Souvenir écrit sur cette période le 2 Mai 1973 dans mes cahiers d'écriture personnelle.
Lorsque j'étais enfant, je m’attachais beaucoup à maman. Longtemps, l'heure du coucher m’apparut comme quelque chose d'affreux car il me fallait la quitter. Je lui faisais donc raconter histoires sur histoires, et retardait cette heure fatidique. On me dit plus tard que j'avais parlé très tard, mais la gouvernante à cette époque avait été surprise par mon autorité, et la manière dont, avec des gestes, je lui montrais comment je voulais être habillé. Je n'ai peut -être qu’un seul souvenir de cette période, préscolaire. C'est cette pensée qui m'était venue, devant mes grands frères, que une fois qu'on était à l'école, on devait regretter ces heureux temps où l'on pouvait rester à jouer toute la journée à la maison. Et aussi que je n'étais vraiment pas si malheureux et qu'il fallait que j'en profite.
Bien que les semaines parurent des années et les années des siècles, il me fallut aller à l'école. Il apparut bientôt que j’étais très réfractaire à ce genre d'institutions. Je me mis à refuser obstinément d'y aller. Il fallait me trainer dans la voiture. Là, je tentais d'étrangler maman, qui conduisait. Il fallait que la bonne nous accompagne pour que maman puisse conduire. Arrivé à l'école, j'étais pris d'une immense envie de dormir Mais lorsque assis à mon pupitre, je croisais les bras, et posais ma tête dessus, cette envie pour une grande part disparaissait. Alors je restais dans la même position et faisais semblant de dormir. J'entendais la classe qui se déroulait au loin. Ce n'était plus que les voix de l'un de mes rêves. Je sentais le regard de la Maîtresse se poser sur moi, hésiter, puis dire à mon voisin de ne pas me réveiller. J'étais sans doute fatigué, et j'étais encore si petit. Mes camarades riaient et puis la classe reprenait. Je leur avais échappé, et la tête enfouie dans mes bras, il semblait que j'étais brusquement redevenu libre. Parfois, enfant prodigue, je me redressais et ma tête émergeait de la vaste étendue liquide dans laquelle je l'avais plongée. La maitresse s'exclamait, les autres enfants se retournaient. J'aurais tiré du plaisir à cette sorte de naissance, où je devenais le centre de la classe, si à l'exclamation de la maitresse n'était pas lié le regard moqueur des autres et leurs rires. Ces autres enfants me paraissaient incompréhensibles, comment pouvaient-ils accepter de se laisser enfermer dans une pièce toute la journée. Comment pouvaient-ils s'intéresser à toutes ces lettres, à ce tableau noir, à toutes ces choses noires ? Ou plutôt, je ne réfléchissais pas si loin ; je n'avais simplement pas d’ami. Mais se développait à l'intérieur de moi un sentiment d'infériorité par rapport à leur monde. Alors il fallait que je me sente supérieur.
Les deux réagissant les uns sur l'autre, n’écartaient encore d'eux.
Je ressentais tout cela très confusément. Je ne savais qu'une chose, c'est que l'école ne correspondait à aucune de mes aspirations. La cloche finissait par sonner, et je courrais vers la maison. Je pouvais enfin revoir ma mère, que j'avais étranglé le matin même, pour ne pas la quitter.
On s'aperçu bientôt que si j'avais eu du mal à parler, j’en avais encore plus à apprendre à lire. Dans la petite école de province où j'étais, on voulait me faire redoubler, et redoubler encore. Ma mère s'y opposa. Je fus pris en main par des psychologues. Je considérais ces petits caractères qui s'alignaient dans les livres avec tout à la fois une certaine curiosité, et un certain dédain.
Je me demandais quel effet cela faisait de savoir lire. De sentir se transformer en paroles tous ces petits signes, noirs. D’un autre côté, cela paraissait tellement difficiles. Comment se rappeler tous ces signes divers ? Il me semblait que le jeu n'en valait pas la chandelle. Et je continuai mes plongées sous-marines en classe.
J'étais vraiment un trop mauvais élève. La position de maman devenait de plus en plus compliquée. On ne voulait vraiment plus me faire passer dans la classe supérieure à cause de mon orthographe.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire