CAHIER 1971
J'ai 15 ans.
Le fou c'est celui qui a tout perdu sauf la raison. (Chesterton)
Ils bâtissent avec des pierres et ils ne voient pas que chacun de leurs & gestes pour poser la pierre dans le mortier est accompagné d'une ombre de leurs gestes qui pose une ombre de pierre dans une ombre de mortier. Et c'est la bâtisse d'ombre qui compte. (Giono)
Et puis le monde a assez souffert de tous ceux qui ne connaissent pas la partie noire, infantile, négative de leur personnalité et qui projettent cette partie sur les autres et entrainent à leur suite des millions de gens aussi infantiles qu'eux. (Pierre Daco)
Existe-t-il une"vérité"vers laquelle tend le monde, c'est à dire une réponse aux problèmes du monde, et le monde avance-t-il vers cette vérité, vers cet absolu ?
Sans l'existence de cette vérité, la religion n'a plus aucun sens par le fait même que l'homme n'a plus de but, plus de sens, et la morale alors n'est que relative.
Mais croire à la vérité n'est-ce pas une dernière vanité de l’homme pour se donner un sens, inconsciemment.
Je découvrais le malheur. Il me fallait remonter jusqu'au mes souvenirs d’enfance pour retrouver ce noir de nuit et de nuit, ce sentiment d'enlisement, d'étouffement.
La mort n'est qu'un déplacement, d’individualité ; l’hérédité fait circuler les mêmes âmes à travers la suite de génération d'une même race.
Son passé se projeta brusquement vers le mur noir de la mort et s'y éparpilla en halos de taches multicolores fixées pour l'éternité.
Chacun de nous n'est rien, nous sommes un grain de l'univers et se laissant aller à ce genre de réflexions, nous pouvons arriver à nous renier nous-même, mais devons toujours nous souvenir de tout l'amour dont les autres nous ont chargés et à qui nous sommes redevables de le multiplier autour de nous en cherchant la vérité et ainsi en continuant l'immense chaine de l'amour qui avance lancinante vers cette vérité.
23 Mai 71
J'écris, laissant derrière moi une empreinte de l'être que j'étais au moment où j’écrivais ;
j’évolue, je me déforme, mais l'empreinte reste sur ce cahier et si je ne peux savoir ce que je suis, je peux néanmoins savoir ce que j'étais.
25 Mai 71
Il a fait beau ce matin. Vers 7 heures, à la sortie de l'étude, il s'est mis à pleuvoir. En écrivant ça, je me demandais quelle importance ? Pourquoi toujours parler du temps ? Mais enfaite, je crois que le temps à une très grande influence sur notre état moral et en disant quel temps il fait, on peut traduire ainsi, consciemment ou inconsciemment, l'état moral dans lequel on est, et s'il fait beau ou s'il pleut.
L'année est bientôt finie. Plus que 4 semaines. J’ai l'impression de ne pas avoir travailler beaucoup scolairement cette année. L'année prochaine, il v va falloir vraiment me mettre au travail.
Dans 5 semaines, je serai peut-être en train de relire ces lignes que j'écris en ce moment. Je verrai cette rature et me rappellerai exactement ce que j'étais, ce que j'avais en la faisant.
J'aime beaucoup projeter en avant j'aime beaucoup me projeter an avant, ainsi, dans l'avenir à travers un texte, une pensée, à celui que je serai, alors heureux durant les vacances. Ainsi au moment où je relirai ces lignes : j'essaierai de me mettre à la place de celui qui les a écrits seul, dans son boxe avec encore 4 semaines de travail devant lui et un examen et ainsi je pourrai prendre conscience avec beaucoup plus de netteté de mon bonheur actuel. Et inversement en écrivant ces lignes je peux parfaitement m'imaginer en train de les relire en vacances.
Je n'arrive toujours pas à être insensible quand je rencontre les Guespi c'est drôle, voilà presque un an que nous ne nous sommes plus parlé vraiment et pourtant une sorte de secousse psychique nous retourne dès que nous nous voyons ; je ne suis pas certain que ce soit pareil pour eux mais j'en suis presque sûr. Et puis l'amitié qui nous relie est tellement complexe. Ai-je de l'affection pour eux, non ou plutôt je ne sais pas. Ils sont mon talon d'Achille, ils possèdent peut-être plus que je possède leur définition, ma définition. Mon trouble vient peut-être de cela. Savoir qui je suis, je ne le sais pas et personne ne semble le percer. Et voilà qu’eux avec des sourires me disent qu'ils savent tout. Ils le savent aussi sans doute à cause de mon trouble vis à vis d'eux mais cela n'enlève rien au mystère ni d'où vient ce trouble ; il y a quelque chose qui nous uni profondément, Je n'arrive pas à les oublier et si je les oublie pendant quelques mois e si je les rencontre, sans avoir eu le temps de me préparer à l'avance, je suis complètement désarçonné, comme un homme devant une apparition.
Je suis en ce moment en train de courir après ma queue. J'analyse parfaitement chacun de mes gestes et en est parfaitement conscient des complexes qui m'ont mené à écrire ça et non pas ça, mais ayant parfaitement analyser la situation, je me trouve dans une autre situation, celle du type ayant analysé sa situation et ainsi de suite. Je ne sais pas comment m'en sortir ; Cela est assez farfelu, mais j'ai décidé en partant de marquer tout ce qui me venait, me traversait l'esprit.
17 Juin 71
Il pleut, il pleut, il n'arrête pas de pleuvoir. J’ai l'impression de plus en plus de perdre pied. Je vieillis, je vieillis beaucoup trop vite, je ne peux plus avoir de ferme certitude, le monde est posé sur une question qui n'a pas de réponse, le sens ou le non-sens de l'homme.-to be or not to be that is the question-
Et puis je ne peux plus avoir confiance en moi. Qui suis-je ? Sans doute un de ces clowns qui croient en dieu, en la vérité, en la grandeur de l'homme et qui poussent leur action en conséquence.
Un de ces fous qui, au lieu de regarder la lumière en face, ne voient plus. Un de ces fous que l'on retrouvera déséquilibré ou bien drogué ou encore imbibé d'alcool et qui mourront compris par la société.
Ne m'étais-je pas promis à moi-même de ne jamais abandonner cette lutte vers la vérité, cette recherche de l'absolu?
Mais voilà, rester sur un bateau qui coule, c'est difficile, ou plutôt c'est peut-être trop facile.
Chacun passe sans doute par le même stade où je passe, et ensuite, on découvre la vraie vérité, le bonheur, l'argent, Dieu n'étant là que pour renforcer ces critères afin de leur donner des dimensions morales.
26 Juin 71
Je viens de relire les derniers passages que j'ai écrit, et je me surprends à vouloir mourir. A vouloir mourir afin que, à la recherche de quelque chose qui me rappelle, on découvre ce cahier, afin que, débarrassé du décor, on voit l'homme ou plutôt on entrevoit l'homme que je suis. En écrivant homme, j'ai un peu l'impression que je suis en train de m'élever alors que je devrai m'abaisser. Je ne suis qu'un enfant.
22h15. L'heure de dormir. En route, on ferme. En piste les clowns ? J’entends ces phrases du surveillant qui veut être drôle. Des pas passent au-dessus de moi.Il faut que je m'arrête d'écrire.
Année scolaire 71-72
20 Septembre.
J'ai envie d'écrire et à la foi, j'ai beaucoup de mal. D'où me vient cet obstacle, en écrivant ces lignes, j’essaye de le combattre, écrire, c'est se lancer, c'est brancher son cerveau sur un autre mode d'expression, il faut arriver à écrire comme on pense, et pour cela il faut faire passer la pensée à un rythme plus lent sinon alors que l'on écrit, les premiers mots de la pensée, le raisonnement est déjà loin devant et c'est l'incessant retour en arrière et tout se mélange. Par contre si on arrive à obliger la pensée à de se dérouler lentement cela permet pendant que la main écrit, de bien peser chaque mot.
De plus en plus il me semble que la sagesse ou plus simplement ce que je recherche, ne se trouve pas dans les livres, dans les études.
L'humanité, la vie, le sens de la vie, le monde, se trouvent dans l'homme. Il est primordial avant tout de se connaitre soi-même.
Mon plus grand plaisir et mon éternelle joie est de découvrir quelqu'un de nouveau, de le connaitre profondément.
Or les études empêchent dans une grande mesure ces rapports.
J'ai de plus en plus de mal à m'intéresser à ce à quoi on me dit de m'intéresser. Le directivisme m'énerve de plus en plus. Je ne sais plus dans quel livre scolaire j'ai lu : "les nombreuses illustrations formeront le gout de l'élève". Pourquoi ne pas dire programmeront.
Tout devient ainsi artificiel. Les éducateurs semblent croire que l'on peut apprendre tout à quelqu'un, que la personne qui ingurgite n'a rien à dire. Cherchant depuis Descartes une logique absolue, tout ne devient que règle, et on applique les mathématiques au français.
Au programme, il y a les langues, les maths, et les sciences. Le temps est quadrillé en fonction de ces trois concepts palpables. Dans cet horaire draconien, qui aurait eu l'idée de compter les heures d'étude du soir. Et on a l'air de parfaitement oublier que l'homme à travers toute la science qu'il a inventé, ne cherche que lui-même. Et voilà que justement sous prétexte de ces sciences, on oblige l'élève à oublier cette recherche de l'homme.
Pourquoi obliger quelqu'un à s'enfermer dans son boxe pendant des heures sur un texte de latin, alors que la véritable phrase qu'il aurait à débrouiller est bien plus compliquée, bien plus belle, bien plus intéressante. Cette découverte de soi, de l'amour, de la vie, d'un soleil qui se couche sur la mer à l'infini, des lèvres qui viennent prendre possession des vôtres. Et ce formeur de gout qui semble pouvoir tout donner à ses élèves n'a jamais du faire l'amour.
Il me semble que le gout s'acquiert primordialement dans une communion profonde avec la nature, devant une écorce d'arbre, devant l'éclair brun d'un écureuil volant de branches en branches, devant une sensation.
Il faut cultiver ces bonheurs simples, la motte de terre que l'on serre dans sa main et qui s'effrite. Et messieurs les professeurs je vous mets au défi d'apprendre cela à vos élèves, d'abord parce qu'ils se foutraient de vous, ils se foutraient de vous parce que vous êtes parfaitement artificiels, et même lorsque vous cherchez à avoir avec eux des rapports pseudo-humains. Et vous avez commencés à leur apprendre dès les premiers jours d'école, alors que l'un d'eux regardait avec attention un moineau sur une branche, vous l'avez mis au coin. Oui, bien sûr, vous étiez payé pour leur apprendre, ils n'avaient qu'à écouter, ces chenapans qui vous rendent la vie si difficile.
Et d'ailleurs que leur apprenez-vous ? Oui, bien sûr, l'orthographe, le calcul mais derrière tout cela, mais oui voyons, l'hypocrisie, mais oui, l'hypocrisie. Et lorsqu'un prof de philosophie non moins hypocritement, en classe de terminale leur dira de regarder ce moineau si magnifique.
Tout cela n'est pas sérieux. Mais avant d'arriver à cette hypocrisie, devenue totalement inconsciente, combien auront soufferts sourdement ne sachant pas d'où venait ce désespoir qui leur venait parfois devant un coucher de soleil sur la mer tandis que tout au long de la plage, une vague immense éclatait.
Laissez-les donc vivre, ces enfants, laissez-les donc regarder un moineau, laissez-les donc aimer sans en chercher la raison. Et si vous me dites mais il faut oublier tout cela pour gagner de l'argent, permettez que cela me paraisse aussi absurde que de dire il faut tuer pour vivre.
Au fait, je n'ai écrit tout cela que pour faire un exercice de français. Suis-je déjà mort ?
Je sais maintenant qu'un intellectuel n'est pas seulement celui qui les livres sont nécessaires, mais tout homme dont une idée, si élémentaire soit elle, engage et ordonne la vie. Ceux qui m’entourent, eux, vivent au jour le jour depuis des millénaires. - Malraux
L’homme est ce qu’il fait. - Malraux
La culture ne nous enseigne pas l’homme, elle nous enseigne tout modestement l’homme cultivé dans la mesure où il est cultivé. - Malraux
La vérité est trop nue elle n’existe pas pour les hommes. - Cocteau
Un soir, j’ai assis la beauté sur mes genoux. Et je l’ai trouvé amère. Et je l’ai injuriée.
Cela s’est passé je sais aujourd’hui saluer la beauté. - Rimbaud
Être sérieux, prendre du poids, une certaine rigueur, m'a-t-on quelque fois conseillé ces derniers temps.
