
cette époque, nous avons un impact significatif et mesurable sur notre
environnement végétal et animal. Nous ne sommes pourtant que quelques millions
dispersés sur toute la surface de la Terre.
Il y a environ 10
000 ans commence la période dite historique avec le développement de
l'écriture, de l'agriculture et de l'élevage. Les empires égyptien, indien,
mongol, chinois, grec, romain, chrétien et arabe structurent de vastes
territoires et les premières villes apparaissent. En quelques milliers d'années
nous déboisons plus de la moitié des terres cultivables de la planète.
En 1850 nous
sommes devenus un milliard. Grâce au crédit bancaire et à l'exploitation des
énergies fossiles, l'industrie se développe considérablement. Les émissions de
CO2 et l'exploitation massive des ressources minérales commencent.
En 1900, en France par exemple, plus de la moitié des emplois sont créés dans
le secteur industriel. En quelques décennies nous détruisons un tiers de la
biodiversité et la moitié de certaines de nos ressources minérales. Nous
transformons de manière mesurable notre atmosphère et la température de la
planète.
Aujourd'hui nous
sommes sept milliards, la pollution tue des milliers de personnes chaque année[5].
Du fait de la surexploitation des terres et des mers, nous assistons à un
effondrement rapide de la biodiversité et à la mise en danger de nos capacités
de production alimentaire agricole et océanique. Le climat tout en devenant de
plus en plus chaotique se réchauffe beaucoup plus rapidement que prévu. Alors
que nous pensions pouvoir stabiliser le réchauffement à 2 degrés d'ici la fin
du siècle, il est maintenant prévisible que nous dépassions 3 à 4 degrés d'ici
2050 et possiblement 6 à 8 degrés d'ici la fin du siècle. Cela signifie une
transformation très profonde de notre biosphère, une montée significative du
niveau marin, une destruction massive de notre biodiversité et une précarité
croissante pour des milliards d'êtres humains à travers des crises économiques,
sociales et écologiques d'ampleur mondiale aboutissant à des génocides et la
possible disparition de l'humanité !
Le piège du pétrole
Il s’avère
paradoxal et ironique que notre réussite face à toutes les autres espèces
animales soit venue de notre capacité à créer des pièges de plus en plus
sophistiqués et que nous soyons peut être appelés à disparaître dans une sorte
de gigantesque piège créé par nous-mêmes à l'échelle de la planète.
Comme dans un
piège nous sommes attirés par une ressource, "le pétrole", mais comme
dans un piège aussi lorsque nous prenons conscience du danger il est impossible
de faire marche arrière !
Notre
civilisation tout entière est basée sur le pétrole. Le pétrole, "l’or
noir", se trouve au centre des grands enjeux capitalistiques,
géopolitiques et planétaires d'aujourd'hui et de demain. Même une économie
verte, basé sur le recyclage total et sur une gestion optimisée des ressources
grâce aux technologies de l'information, a besoin d'énergie !
La croissance, le
développement industriel, le PIB est directement corrélé avec l'offre énergétique
et plus particulièrement avec le cœur de cette offre, la source la plus
pratique et maniable à ce jour : le pétrole[6].
Le pétrole fournit
aujourd'hui encore 90% de l'énergie de nos transports et représente la première
source d'énergie de l'industrie et de l'agriculture. Dans le contexte de notre
mixte énergétique actuelle, le peak oil,
c'est à dire le plafonnement de la production de pétrole, signifie la fin de la
croissance et une lente décroissance à mesure que la production va s'effondrer.
Cependant
malheureusement si le flux de la production de pétrole en plafonnant est
incapable d'alimenter notre croissance, en revanche le CO2 diffusé
par ce flux (pourtant restreint) est suffisant, en s'accumulant durablement
dans l'atmosphère, pour générer désormais un effet de serre et un réchauffement
climatique susceptibles à terme de déréguler l'ensemble de notre écosystème,
nous anéantir et détruire la plus grande partie des animaux et des végétaux[7].
