Dans moins de quinze ans seront vraisemblablement avérées les prophéties de ceux qui annonçent la victoire sur la mort et le triomphe d’une forme de vie non biologique. Le slogan de Google « nous allons tuer la mort » n’est pas qu’une formule publicitaire. Car les technologies déchainées avancent inexorablement vers le moment où nous serons plus qu’humains. De la réparation de nos organes à leur fabrication, de la collection de nos pensées à leur téléchargement sur des formes artificielles, le jour n’est pas très loin où nous pourrons déclarer que nous avons aboli la mort. Que nous avons accompli le rêve prométhéen d’immortaliser ce qu’il y a de plus précieux en nous.
Les annonces se succèdent. Pas un jour sans que l’on parle d’une startup capable d’implanter notre personnalité dans un clone robotique, d’un laboratoire de biotechnologies affirmant pouvoir reconstruire un foie humain et d’autres organes grâce à une imprimante 3 D, d’un Facebook ou d’un Google déclarant avoir recruté la crème de la science pour atteindre le Graal de l’intelligence artificielle. Le flot des informations est incessant. C’est tuant.
Nos maternités, s’il en existe encore, arboreront-elles à leur fronton la devise imaginée par Houellebecq dans La possibilité d’une île « Bienvenue dans la vie éternelle ! » ?
Rafraîchissons-nous d’abord la mémoire pour citer quelques exemples d’avancées technologiques qui nous mènent résolument vers cette fin.
Résurrection
Humai, une jeune start-up australienne affirme pouvoir ressusciter le premier humain dans les 30 ans, en implantant sa personnalité et ses souvenirs dans un clone robotique.
Le président de la société, Josh Bocanegra, déclare : « Nous utilisons l’intelligence artificielle et la nanotechnologie pour stocker les données sur les styles de conversation, les schémas comportementaux, les processus de pensée et des informations sur le fonctionnement de votre corps de l’intérieur vers l’extérieur » promet le site de la start-up australienne. En d’autres termes, à l’heure de votre mort, votre cerveau serait ainsi maintenu en vie et implanté dans un clone. Mieux encore, les nanotechnologies pourraient permettre de réparer, voire d’améliorer les cellules cérébrales. Au lieu de s’endommager, votre cerveau serait de plus en plus performant au cours du temps.
Cerveau cloné
Martine Rothblatt est la dirigeante de la compagnie biomédicale américaine United Therapeutics. Elle a créé un robot humanoïde et y a connecté un clone de cerveau, c’est-à-dire une copie numérique des souvenirs d’un être humain. Cet être n’est autre que sa femme, Bina Aspen. Le projet porte son nom : Bina48. La vidéo de l’expérience qui a déjà fait le tour du web est bluffante car l’on y voit Bina48 tenir une conversation, répondre, ressentir en fonction des souvenirs passés et des émotions ambiantes.
Fabrication du vivant
Il y a quelques mois, nous avions rencontré pour UP’ le professeur Franco. Il est Professeur Emérite à l'Université Paris-Sud, ancien chef du service de chirurgie de l'hôpital Antoine Béclère de Clamart, responsable de l'unité d'hépatologie translationnelle du DHU Hepatinoiv, à l'Institut Pasteur. C’est une des grandes figures de la construction d'organes et de tissus à partir de cellules souches. Il dirige l’association CellSpace, destinée à promouvoir la recherche dans le domaine de la bio-construction de tissus et d'organes. Ce n’est donc pas un fantaisiste. Dans cette interview, il nous parle tranquillement d’un monde nouveau, fascinant et un peu inquiétant ; celui de l’ingénierie des cellules souches, des biomatériaux, du micropatterning et du bioprinting, des bioréacteurs et de modélisation du vivant. Le professeur Franco affirme ainsi que nous sommes déjà en partie capables de reconstruire nos organes, foie, reins, peau, cœur et pourquoi pas cerveau à partir de nos cellules souches et en impression 3D. Il nous explique comment les scientifiques partout dans le monde, avancent à pas de géants sur ce terrain du bio-engineering, du bio printing et de la reconstruction du vivant.
LIRE DANS UP’ : Professeur Franco: "On sait reconstruire le vivant"
Intelligence artificielle
L’intelligence artificielle est un thème technologique qui fascine. D’autant plus quand ce sont des géants de la Silicon Valley qui, avec leurs milliards de dollars, investissent le secteur. Et font, forcément, des progrès de géants.
Entre les deux mastodontes Google et Facebook, la bataille fait en effet rage dans la course au développement de l’intelligence artificielle. L’objectif n’est pas (encore) de créer des humanoïdes intelligents capables de remplir des fonctions et des services pour lesquels les humains seront vite dépassés. Non, l’objectif immédiat est de rendre les ordinateurs aussi intelligents que ceux qui les utilisent. Des ordinateurs capables de comprendre ce que vous voulez et peut-être avant que vous ayez conscience que vous le voulez.
La recherche scientifique n’est pas une activité anodine. Surtout en matière d’intelligence artificielle. Les chercheurs travaillent sur des sujets qui vont changer notre culture, notre façon d’être. Mais ils ne savent pas forcément ce qu’ils font. Cela peut paraître paradoxal voire insultant pour leur travail. En réalité dans ces domaines qui produisent des algorithmes évolutifs, qui accélèrent considérablement les progrès de l’apprentissage des machines, il arrive un moment où la machine produite crée son propre code et sa propre logique.