Mais pour cela il faut déjà se prendre au sérieux soi-même.
Et c'est assez difficile lorsque l'on n'essaye pas de détourner les yeux de la mort.
30 Septembre 71
Le temps m'a paru plutôt gris aujourd’hui, alors qu'il était si beau. Je suis en ce moment dans deux romans : contre point (Huxley) et Une journée d'Ivan Dénissovitch (Soljenitsyne).
Je m'enferme de temps en temps dans ces mondes et ils deviennent les miens. N'est-ce pas une des merveilleuses qualités de l'homme que de pouvoir recréer le monde en imagination ? Je recrée le mien, et je finis par me demander lequel des deux est le plus important. Être heureux ? Je passe mon temps assis au fond d'un cul de sac, l'infini. Je me dédouble, chaque partie se déroule encore, et chacune de ces parties ayant besoin de se saisir elle-même, se re-dédouble. Mon être m'échappe. Qu'est-ce que le réel ou l’irréel ?
Tout n'est qu'hypocrisie, même ces derniers mots. Prenez un cercle, caressez-le, il devient vicieux.
C'est bien après que tout a disparu, tandis que je foulais le sable doré et chaud que je la vis. Elle n'était qu'un point séparé de moi par plusieurs milliards de grains de sable. Il faisait chaud, le soleil a son zénith me dominait. Il faisait chaud.
Je me déshabillais et plongeais dans l’eau ; une sensation de fraicheur m'envahit tout entier. Je remontais à la surface, je ne bougeais pas. Ce fut le silence complet, le silence du vide m'emporta, me submergea, Je ne fus plus. Mais un frôlement naquit puis un autre, puis rythmiquement il grandit, et de ce rythme je naquis, c'était le bruit de deux pieds frôlant, le sable, dispersant les grains de sable que la mer avait laissé bien ordonnée, en ondulations. Mes yeux quittèrent l'eau qui renvoyait mon image déformée. La plage apparut immense, infinie, et elle marchait jouant avec les vagues qui venaient mourir sur le sable. Nos regarda se croisèrent, s'assemblèrent pour devenir parfaitement palpables. Une risée passa sur l'eau calme. Je sortis tout doucement de l’eau, marchant vers le sable chaud. Elle s'approcha de moi, nos regards se rencontrèrent de nouveau, tout près maintenant. Ses yeux me regardaient interrogateurs. Je lui souris, et elle sourit.
Nous sommes monts ensemble vers le sable chaud.
14 Octobre 71
Aujourd'hui, le vent souffle, le haut des arbres remue, et leur feuillage devient mouvant, abstrait, vivant. Le vent souffle à travers les rues de Pontoise, la misère de notre époque s'y étale, les maisons sans sens et des êtres qui semblent passer comme des rêves, caricatures affreuses d'un rêve réel. Et je marche à travers ce rêve, n'en remplissant, me forçant à la réalité ; mais je continue à vivre en rêve, à penser en rêve, sans jamais roussir à croire que ce rêve est réalité. Alors passant devant une vitrine, je vois se refléter mon image, et je m'aperçois que je fais aussi partie de ce rêve, et l'image que je regarde avec l'air de dire oui, je suis bien toi, tu devras bien m'accepter un jour ou l'autre, et pourtant l'image n'est pas moi, moi je suis autre chose, mais en tout cas pas ça.
C'est ça qui est dégueulasse, nous savons bien que cette image n'est qu'un rêve et pourtant sur elle qu'on juge. Alors on est écartelé car que viennent faire les images là- dedans ? Et qu'est ce qui compte ? On est fondamentalement d'un autre monde, mais on continue à agir en fonction des lois de l'image, du rêve et dans ce rêve, on se sent mal à l'aise, écartelés entre les rêves qui nous mènent et nos tendances profondes et nos aspirations profondes qui demandent autre chose que des images, quelque chose que l'on ne peut traduire dans le rêve, quelque chose d'absolu, d’immense, de non limité comme le rêve, enfin nous-même, non limités par notre personnage. Mais ne sommes-nous pas, par le fait même de cette entaille entre notre véritable et les conditions véritables où il se trouve ?