Nous savons
depuis longtemps que notre dépendance au pétrole est dangereuse. Depuis
longtemps nous cherchons des énergies alternatives et cela parfois de manière
très coûteuse et dangereuse. Cependant l'impact reste, même à moyen terme,
marginal du point de vue du mixte énergétique planétaire. Le nucléaire,
l'éolien et le solaire sont complémentaires au pétrole mais restent secondaires
en termes de pourcentages dans le mixte énergétique mondial, et leur potentiel
de développement reste insuffisant à court terme du faite de l'ampleur des
infrastructures à mettre en place, de l'importance des capitaux à investir et
des délais de finalisation.
Malgré le
plafonnement annoncé de la production de pétrole, des prix qui s'envolent, une
situation géostratégique des ressources précaires et des risque écologiques
planétaire majeurs, nous n'avons pas de plan de transformation réelle de notre
modèle énergétique dans les trente ans à venir et nous ne connaissons aucune
source d'énergie de substitution crédible permettant de répondre rapidement et
écologiquement à la demande de sept milliards d'êtres humains en pleine
croissance et développement[8]
! Nous sommes obligés de nous rabattre sur des sources d'énergie encore plus
polluantes et controversées comme les schistes bitumineux, le gaz de schiste ou
le charbon.
L'espèce humaine
est jeune sur l'échelle de vie d'une espèce. Il serait triste que nous
disparaissions prématurément en détruisant complètement notre magnifique
écosystème du fait, paradoxalement, de notre trop grande et fulgurante réussite
parmi toutes les espèces vivantes sur la Terre.
Notre réussite,
notre croissance en termes de population et de PIB, est directement corrélée et
liée à l'exploitation d'une ressource non renouvelable et polluante, le
pétrole. Nous avons su inventer cette civilisation basée sur le pétrole et elle
nous a permis un développement exceptionnel et historiquement incomparable. Serons-nous
capables de survivre aux effets délétères et pervers d'un modèle de
développement à bout de souffle ?
Pourrons-nous
faire marche arrière et trouver une évolution future viable pour tous ?
Rien n'est moins
sûr.
Les sommets de
chefs d'Etat autour des enjeux climatiques depuis plus de vingt ans ne
constituent que des cache-misère où chacun (tout particulièrement les
principaux acteurs) vient officiellement réaffirmer son droit inaliénable à
polluer et a émettre toujours plus de CO2 au nom du besoin, vital
pour l'économie, de la croissance du PIB. Ces sommets qui devaient à l'origine
apporter des solutions planétaires et réassurer notre bien commun le plus précieux,
notre avenir collectif à long terme, ne font au contraire que mettre en scène
des intérêts égoïstes à court terme de chaque nation et la programmation
assumée de la destruction à moyen terme de la biosphère planétaire et de
l'humanité.
Comment en
serait-il autrement puisque les diplomates autour de la table sont mandatés par
leur pays pour défendre leur intérêt local et à court terme et que personne
n'est là pour représenter le long terme, la biosphère et l'humanité ?
Gouvernance planétaire et montée des extrêmes
L'humanité se
révèle aujourd'hui sans défense et sans gouvernance, face à des enjeux qui
l'interpellent dans sa capacité d'unité et de devenir collectif. Les peuples,
dans le monde entier, y compris dans nos démocraties dites avancées, sont
séduits de plus en plus par des discours populistes simplistes de repli
identitaire, intégriste et totalitaire alors que les enjeux planétaires réclament
ouverture, dialogue, remise en question et transformation de nos modèles
d'évolution.
L'accès aux
ressources essentielles, la terre, l'eau, l'air, devient de plus en plus
problématique. Elles sont sources de conflits, de plus en plus difficiles à
gérer partout dans le monde et le pétrole, lui, reste l'ultime joker
incontournable de la puissance et du déploiement armé.
