Jeremy Rifkin : "Président Hollande, venez dans le Nord-Pas-de-Calais !"
L'économiste vedette, qui conseille Angela Merkel et le gouvernement chinois pour mettre en oeuvre la troisième révolution industrielle, appelle le chef de l'Etat à voir les progrès que fait cette région. Interview.
L'économiste Jeremy Rifkin. (Sipa)
L'essayiste américain Jeremy Rifkin était à Paris, jeudi 4 juin au matin, pour faire la promotion du... Nord-Pas-de-Calais. L'auteur de "La Troisième révolution industrielle" fait office de consultant pour la région, qui tente de mettre en oeuvre simultanément une transition énergétique et une transformation des systèmes de transport afin d'accompagner la génération internet vers le plein emploi.
Jeremy Rifkin, qui est aussi conseiller de la chancelière allemande Angela Merkel et du gouvernement chinois, invite désormais François Hollande à emboîter le pas à l'Allemagne. Interview.
La 3e révolution industrielle va-t-elle se produire ?
- Il n’y a aucune alternative. Les gouvernements et les milieux d’affaires du monde entier l’ont compris. Le problème est le suivant : la croissance ralentit dans toutes les régions du monde, le chômage augmente et la productivité s’affaiblit.
Mettre en œuvre de l’austérité, des réformes structurelles ou budgétaires, c'est très bien mais… Nous vivons avec des infrastructures datant de la seconde révolution industrielle, avec des énergies fossile et nucléaire et des transports reposant sur le moteur à combustion et le rail. Or nous savons maintenant que nous ne pouvons plus tirer aucune productivité de ce système.
Que pouvons-nous espérer ?
- Ce que nous commençons à entrevoir, c’est que nous sommes à l’aube d’un nouveau modèle économique. Il faut comprendre une chose cruciale : chaque changement de modèle économique s’est produit grâce à la combinaison de trois innovations techniques régissant nos vies :
- de nouveaux moyens de communication (qui permettent de gérer l’activité économique plus efficacement) ;
- de nouvelles sources d’énergie (qui modifient la manière d’alimenter l’économie) ;
- de nouveaux modes de transport (qui permettent de répartir l’activité économique plus efficacement).
Nous sommes à l’orée d’une troisième révolution industrielle. L’Allemagne a pris un train d’avance. Le Danemark aussi. Nous travaillons avec les dirigeants chinois et ils avancent rapidement.
En quoi cette transition peut-elle créer de la croissance et des emplois ?
- L’idée est de combiner le réseau de communication (internet), un réseau de production d’énergie renouvelable (à partir de bâtiments à énergie positive), et un réseau de transports (où chaque individu est guidé par un GPS).
En créant un réseau unique où toutes les personnes et les objets sont connectés, nous pourrons tous avoir des activités économiques entre individus, augmenter notre productivité et ainsi améliorer notre niveau de vie.
D’où viendront les emplois ?
- Nous avons à mettre en œuvre les infrastructures nécessaires à ce grand réseau. En France, par exemple, nous devons isoler chaque immeuble, chaque logement, chaque bureau, chaque commerce, chaque usine, pour les rendre efficaces énergétiquement parlant, et ensuite on pourra les transformer en centrales à énergie solaire, éolienne et géothermique. Vous produirez de l’énergie là où vous travaillez et là où vous habitez.
J’ai travaillé avec le gouvernement allemand depuis que la Chancelière est arrivée il y a dix ans. En Allemagne, il y a 39 millions de bâtiments. Neuf millions ont déjà été isolés et des millions ont été transformés en bâtiments à énergie positive. Cela représente des centaines de milliers d’emplois.
On peut remettre au travail l’ensemble du secteur du bâtiment en France, des milliers d’ingénieurs, d’architectes, d’ouvriers qualifiés. Ensuite, on pourra s’attaquer aux réseaux électriques : pour que chacun puisse l’alimenter, il faut qu’il soit digital. Qui va poser les compteurs numériques dans chacun de ces millions de bâtiments ? Des travailleurs français. Qui va s’occuper des câbles enterrés ? Des travailleurs français. Etc.
Combien d’emplois cela va-t-il créer ?