Le même jour un peu plus tard
Il me semble en relisant ce que j'ai écrit tout à l'heure que je sors déjà du rêve, mes yeux s'ouvrent, se libèrent de mon image. Cette contradiction nous fait mal surtout parce que on ne sait pas quel est le rêve, et on en arrive à se demander si l'image n'est pas la seule réalité. Alors on souffre. A mesure que cette image apparait non pas comme irréelle, mais n'ayant aucune commune mesure avec ce qu'est l'homme, alors la lumière se fait et le cœur se soulage.
Le monde n'existe pour toi qu'à travers toi-même. Tu contiens ta vérité en toi, laisse-la grandir, même si la vérité du monde semble différente de la tienne. Nier la tienne ce serait ton suicide et pour toi, celui du monde.
Depuis que j'existe, j'ai combattu contre les vérités qu'on m’assénait, j'ai combattu pour diverses raisons
- d'abord sans doute à cause de je ne sais quel désespoir, non je ne peux le définir, je sais seulement que quand j'avais dix ans, je me mettais en colère, et pleurait à cause de l'hypocrisie du monde que je percevais à chaque instant. D'où venait cette sensibilité qui faisait qu'un enfant si tôt soit touché par l'univers tout entier ?
Ma seule certitude était celle de Dieu. Dieu était ma seule prise dans ce tourbillon de désespoir. Avec lui j'atteignais des sommets de bonheur extraordinaires et le monde me touchait profondément à travers toute sa misère.
Tout ce que l'on pouvait m'apprendre ne m'intéressait pas vraiment.
Mon monde était bien plus merveilleux ; hanté d'histoires que j'inventais, de solitude, de l'image d'un homme assis sous un pont, tendant sa casquette, c'était lui qui m'intéressait, car dans son regard j'avais perçu la simplicité et la pureté de l'homme qui n'a plus d'apparences à conserver. Nous n'avions rien dit, et pourtant tout de suite, nous nous étions compris. Je n’avais jamais retrouvé cette compréhension de l’autre, ce besoin d’aller tout de suite au fond de l’être, dans aucun autre regard de ceux qui vivaient bien, de ceux qui avaient fait des études, de ceux qui étaient riche.
Que pouvaient bien n'apprendre les livres sur ça, sur cette chose qui m'intéressait tout particulièrement 'avais envie d’errer à travers le monde, le vent, seul, j'aimais la solitude, les arbres, le soleil. Après ce que je vivais se transforma en pensée, ces pensées en paroles, alors tout ce compliqua, j'appris sans m’en rendre compte à Être hypocrite et tout devint plus compliqué. Ce que je n'avais jamais eu besoin d'expliquer brusquement quelqu'un me demande de l'expliquer et fut étonner que ce ne soit pas logique, et voulu mettre tout ça en équation, quelqu'un qui m'habitait.
17/10/7I : M'habitait-il vraiment ?
27/10 /I971 : Je vins de lire deux romans : Lady black et les enfants éblouis. Bien qu'on puisse difficilement les comparer, ils ont un élément commun : la sincérité. Ils sont sincères, une sincérité qui empiète sur le style pur. J’ai lu ces livres avec beaucoup de plaisir, Pour une fois le style m n'empiétait pas sur la sincérité. Il y avait des longueurs, des impuretés, mais dans les deux cas or sentait cette recherche désespérée de la sincérité, et dans chacun on était gré à l’auteur de nous faire partager cette recherche, on faisait corps avec lui, on était son complice.
Dans les deux, j'ai fait la découverte d'un homme, d'un homme bien plus humain bien plus vrai que dans tous les autres romans, où le style a une importance.
Dans ces deux hommes, l’un est pur, on sent en lui le grand gouffre du mystère de l'homme qu'il contemple vertigineusement.
Son livre est un vertige, le vertige d'un idéal, d'un monde, d'un amour.
L'autre est étouffé par les scories, emporté dans le tourbillon de la vie matérielle moderne, scories qui le bouffe, le détourne, l'écrase. Sa sexualité même est détournée par la société. Il se débat dans les scories dans les copeaux, dans la merde, en bave, en étale, ce n’est pas beau, mais il souffre. Ce sont deux romans reflets des romans qui vous apportent le monde de deux êtres sincères éclairés par des spots. En tant que collectionneur d'êtres, ils sont merveilleux pour moi.