L'effondrement de
la croissance remet en cause nos économies basées sur le crédit, rend nos états
insolvables, déstructure le contrat social de nos sociétés et rend difficile le
financement, pourtant stratégique, d'une transition vers un nouveau modèle
économique social et écologique.
Les politiques de
transition vers un nouveau modèle butent sur l'incapacité des politiques
politiciennes partisanes de sortir du court terme et de l'agitation.
Nous risquons des
guerres entre les grands continents afin d'accéder aux ressources alimentaires,
minières et énergétiques. Mais nous risquons aussi l'apparition de guerres civiles
au sein des continents eux-mêmes, liées au désarroi, à la polarisation de la
société civile entre des positions traditionalistes et révolutionnaires et à
l'extrémisme des positions politiques, comme on le voit aux Etats-Unis entre
les mouvements Occupy and Tea Party et au Moyen Orient entre les
intégristes traditionalistes et les révolutionnaires modernistes.
Dans le monde
entier se superposent de manière complexe et imbriquée des luttes souterraines
ou affirmées : les luttes entre états pour élargir leurs zone
d'influences, accéder aux ressources non renouvelables et si possible
sanctuariser le territoire national par un parapluie atomique ; les luttes
entre cultures et religions pour élargir leur audience et assurer une
domination régionale ; les luttes économiques et monétaires afin de maîtriser
les chaînes de créations de valeur et de capitalisation ; les luttes pour contrôler
l'information et être précurseur en termes d'innovation.
L'humanité est en
guerre contre elle-même depuis les premiers combats entre tribus il y a
plusieurs millions d'années. Mais ces guerres incessantes sont aujourd'hui incompatibles
avec la bonne gestion et la survie de notre espèce sur cette planète !
Embarquement vers le
futur
Nous avons lors du siècle précédent appris à
comprendre notre passé et à anticiper notre futur. Les problématiques
auxquelles nous sommes confrontées aujourd'hui ont été anticipées dès les
années 70 avec déjà une certaine précision : la population croissante, le
plafonnement des ressources, le réchauffement climatique, parmi d’autres.
Nous avons pu vérifier notre capacité à anticiper
le futur et nous avons pu améliorer et développer des méthodes de plus en plus
robustes et précises. Il est possible de prévoir avec de plus en plus de
précision le futur grâce aux masses considérables d'informations que fournit
aujourd'hui Internet. Mais la prospective ne consiste pas simplement à
anticiper le futur et les scénarios les plus probables, la prospective consiste
aussi à imaginer des futurs possibles. Les scénarios les plus probables ne sont
pas toujours les plus souhaitables, et l'apport le plus précieux de la prospective
est de nous donner un temps d'avance pour orienter stratégiquement l'action
dans un sens désirable.
Dans le contexte planétaire d'aujourd'hui le
scénario le plus probable, si on laisse se dérouler les événements dans la
logique actuelle, présente de grands risques pour l'humanité.
Comme le jardinier peut pratiquer une taille de
restructuration sur un arbre, l’homme doit se raisonner et élaguer des
habitudes devenues inadaptées pour permettre à l’humanité de survivre et
s‘épanouir dans toute sa splendeur.
Quel mode d’emploi ?
Que faut-il faire pour éviter le scénario
catastrophe, de plus en plus documenté mais aussi malheureusement, de plus en
plus probable du fait de notre inertie ?
La première condition est de ne pas se laisser
enfermer dans l'irrémédiable. Il est important de bien mesurer et comprendre le
danger mais aussi les possibilités d'évolutions et de création que suscite une
crise de cette ampleur. L'humanité bénéficie d'un niveau d'éducation et des
moyens de communication sans précédent pour créer et innover collectivement. Il
est vital que les personnalités les plus créatives dans tous les domaines, se
rencontrent, échangent et élaborent des solutions et des scénarios alternatifs
convaincant et solides. Sur ces sujets une réflexion bouillonnante s'est
développée dans le monde depuis une trentaine d'années. D'abord très marginale,
elle a touché les milieux intellectuels de la recherche et les think tanks
de prospectives, puis elle a commencé à se répandre dans certaines universités
de pointe. Les livres sur le sujet se sont multipliés. Depuis une quinzaine
d'années ces réflexions donnent lieu à des congrès et débats internationaux de
formats et de sensibilités divers. On a vu apparaître au-delà des débats
théoriques des tentatives de mise en pratique . Plus récemment le cinéma et
même la télévision se sont emparés du sujet.