Serons-nous toujours en mesure de comprendre et contrôler le langage des machines ? Nous entrons dans les paranoïas de science-fiction. Et pourtant d’éminents esprits menés par Stephen Hawking nous ont mis en garde, l’année dernière, dans une désormais fameuse « lettre ouverte », contre une escalade incontrôlable de l’intelligence artificielle, encourageant une recherche prudente et réfléchie.
Pour sa part, Bill Gates, tout en soulignant qu’un quart des recherches de Microsoft est consacré à l’intelligence artificielle, se demande comment on peut ne pas être inquiet. Quand on fait de la recherche sur l’intelligence artificielle, on doit se poser la question : « Qu’est-ce qui se passe... si elle émerge ? »
Que craignons-nous ? Qu’à partir d’un certain degré de complexité, émerge la conscience des systèmes. On nous prévient depuis longtemps : lorsque la capacité de calcul des ordinateurs sera telle qu’elle atteindra ou dépassera le niveau du cerveau humain, la machine pourra prendre des décisions autonomes. Les experts les plus crédibles affirment qu’en 2050, c’est très proche, en vertu de la loi de Moore sur la montée en puissance exponentielle des capacités de calcul des ordinateurs, la machine sera tellement puissante qu’émergera la conscience. Ray Kurzweil, l’un des gourous technoprophètes embauché par Google en 2012, appelle ce moment le point de singularité.
LIRE DANS UP’ : La guerre des cerveaux
L’illusion démiurgique
Ces exemples montrent l’étendue de l’illusion technophile d’abolir la mort. Pourquoi ? Romain Gary disait que « si les hommes vivaient éternellement, ils deviendraient fous ». Quelle est cette idée de nous doter de moyens technologiques qui nous mettraient en position démiurgique, qui nous mettraient à égalité avec Dieu ?
Le Cardinal Jean Danielou, quand il prit son fauteuil d’académicien déclara : « seules les œuvres d’art sont immortelles ». Michel Ange, Vinci, Picasso sont immortels. Parce qu’ils ont su fabriquer des objets qui ne périssent pas. Mais au fond, les technologues contemporains, comme les artistes cherchent à créer des objets autonomes. Créer une œuvre d'art, c'est créer une œuvre qui se clôt elle-même, qui va vivre d'elle-même sa vie. Qui va, par-delà la petitesse des individus, perdurer.
Le technologue est dans la même posture : il crée des objets qui ont la vertu d'être autonomes. C’est le cas en robotique ou dans les nanotechnologies ; des objets dotés de vertu d’autoconservation et d’autoproduction.
Cette course au progrès des machines qui atteindrait un jour son point de singularité laisse l’homme désemparé, mais aussi humilié. Le philosophe Günter Anders, dans son lumineux ouvrage L’Obsolescence de l’homme parlait de « honte prométhéenne ». Cette honte qui submerge les hommes quand ils découvrent que leurs techniques les dépassent et… les nient. Nos machines deviennent, chaque jour un peu plus, meilleures que nous. Elles pourront perdurer, bien au-delà de nous. Nous en sommes troublés. Car ce phénomène bouscule toutes nos certitudes. Avec Descartes, nous pensions que nous étions, nous les hommes, maîtres et possesseurs de la nature. Pour son plus grand bien ou son plus grand mal. Mais aujourd’hui et plus encore demain, ce sont les machines qui nous possèdent et nous contrôlent. La course technologique à laquelle nous assistons traque l’immortalité et, ce faisant, nous oblige à renoncer à notre humanité, c’est-à-dire à notre finitude.
« Tuer la mort »
« Tuer la mort » est un slogan insensé. Car si nous tuons la mort, nous tuons la vie. Jankélévitch, dans une de ses leçons, nous apprenait la similitude entre les mots « précaire » et « précieux ». Sans la mort, la vie ne serait pas précieuse.
Alors pourquoi accordons-nous tant confiance à la technologie et aux machines ? Pourquoi ce fantasme d’immortalité promis par les technologies nous trouble-t-il tant ? Pourquoi nous en remettons-nous à elles pour satisfaire notre désir d’éternité ? Le philosophe Jean-Michel Besnier tente une réponse : parce que nous nous mésestimons. Parce que l’homme contemporain souffre de « la fatigue d’être soi ».
Avec le fantasme de transhumanité, l’homme est devenu obsolète. Günter Anders avait raison.
Dans sa course à l’immortalité, l’homme est en train de laisser place à une espèce nouvelle qui aura un triple privilège : d’abord, ne plus avoir à naître. Le clonage, les technologies de biologie de synthèse annulent le hasard de la vie. Ensuite, ne plus avoir besoin de souffrir. La maladie sera vaincue, et quand un organe de notre corps s’avèrera défaillant, on le remplacera comme une vulgaire pièce détachée. Enfin, ne plus avoir besoin de mourir. Car on saura uploader notre conscience sur des matériaux inaltérables, sur d'autres formes, pour permettre la perpétuation (bien illusoire mais les transhumanistes y croient) de l'individu, de l'individuation que nous sommes.
Le transhumanisme est intéressant comme symptôme de ce que nous pensons aujourd'hui de nous-mêmes. Il en dit long sur la haine de soi et le désir d'un idéal. Michel Houellebecq dans La possibilité d'une île ne s’y est pas trompé en conjuguant l'admiration pour les biotechnologies et cette déprime fondamentale, cette fatigue d'être soi qui caractérise l'humanité crépusculaire que nous semblons être aujourd'hui. Tâchons de nous mobiliser pour lui donner tort.
Gérard Ayache, Chroniqueur UP’ Magazine
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