3/11/71
L'esprit de finesse profonde rare dans les hautes places parce que cet esprit empêche de choisir.
Un homme vraiment profond s'enfonce, il ne monte pas.
Longtemps après sa mort, on découvre sa colonne enfouie d'un seul bloc, ou peu à peu par morceaux. (Cocteau)
Se dire sans cesse que tout ce que j'ai écrit ici est faussé par ce que je ne raconte pas; ces notes ne cernent qu'une lacune. (Youcenar)
Même sentiment pour mes cahiers
7/11/7I
Le vrai bonheur
la joie de l'infini
le plaisir de l'absolu
tu le trouveras par des chemins détournés
en affrontant la vérité
en sortant de ton rêve
où tu te tiens confortablement
mais qui n'est qu'un rêve
avec sa fragilité
hors de toute donnée
développe toi
c'est un travail
où les valeurs que t'as transmise
la société, ne te serviront à rien
libère toi de toute forme d'hypocrisie
pourchasse les dans tous les recoins
les plus profonds
et n'aies jamais honte de ce que tu es
par la même ne te prends jamais au sérieux
l'absolu sort du sérieux
Il est
et n’est pas objectif
ne sois pas logique
sois humain.
Contemple, ne dissèque pas
ou si tu divises
pour mieux comprendre chaque partie
le tout ne se comprend pas
il se vit
il faut s'y fondre
l'être
Vie
Vit totalement
Mais n'oublie jamais
qu'au-delà de cette vie tu es
je ne veux pas dire après ta mort
mais déjà à l'instant, éternellement
ne t'arrêtes jamais dans la destruction
de l'hypocrisie
si les branches sous toi, tombent
tombe toujours plus bas
au fond, encore plus profond,
quand tu sentiras ne plus rien être.
Ne plus pouvoir te donner de sens
quand tu seras à zéro
alors de rien,
à partit de toi qui n'est rien
tu construiras par la contemplation
de ton être paradoxale
ton absolu.
Tu sauras, ayant pu dire: je suis
A l'encontre du monde.
15/ 11/ 71
Je relis et je réfléchis à ce que j'écris dans mes cahiers. Deux états fort différents émanent de ces textes. Plusieurs textes se ressemblent conne des gouttes d'eau, quant à l'état d'âme qu'ils traduisent. Les uns sont écrits dans une sorte de pessimisme profond de la valeur même de quoi que ce soit et le refus de la vie, d'autres sont des cris d'enthousiasme du bonheur de vivre. Ce cahier permet de mettre en évidence ces hauts et ces bas très clairement. Je pourrai peut-être en étudier la fréquence.
Il m'est apparu de plus en plus que la recherche de l'être devait avant tout être une recherche de sur l'homme dans sa totalité. Cela parait idiot et évident mais cependant on s'aperçoit très vite que devant les formes paradoxales de l'homme. On a tendance inconsciemment à éliminer une forme, supprimant ainsi de nombreux paradoxes gênants. On ne peut arriver à connaitre l'homme par une sorte de contemplation de ces vérités paradoxales, et non pas un découpage descartien.
19/11/71
La vie passe les jours, je touche mon visage d'enfant, gage fou, je me regarde vivre, les jours passent.
Samedi, sortant de "la nausée" de Sartre, que j'avais lu dans le train, (crasseux, les gens y paraissaient morts, futiles, bringuebalés par le train morne de l'agitation humaine sans raison), j'ai sonné à la lourde porte que voyais pour la première fois ; puis je l'ai poussé, le froid extérieur m'avait un peu ranimé. Claire est descendue, je ne savais trop quoi dire, elle était là, heureuse, et j'étais là, lourd, lourd de tous les morts que j’avais vu dans le train, elle était tellement anachronique, et je l'étais t tellement aussi avant que mon esprit se nois un flot de paroles. Quand je repense à cet instant, je le vois gris et comme si pensée s'était arrêtée. Les morts du train, la grisaille de ce monde endormi et fébrile s'étaient décalqués sur moi, ils m'habitaient et les mains liées, j'avais oublié ma liberté. Nous parlâmes, je ne l'écoutais pas vraiment, mais ne la voyais pas, j'avais envie de l'embrasser mais cet effort même me faisait peur, s'embrasser dans un cimetière sous les regards mornes des morts. Je l'embrassais tout de même mais j'étais ailleurs, en train de regarder quelqu'un qui embrassait une fille. Mon être était séparé.