A mesure que les informations s'échangent on voit
apparaître un consensus et une compréhension de plus en plus détaillés du
diagnostic et de la nature de la crise.
Les différents risques sont de mieux en mieux
documentés.
On commence à voir apparaître des tentatives pour
hiérarchiser les risques, si bien que des débats sur les différents types de
solutions deviennent possibles. A mesure que la crise s'amplifie on voit
apparaître aussi des réflexions de plus en plus hétérodoxes, ambitieuses et
créatives. Comme dans les grandes évolutions et transformations humaines du
passé, la transition que nous vivons s'élabore d'abord à travers la critique
épistémologique des cadres de référence du passé. Face à des équations
apparemment impossibles à résoudre et à des catastrophes apparemment
irrémédiables, les solutions ne peuvent être trouvées qu’en changeant d’échiquier
et en questionnant nos a priori. De nouvelles approches philosophiques,
artistiques et scientifiques sont en train d'émerger et de se préciser.
Trois grands
bouleversements ?
Au-delà des différentes approches théoriques et des
pratiques encourageantes qu'elles suscitent à différents niveaux d'échelle,
trois grandes difficultés me semblent subsister et devenir très préoccupantes.
Un nouveau rapport au temps : pour la première
fois l'humanité doit se préoccuper de son futur à long terme, anticiper des risques
majeurs, inventer des solutions en urgence et, avant qu'il ne soit trop tard,
les mettre en œuvre à l'échelle planétaire. L'humanité n'a jamais eu à faire
cela avant. Sera-t-elle capable d'apprendre dans les délais ?
Un nouveau rapport a la planète : jusqu’à
maintenant la planète constituait une ressource, et chaque nation se trouvait en
concurrence avec toutes les autres pour étendre son exploitation. Les enjeux
planétaires impliquent que les anciens ennemis apprennent à vivre comme dans
une famille en se soutenant mutuellement et en protégeant leur bien commun,
leur maison : la planète et sa biosphère. L'humanité sera-t-elle capable de
faire la paix ?
Le caractère planétaire de la crise appelle à une
gouvernance planétaire. La pollution ne connaît pas les frontières ! Mais
cette gouvernance ne pourra être légitime que si elle renouvelle la dynamique
démocratique et la délibération populaire. Or nous assistons, au contraire, du
fait même des inégalités croissantes, à l'hégémonie toute puissante de
nouvelles formes de ploutocraties, très minoritaire, qui monopolisent les
leviers du pouvoir sans légitimité démocratique.
Comment gérer la famille
humaine et ses limites ?
Pour se rendre compte des choix auxquels l'humanité
est confrontée, il se révèle intéressant de se projeter sur des temps longs qui
nous permettent, comme des loupes, de rendre évidents un certain nombre
d'enjeux.
La population planétaire forme un exemple facile à
comprendre et très structurant.
Combien d'êtres humains souhaitons-nous compter sur
la planète Terre à un horizon de 100 ans, de 1000 ans, ou de 100 000 ans ?
Cette question est importante, car si nous devons
gérer la Terre comme la maison de la famille humaine et apprendre à nous aimer
plutôt qu’à nous déchirer, il est souhaitable d'être réaliste sur la taille de
la famille que nous pouvons entretenir dans de bonnes conditions pour chacun.
Il est facile aussi de comprendre que notre qualité
de vie dépend du nombre de personnes que nous souhaitons et du niveau de vie
général de la famille.