- Personne ne peut le savoir. Mais il y en aura. Nous allons transformer les moyens de transports en passant à l’électrique. Cela signifie poser des bornes de recharge sur chaque place de stationnement. Qui va les fabriquer ? Qui va les poser ? Il faut se souvenir de la seconde révolution industrielle : on a construit des métros, des autoroutes, des banlieues. Cela a occupé tout le monde pendant quarante ans.
En Allemagne, cette troisième révolution industrielle a déjà créé des tonnes d’emplois, et dans tous les secteurs liés aux nouvelles technologies : les télécoms, les technologies de l’information, l’électronique, le transport, l’industrie manufacturière, la grande consommation. On pourra ainsi donner du travail à tout le monde dans les 30 prochaines années.
Et une fois que le système mis en œuvre, que se passera-t-il pour l’emploi ?
- Il y aura une migration des emplois vers l’économie sociale et solidaire : la santé, la garde d’enfant, l’environnement, la culture… Il y a une vrai demande dans ces secteurs où l’on travaille avec des personnes et où les machines ne peuvent rien faire. Et ce sont des emplois de grande qualité.
Avez-vous l’impression que la France a déjà pris la bonne direction ?
- J’avais rencontré François Hollande durant la campagne présidentielle. Il a dit il y a un an : "Nous ne raterons pas le train de la troisième révolution industrielle, je vous le garantis la France sera présente." Je ne l’ai pas vu depuis la campagne, mais j’ai rencontré récemment Ségolène Royal [la ministre de l’Environnement, NDLR]. Ce que doit faire la France, c’est se joindre à l’Allemagne. La France a des entreprises de taille mondiale, notamment dans l’énergie, les transports, la logistique, les télécoms. Si ces deux pays fonctionnent ensemble, l’Europe avancera.
Après la Seconde Guerre mondiale, la France s’est rapprochée de l’Allemagne à travers l’énergie, le charbon, via les régions Nord-Pas-de-Calais et Rhénanie-du-Nord-Westphalie, puis à travers Euratom, l’énergie nucléaire. Désormais l’Allemagne avance dans cette révolution.
Et en France ?
- Nous avons une région qui la met en œuvre : le Nord-Pas-de-Calais. Je François Hollande, je vous en prie, venez dans le Nord-Pas-de-Calais et vous verrez la France du futur ! C’est désormais l’une des régions les plus actives en Europe. Nous en sommes à notre troisième année, et la région toute entière est mobilisée. Tout le monde, dans tous les partis, dans tous les secteurs. Ils utilisent l’effet de levier des fonds européens pour faire venir les banques privées. 3.000 entreprises ont suivi un séminaire avec la chambre de commerce pour comprendre comment opérer cette transition.
Cette année, 12.500 bâtiments ont été isolés, 100.000 sont prévus ces six prochaines années. Ils ont remis le secteur du BTP au travail. Ils vont transformer 200 écoles en bâtiments à énergie positive. C’est en cours. Sept universités se sont regroupées pour développer les nouvelles technologies correspondantes dans leurs centres de recherche. La mobilisation a lieu dans les entreprises, dans la société civile, dans le secteur public, quelle que soient les sensibilités.
Que demandez-vous à François Hollande ?
- Une région entière est en train de mettre en pratique une démocratie transpartisane. La France peut faire cela. Dès demain. La transition va prendre 30 ans. Bouygues, ERDF, GDF SUEF, les entreprises ont bien compris que l’on ne peut pas être en dehors du coup, et que la transition peut se faire en douceur. Le milieu des affaires est prêt. La France a l’expertise. Les régions peuvent le faire.
Ce dont on a besoin, c’est d’un signal du gouvernement français. Il a un rôle à jouer pour élaborer la réglementation, les normes et pour lever les freins, afin que nous puissions expérimenter plus vite, et créer de l'emploi. Qu’il mette en place une feuille de route, que l’on passe des discours aux actes, que les élus, à tous les échelons administratifs, dessinent un plan, comme l’a fait le Danemark.
C’est la France qui a déclenché toutes les révolutions, c’est elle qui a mené les autres à la démocratie, les jeunes Français sont allés dans la rue en 1968 et ils nous ont donné une nouvelle vision de la vie, maintenant les jeunes de la génération internet créent une nouvelle France. J’espère que le gouvernement et tous les partis politiques sauront s’y retrouver. Car s’y opposer n’aurait aucun sens. Aucun parti d’opposition ne s’est opposé à la première et à la seconde révolution industrielle.
Propos recueillis par Donald Hebert
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