Je ne me retrouvais dans un état normal que le lendemain. J'avais envie de revoir Claire, de l'embrasser comme un vivant cette fois, mais j’avais peur du train, le train noir et sale, cette réalité, il fallait la nier pour vivre, la vraie réalité, c'était Claire et moi, deux enfants qui s'aiment, s'embrasser sur la bouche, fouiller, se serrer contre l'autre.
L'écrivain.
Je couvre le papier de mots
Déglutition
D'un être
L'écrivain est un malade
Qui a besoin de vomir.
L'écrivain à la merveilleuse tache
De saisir les papillons
Les papillons de l'esprit
Ils sont grands, immenses et il a
Du mal à les attraper sans
Les abimer.
Les enfants qui s'aiment
Les enfants qui s'aiment debout
Contre la porte de la nuit
Et les passants qui passent les désignent du doigt
Mais les enfants qui s’aiment
Ne sont là pour personne
Et c'est seulement leur ombre
Qui tremble dans la nuit
Excitant la rage des passants
Leur rage, leur mépris, leur rire et leur envis
Les enfants qui s'aiment ne sont là pour personne
Ils sont ailleurs bien plus loin que la nuit
Bien plus haut que le jour
Dans l’éblouissante clarté de leur premier amour.
tiré de "Spectacle" de Prévert
Le clochard.
Je l'ai rencontré
Dans le brouhaha
En Angleterre
Assis sur une chaise
Calme
Son grand pardessus de clochard
Sali par la ville
Sa simplicité
me toucha
Nous étions du même bord
Lui riche de sa pauvreté
Moi de mon enfance sauvage
Alors tout doucement le silence se fit
Le grand silence du vide
Ether de la vérité
Nos yeux se perdirent
Et se rejoinrent
Sans trêve
Il me montra ses rêves
Sortant une à une
Comme des rubis
Des allumettes et des bouts de ficelle
Énumérant
Son bien infini
Il découvrit en me regardant son monde
Son trésor, sa richesse
Et implorant mon regard de disciple
Il me montra ses rêves
Il me montra tout
cette cascade de fleurs semblait ne jamais devoir finir
Et nos deux âmes enlacées l'une jeune
Et l'autre vieille
Dans le même rêve
Auraient ainsi sorties du temps
Si le brouhaha de la vie
Ne m'avait emporté
A nouveau
Et bouleversé, je laissais là mon Âme.
Je vis, autant vivre à fond, que risquons nous ?
La seule punition, c’est la mort, et ce n'est rien, et c'est d'ailleurs pour ça qu'on en fait un drame. Je crois à la mort de l'individualité qui n'est qu'un morceau d'un puzzle gigantesque, "l'homme dieu", chaque pièce a une importance capitale, mais chacune perd son sens propre, à l'instant où le puzzle est fini, les soudures se refondent, et ce n'est plus qu'une même image immense, la communication de tous les hommes. Et j'en arrive à la religion chrétienne en fin de compte.et à l'abnégation de soi-même devant le Christ, devant l'esprit total.
Mais chaque pièce avant d'aller rejoindre l'absolu doit jouer son rôle de pièce particulière à fond.
L'important est que les aptitudes particulières que je me découvre lentement ici-bas ne me distraient en rien de la recherche d'une aptitude générale qui ne serait propre et qui ne me serait pas donnée.....
N'est-ce pas dans la mesure exacte où je prendrais conscience de cette différenciation que je me révélerais ce qu'entre tous les autres je suis venu faire en ce monde et de quel message unique je suis porteur pour ne pouvoir répondre de son sort que sur ma tête
Nadga A. Breton.
Remplir de touches ce cahier, remplir de touches se contredisant, le peindre en milliers de paradoxes, et enfin regarder ce tableau impressionniste.
Dominique de Fromentin.
Une grande concentration d'esprit, une active et intense observation de lui-même ; l’instinct de s'élever plus haut toujours plus haut, et de dominer en ne se perdant jamais de vue, les transformations entrainantes de la vie avec la volonté de se reconnaitre à chaque nouvelle phase.
Le mal était fait, si on peut appeler un mal ce don cruel d'assister à sa vie comme à un spectacle donné par un autre.

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