Si nous généralisons par exemple le modèle américain,
il nous faudra une dizaine de planètes pour supporter les 9 milliards que nous
serons aux environ de 2050.
Avec le modèle européen il faudrait environ cinq
planètes.
Si les Américains considèrent que leur mode de vie
n'est pas négociable et si nous voulons une société relativement homogène celà
veut dire que nous devons réduire à terme la population planétaire à moins d’un
milliard.
Historiquement il est important de prendre en
considération que ce que nous appelons la société de consommation n'a touché
principalement qu’un milliard de personnes sur les sept milliards que nous
sommes à présent, tandis que l'impact sur la planète est déjà insoutenable. La
généralisation de notre mode de vie à l'ensemble de l'humanité est irréaliste
mais nous faisons croire cependant à l'humanité tout entière que nous sommes un
modèle viable ! Notre système bancaire fondé sur le crédit se nourrit de
la croissance. La croissance implique une constante augmentation de la
population ayant accès à la société de consommation. Actuellement le système
économique mondial serait en faillite sans la croissance des pays émergents. Cependant
l'intégration des 500 millions de nouveaux consommateurs pose de nombreux
problèmes en termes de ressources renouvelables et de respect de la
biodiversité. Qu'en sera-t-il dans un siècle et a fortiori dans mille
ans ? N'oublions pas que ces nouveaux consommateurs ne représentent qu’un
dixième du restant de l'humanité !
Comment vont réagir au cours de se siècle les 5
milliards d'êtres humains qui, loin de bénéficier du progrès, subissent sans
contrepartie et de plein fouet les effets pervers de notre développement : le
réchauffement climatique, la désertification de leur terres et la famine.
Voici un exemple très symbolique de l'injustice flagrante
du développement actuel vis-à-vis de certaines populations : la pollution
planétaire ayant tendance à se concentrer lentement aux pôles du fait des
courants marins, les phoques qui vivent dans ces régions sont empoisonnées par
des centaines de polluants différents et deviennent donc de moins en moins
comestibles. Les populations esquimaudes qui se nourrissent essentiellement de
phoque voient le lait maternel des femmes devenir toxique. Ce peuple frugal qui
vit depuis des dizaines de milliers d'années en équilibre avec la nature est
littéralement empoisonné et anéanti dans ses ressources essentielles du fait
des débordements du reste du monde.
Que faire ?
J'aimerais conclure sur quelques pistes qui me
semblent incontournables si nous voulons sauver l'humanité et la biosphère avec
les espèces animales et végétales qui nous sont familières et que nous avons
appris à aimer.
Conscience planétaire
Il est important d'ouvrir le dialogue et la
collaboration entre les pays, les religions, les cultures mais aussi les
expertises, les secteurs, les filières. Ce dialogue est important pour que des
consensus partagés et démocratique puissent émerger[9].
C'est aussi le moyen de la prise de conscience planétaire d'une nouvelle
identité humaine élargie.
Changement de paradigme
et philosophie intégrale
Comme à chaque grande transformation et étape du
développement humain, l'émergence d'un véritable "conscience
planétaire" implique une déconstruction et une analyse critique de nos
systèmes de croyances passés et de leurs limites. La découverte de l'unité
humaine, dans le respect des différences culturels et de l'altérité de chacun,
implique l'élaboration d'un nouveau paradigme culturel capable d'intégrer la
richesse multidimensionnelle de l'histoire humaine et la diversité des formes
de sagesse. Il s'agit d'élaborer une philosophie nouvelle et des valeurs
adaptées aux enjeux d'aujourd'hui.
Coévolution et structures
participatives
En termes de management nous devons développer des
structures horizontales qui permettent la créativité, la participation et la
mise en valeur du plus grand nombre.
Ré-enchanter le futur
Il n'y pas de vent porteur pour le navigateur qui
ignore où il va ! Si l'humanité veut survivre, il lui faut s'extirper de la
torpeur et du laisser-aller. Il faut inventer des chemins alternatifs au
scénario catastrophe standard[10]
et créer, imaginer des scénarios positifs, crédibles et robustes pour l'avenir
de l'humanité.
Notre avenir dépend de notre capacité à recycler ce
que nous produisons, dé-carbonner notre modèle énergétique et inventer une
manière de capter le CO2 existant avant qu'il ne soit top tard.
Il nous faudra sans doute augmenter la résilience
et l'autonomie à différents niveaux d'échelle en relocalisant le plus possible
la production énergétique, alimentaire et industrielle au plus près du
consommateur final.
Dans le contexte de cette relocalisation il est
aussi important d'imaginer une diversité de modèles économiques et de monnaies
d'échange local permettant une meilleure fluidité et une meilleure distribution
de la richesse en réduisant les effets pervers de la spéculation et de la
concentration capitalistique au niveau mondial[11].
La relocalisation et la subsidiarité doivent être
complétées par l'élaboration d'une forme de gouvernance mondiale démocratique
en charge du bien commun et des enjeux planétaires à long terme. Il n'y aura
pas durablement de démocratie locale si nous n'apprenons pas à construire une
démocratie à l'échelle de la planète.
[1] Creationism not
Evolution? 46% American adults believe our world is less than 10,000 years old
and God created man in present form. Sondage
Gallup.
[2] Enseignant à l'Université Stanford depuis 1990, Andrei
Linde, un des plus grands cosmologistes de notre temps, a formulé en 1982 une
nouvelle théorie de l'univers qui se veut une "amélioration" du
modèle du Big Bang (l'explosion initiale à l'origine de la création de
l'univers). L'univers décrit par Linde enfanterait de nouveaux univers par
autoreproduction et selon une arborescence empruntée aux mathématiques
fractales découverte par Benoît Mandelbrot. Il y aurait donc eu création d’un
univers à partir duquel plusieurs bulles se seraient formées de façon
indépendante. Ces nouvelles bulles seraient en fait des points de l'univers qui
seraient entrés en expansion en eux-mêmes, sans affecter l'univers originel.
Chacun de ces univers aurait ses propres lois de la physique et pourrait donner
naissance à d'autres univers, et ainsi de suite. Ce mécanisme donnerait lieu à
un univers autoreproducteur éternel et infini dans le temps et dans l'espace.
Le modèle de Linde est à la fois très audacieux et très novateur car il dépasse
le problème de l'origine du Big Bang et se situe dans un nouveau cadre
théorique qui intègre la relativité générale et la physique des particules
(théorie quantique des champs et théorie des interactions fondamentales) pour
obtenir un cadre explicatif plus général. Ce nouveau cadre, appelé
"quintessencence" par certains physiciens, est fascinant car il ouvre
la possibilité mathématique et physique d'une création ex nihilo, à partir de
fluctuations du vide quantique.
[3] La théorie des champs akashiques d’Ervin Laszlo: Science
and the Akashic Field: An Integral Theory of Everything propose un champ
d'information comme substance primordiale du cosmos. Utilisant le terme Sanskrit et Védique pour
l'"espace", Akasha, il
nomme ce champ d'informations le "champ akashique"
ou "champ A". Il explique que le "vide quantique" constitue
l'énergie fondamentale qui transporte des informations et informe non seulement
l'univers présent, mais tous les univers passés et futurs (ensemble, les
"méta-univers"). Laszlo décrit comment ce champ informant peut
expliquer comment notre univers est si profondément bien réglé ainsi que
comment se forment les galaxies et la vie consciente et pourquoi l'évolution
est un processus non pas aléatoire, mais réglé. Son idée est que son hypothèse
peut résoudre plusieurs problèmes de la physique quantique, entre autres la non-localité et l'intrication quantique. Son hypothèse permettrait également de régler des différends entre
religion et science.
[4] “Time, change
and the laws of history”, by Douglas H. Ervin SFI Bulletin 2012 Vol.26
[5] L'OMS -
qui estime que la pollution atmosphérique en milieu urbain serait responsable
d’1,3 million de décès annuels dans le monde - et par l'Union européenne, à
travers différents programmes et notamment Aphekom. Les
principaux polluants incriminés sont des gaz (ozone, dioxyde
d'azote, dioxyde de soufre...), des métaux lourds (plomb, cadmium...), ou des
particules en suspension dans l'air. http://www.lepoint.fr/futurapolis/climat-energie/du-risque-dans-l-air-10-09-2012-1504672_434.php
[7] « Les
émissions de gaz à effet de serre ont un effet cumulatif, c'est-à-dire que leur
effet s'additionne année après année, exactement comme l'effet de la fumée du
tabac s'additionne année après année sur les poumons du fumeur, pour le tabac
comme pour le climat, quand les ennuis sont là il est trop tard pour faire
machine arrière. De même, une fois que les ennuis du changement climatique
seront là, nous ne pourrons plus faire machine arrière, même en baissant les
émissions et la seule certitude que nous aurons alors est que les ennuis
iront en s'aggravant pendant un ou deux siècles au moins quoi que nous fassions. Il est
impossible de déterminer scientifiquement à quel moment
nous franchirons le seuil nous assurant d'une catastrophe climatique majeure
dans un futur plus ou moins lointain. Nous ne pouvons pas reprocher aux
pouvoirs publics notre manque de volonté personnelle pour moins prendre
l'avion, moins conduire, moins chauffer nos logements ou avoir des maisons
moins grandes, moins acheter de produits manufacturés, etc., et nous ne pouvons
raisonnablement demander à l'industrie de porter seule l'effort de réduction
des émissions, alors que sa contribution n'est que de 20 à 30% du total. Pour
le changement climatique comme pour le tabac, une large
partie de l'effort à fournir repose sur les épaules de vous et moi. » http://www.manicore.com/documentation/serre/tabac.html
[8] « En
imaginant une croissance à deux chiffres comme toute économie dynamique peut
l’avoir si sa natalité ne fléchit pas, nous aurions déjà facilement atteint les
dix milliards d’êtres humains sur la planète en 2010, l’Europe et l’Amérique
seraient en plein boom, talonnées par la Chine et l’Inde. Le monde connaîtrait
une période de prospérité comme il n’a jamais connu. Deux milliards d’êtres
humains seraient en train de rejoindre le niveau de vie et la richesse des pays
les plus avancés. L’automobile verrait son marché tripler. En 2020 nous sérions
20 milliards d’êtres humains, en 2030 40 milliards, en 2040 80 milliards et en
2050 160 milliards. Ce développement qui serait tout à fait naturel si nous
n’étions pas limités par nos ressources correspondrait au pillage et à la
complète destruction de plus de 200 planètes. Si nous continuions à ce rythme-là,
nous dépasserions les 1000 milliards en 2100. C’est ce contexte de croissance
qui permettrait en effet d’assurer nos retraites, de valoriser nos actions par
une croissance à deux chiffres et de financer l’éducation et la recherche par
la promesse de développement futur grâce à des marchés émergeants. Si cette
croissance de dix pourcents est absolument nécessaire afin de rendre crédible
nos endettements et nos systèmes de retraite, on voit bien que, dans la
réalité, cette croissance débouche sur une situation écologiquement impossible
et insoutenable. Par contre, le fait que cette croissance soit aujourd’hui
impossible, rend chaque jour plus improbable le remboursement de nos dettes.
L’économie mondiale apparaît comme un château de cartes construit sur de la
dette insolvable et l’illusion d’une croissance future. »
Michel Saloff Coste, Prospective d'un monde en mutation, Harmattan, 2009
[9] C'est ce que développe le Club de Budapest à travers
Les soirées des Amis et l'Université Intégrale.
[10] C'est le rôle d'organisations telles que "Design
Me a Planet".
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